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repentant d'en avoir chassé les tyrans, sur la foi d'un oracle dont ils avaient reconnu depuis la fourberie, songèrent à y rétablir Hippias, l'un des enfants de Pisistrate, et, pour cet effet, le firent venir de Sigée, où il s'était retiré. Ils proposèrent leur des sein dans une assemblée des députés de leurs alliés, du secours desquels ils voulaient se fortifier pour ne point manquer leur coup. Le député de Corinthe parla le premier: il marqua son étonnement, de ce que les Lacédémoniens, ennemis déclarés pour eux-mêmes de la tyrannie, qu'ils avaient en horreur, voulaient l'établir ailleurs; et il mit dans tout son jour l'injuste et cruelle domination des tyrans dont Corinthe, sa patrie, avait fait tout récemment une triste expérience. Tous les autres alliés applaudirent à son discours. Ainsi l'entreprise échoua, et n'eut d'autre effet que de découvrir la basse jalousie des Lacédémoniens, et de les couvrir de honte.

Hippias, déchu de son espérance, se retira en Asie ', chez Artapherne, gouverneur de Sardes pour le roi de Perse, et n'oublia rien pour l'engager à porter ses armes contre Athènes, en lui faisant entendre que la prise d'une ville si puissante le rendrait maître de toute la Grèce. Artapherne somma les Athéniens de rétablir sur le trône Hippias : à quoi ils ne répondirent que par un refus net et absolu. Voilà quelle fut l'origine et l'occasion des guerres des Perses contre les Grecs, lesquelles feront la matière des volumes suivants.

ARTICLE IX.

Hommes illustres qui se sont distingués dans les sciences. Je commence par les poëtes, parce qu'ils ont l'ancienneté sur les autres.

HOMÈRE.

Le plus célèbre de tous les poëtes, et dont le mérite a jeté un plus grand éclat, est en même temps celui dont la patrie et

Amyntas, roi de Macédoine, lui avait offert la ville d'Anthémonte, et les Thessaliens celle d'Iolchos (HÉROD. V, c. 94); mais Hippiás préféra

HIST. ANC. - T. II.

de retourner à Sigée. Il avait déjà le projet d'engager le roi de Perse dans sa querelle. - L.

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le temps où il a vécu sont le moins connus. Des sept villes de la Grèce qui se disputent entre elles l'honneur de lui avoir donné la naissance, Smyrne 1 est celle qui semble être à plus juste titre en possession de ce glorieux privilége. Hérodote 2 marque qu'Homère était né quatre cents ans avant lui, c'est-à-dire trois cent quarante ans 3 après la prise de Troie 4; car Hérodote florissait sept cent quarante ans après cette expédition.

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Quelques auteurs ont prétendu qu'il fut appelé Homère parce qu'il était aveugle-né. Velléius Paterculus rejette avec mépris ce conte. « Si quelqu'un 5, dit-il, croyait qu'Homère est né aveugle, il faut qu'il le soit lui-même, et privé de tous les « sens. » En effet, selon la remarque de Cicéron 6, la poésie d'Homère est plutôt une peinture qu'une poésie, tant il sait peindre au naturel, et mettre comme sous les yeux du lecteur les images de tout ce qu'il entreprend de décrire; il semble avoir pris à tâche de faire passer comme en revue dans ses ouvrages tout ce que la nature a de plus riant et de plus gracieux.

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Ce qu'il y a de plus étonnant dans ce poëte', c'est que, s'étant appliqué le premier, du moins de ceux qui sont connus, genre de poésie le plus sublime et le plus difficile de tous, il l'a porté tout d'un coup, comme par un vol rapide, à un si haut degré de perfection; ce qui, dans les autres arts, n'arrive presque jamais que par de lents progrès et par une longue suite d'années.

Ce genre de poésie est le poëme épique, ainsi appelé du mot grec nos, parce que l'action est racontée par le poëte. Le sujet de ce poëme doit être grand, instructif, sérieux; ne renfermer

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6 Tusc. Quæst. 1. 5, n. 114.

7 « Clarissimum deinde Homeri illuxit ingenium, sine exemplo maximum qui magnitudine operis, et fulgore carminum, solus appellari poeta meruit. In quo hoc maximum est, quod neque ante illum quem ille imitaretur, neque post illum qui imitari eum possit, inventus est; neque quemquam alium, cujus operis primus auctor fuerit, in eo perfectissimum, præter Homerum et Archilochum, reperiemus. (VELL. PATERC. lib. 1, cap. 5.)

qu'un seul événement principal, auquel tous les autres se rapportent; et cette action principale doit s'être passée dans un certain espace de temps, qui est tout au plus d'une année.

Homère a composé deux poëmes de ce genre, savoir : l'Iliade et l'Odyssée, dont le premier a pour sujet la colère d'Achille, si pernicieuse aux Grecs qui assiégeaient Ilion ou Troie; et l'autre, les voyages et les aventures d'Ulysse après la prise de cette ville.

Il est remarquable qu'aucune des nations les plus éclairées n'a rien imaginé de pareil ; et que celles qui ont produit quelques poëmes en ce genre en ont toutes pris l'idée d'Homère, en ont emprunté les règles, se le sont proposé pour modèle, et n'ont eu de succès qu'autant qu'elles en ont approché. C'est qu'Homère était un esprit original, et propre à former les autres : fons ingeniorum Homerus.

I

Tout ce qu'il y a eu de plus grands hommes et de plus forts génies depuis deux mille cinq ou six cents ans, en Grèce, en Italie et ailleurs; ceux dont on est forcé encore aujourd'hui d'admirer les écrits; ceux qui sont encore nos maîtres, et qui nous enseignent à penser, à raisonner, à parler, à écrire; tous ces gens-là, dit madame Dacier 2, reconnaissent Homère pour le plus grand des poëtes, et ses poëmes comme le modèle du bon goût. Après cela y a-t-il aucun homme, quelque habile qu'il se croie, qui puisse raisonnablement présumer que ses décisions prévaudront sur celles de tant de juges si éclairés et si respectables?

Des témoignages si anciens, si constants, si universels, justifient pleinement le jugement avantageux qu'Alexandre le Grand portait des ouvrages d'Homère, qu'il considérait comme la production la plus rare et la plus précieuse de l'esprit humain 3 pretiosissimum humani animi opus.

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Quintilien, après avoir fait un éloge magnifique d'Homère, nous donne une juste idée de son caractère et de son style dans ce peu de mots 4 : Hunc nemo in magnis sublimitate, par

1 Plin. 1. 17, cap. 5.

Dans la vie d'Homère, qui est à la tète de la traduction de l'Iliade.

3 Plin. 1. 7, cap. 29.
Quintil. lib. 10, c. I.

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vis proprietate superavit. Idem lætus ac pressus, jucundus et gravis, tum copia, tum brevitate mirabilis. « Dans les gran<< des choses, rien de plus sublime que son expression; dans « les petites, rien de plus propre. Étendu, serré, grave et doux, également admirable par son abondance et par sa brièveté. »

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HÉSIODE.

L'opinion la plus commune le fait contemporain d'Homère 1. On dit qu'il était né à Cumes, ville d'Éolie, mais qu'il fut nourri et élevé à Ascra, petite ville de Béotie, qui depuis a passé pour sa patrie : aussi Virgile 3 l'appelle-t-il le vieillard d'Ascra. Il n'est guère connu que par le peu de poésies qui nous sont restées de lui, toutes en vers hexamètres, qui sont : 1o les Ouvrages et les Jours; 2o la Théogonie, ou généalogie des dieux; 3° le Bouclier d'Hercule: on doute pourtant que ce dernier soit de lui.

1. Dans le premier de ces poëmes, intitulé les Ouvrages et les Jours, Hésiode traite de l'agriculture, qui demande, outre beaucoup de travail, qu'on observe les temps, les saisons, les jours. Ce poëme est rempli de sentences et de maximes excellentes pour la conduite de la vie. Il le commence par une courte mais vive description de deux sortes de disputes : l'une funeste au genre humain, et source des querelles, des discordes, des guerres; l'autre infiniment utile et salutaire aux hommes, qui aiguise leur esprit, qui excite parmi eux une noble émulation, et qui donne lieu à l'invention et à la culture des arts. Il fait dans la suite une admirable description des quatre différents âges du monde, d'or, d'argent, d'airain, de fer. Ce sont ceux de ce premier âge d'or que Jupiter, après leur mort, changea en autant de génies et d'esprits 4, qu'il établit gardiens des hommes, et qu'il chargea du soin de parcourir la terre, cachés dans un nuage obscur, et d'observer les bonnes et les mauvaises actions de ceux qui l'habitent.

Il est cependant certain, d'après divers caractères, qu'Hésiode est plus récent que l'auteur de l'Iliade. - L.

2 Ou mieux Cyme.
3 Eclog. 6, v. 70.
4 Δαίμονες.

L.

Ce poëme a servi de modèle à Virgile pour composer ses Géorgiques, comme il le témoigne lui-même par ce vers :

Ascræumque cano romana per oppida carmen '.

Le choix que ces deux illustres poëtes ont fait de cette matière, pour la traiter en vers, nous marque en quel honneur étaient chez les anciens la culture des terres et la nourriture des troupeaux, deux sources innocentes de richesses et d'abondance pour un pays. Il est bien fâcheux que dans les siècles postérieurs on ait laissé éteindre ce goût, si conforme à la nature, et si propre à conserver l'innocence des mœurs : l'avarice et la volupté l'ont entièrement étouffé: Nimirum alii subiere ritus, circaque alia mentes hominum detinentur, et avaritiæ tantum artes coluntur.

2. On peut regarder la Théogonie d'Hésiode et les poëmes d'Homère comme les archives et les monuments les plus sûrs de la théologie des anciens, et de l'opinion qu'ils avaient de leurs dieux. Car il ne faut pas croire que ces poëtes aient été les inventeurs des fables que nous lisons dans leurs ouvrages: ils n'ont fait que recueillir et transmettre à la postérité les traces de la religion qu'ils avaient trouvée établie et dominante dans leur temps et dans leur pays.

3. Le Bouclier d'Hercule3 est un morceau détaché d'un poëme dans lequel on prétend qu'Hésiode célébrait les héroïnes de l'antiquité les plus illustres; et il est ainsi appelé, parce qu'on y trouve une longue description du bouclier d'Hercule, dont ce poëme rapporte une aventure particulière.

La poésie d'Hésiode, dans les endroits qui sont susceptibles d'ornements, est fort belle et fort agréable, mais moins élevée et moins sublime que celle d'Homère. Quintilien 4 lui donne le premier rang dans le genre d'écrire médiocre : datur ei palma in illo medio dicendi genere.

Georg. 1. 2, v. 176.

2 Plin. in Procm. lib. 14.

Ce fragment, comme l'épisode du bouclier d'Achille dans l'Iliade, a dû

être composé après l'époque qui avait vu naître la toreutique ou la ciselure. - L.

4 Lib. 1, c. 5.

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