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corps est infini; il faut, outre cela, qu'ils nient que Dieu ait la puissance d'annihiler aucune partie de la matière. Je suppose que personne ne me niera que Dieu ne puisse faire cesser tout le mouvement qui est dans la matière, et mettre tous les corps de l'univers dans un parfait repos, pour les laisser dans cet état aussi long-temps qu'il voudra. Or, quiconque tombera d'accord, que durant ce repos universel Dieu peut annihiler ce livre, ou le corps de celui qui le lit, ne peut éviter de reconnaître la possibilité du vide. Car, il est évident que l'espace qui était rempli par les parties du corps annihilé, restera toujours, et sera un espace sans corps; parce que les corps qui sont tout autour, dans un parfait repos, sont comme une muraille de diamant, et dans cet état mettent tout autre corps dans une parfaite impossibilité d'aller remplir cet espace. Et en effet, ce n'est que de la supposition, que tout est plein, qu'il s'ensuit qu'une partie de matière doit nécessairement prendre la place qu'une autre partie vient de quitter. Mais cette supposition devrait être prouvée autrement que par un fait en question, qui, bien loin de pouvoir être démontré par l'expérience, est visiblement contraire à des idées claires et distinctes qui nous convainquent évidemment qu'il n'y a point de liaison nécessaire

entre l'espace et la solidité, puisque nous pouvons concevoir l'un sans songer à l'autre. Et par conséquent ceux qui disputent pour ou contre le vide, doivent reconnaître qu'ils ont des idées distinctes du vide, et du plein; c'est-à-dire, qu'ils ont une idée de l'étendue exempte de solidité, quoiqu'ils en nient l'existence, ou bien ils disputent sur le pur néant. Car ceux qui changent si fort la signification des mots, qu'ils donnent à l'étendue le nom de corps, et qui réduisent, par conséquent, toute l'essence du corps à n'être rien autre chose qu'une pure étendue sans solidité, doivent parler d'une manière bien absurde lorsqu'ils raisonnent. du vide, puisqu'il est impossible que l'étendue soit sans étendue. Car enfin, qu'on reconnaisse ou qu'on nie l'existence du vide, il est certain que le vide signifie un espace sans corps; et toute personne qui ne veut ni supposer la matière infinie, ni ôter à Dieu la puissance d'en annihiler quelque particule, ne peut nier la possibilité d'un tel espace.

§ 23.

Le mouvement prouve le Vide.

Mais, sans sortir de l'univers pour aller au-delà des dernières bornes des corps, et sans recourir à la toute-puissance de Dieu pour établir le

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vide, il me semble que le mouvement des corps que nous voyons, et dont nous sommes environnés, en démontre clairement l'existence. Car je voudrais bien que quelqu'un essayât de diviser corps solide de telle dimension qu'il voudrait, en sorte qu'il fit que ces parties solides pussent se mouvoir librement en haut, en bas, et de tous côtés dans les bornes de la superficie de ce corps, quoique dans l'étendue de cette superficie il n'y eût point d'espace vide aussi grand que la moindre partie dans laquelle il a divisé ce corps solide. Que si lorsque la moindre partie du corps divisé est aussi grosse qu'un grain de semence de moutarde, il faut qu'il y ait un espace vide qui soit égal, à la grosseur d'un grain de moutarde, pour faire que les parties de ce corps aient de la place pour se mouvoir librement dans les bornes de sa superficie; il faut aussi que, lorsque les parties de la matière sont cent millions de fois plus petites qu'un grain de moutarde, il y ait un espace vide de matière solide, qui soit aussi grand qu'une partie de moutarde, cent millions de fois plus petite qu'un grain de cette semence (74). Et si ce vide pro

(74) « Il est vrai que si le monde était plein de corpuscules, qui ne pourraient ni se fléchir ni se diviser, comme

<< l'on dépeint les atomes, il serait impossible qu'il y eût du

portionnel est nécessaire dans le premier cas, il doit l'être dans le second, et ainsi à l'infini. Or, que cet espace vide soit si petit qu'on voudra, cela suffit pour détruire l'hypothèse qui établit que tout est plein. Car, s'il peut y avoir un espace vide de corps, égal à la plus petite partie distincte de matière qui existe présentement dans le monde, c'est toujours un espace vide de corps, et qui met une aussi grande différence entre l'espace pur et le corps, que si c'était un vide immense péya xácua. Par conséquent, si nous supposons que l'espace vide, qui est nécessaire pour le mouvement, n'est pas égal à la plus petite partie de la matière solide, actuellement divisée, mais à ou à de cette partie, il s'ensuivra toujours également qu'il y a de l'espace sans matière.

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Les idées de l'Espace et du Corps sont distinctes l'une de l'autre.

Mais comme ici la question est de savoir, si T'idée de l'espace ou de l'étendue est la même que

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mouvement; mais, dans la vérité, il n'y a point de dureté originale au contraire, la fluidité est originale, et les «< corps se divisent selon le besoin, puisqu'il n'y a rien qui « l'empèche. C'est ce qui ôte toute la force de l'argument « tiré du mouvement pour le vide. »

celle du corps, il n'est pas nécessaire de prouver l'existence réelle du vide, mais seulement de montrer qu'on peut avoir l'idée d'un espace sans corps. Or, je dis qu'il est évident que les hommes ont cette idée, puisqu'ils cherchent et disputent, ́s'il y a du vide ou non. Car, s'ils n'avaient pas l'idée d'un espace sans corps, ils ne pourraient pas mettre en question 'si cet espace existe; et si l'idée qu'ils ont du corps n'enferme pas en soi quelque chose de plus que l'idée simple de l'espace, ils ne peuvent plus douter que tout le monde ne soit parfaitement plein. Et en ce cas-là, il serait aussi absurde de demander s'il y aurait un espace sans corps, que de demander s'il y aurait un espace sans espace, ou un corps sans corps; puisque ce ne seraient que différents noms d'une même idée.

$ 25.

De ce que l'étendue est inséparable du corps 'il ne s'ensuit pas que l'Espace et le Corps soient une seule et même chose.

Il est vrai que l'idée de l'étendue est si inséparablement jointe à toutes les qualités visibles, et à la plupart des qualités tactiles, que nous ne pouvons voir aucun objet extérieur, ni en toucher fort peu, sans recevoir en même temps

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