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lumière dans notre esprit, tout ce que nous pourrons acquérir par là de connaissance sur notre entendement, nous donnera non-seulement beaucoup de plaisir, mais nous sera d'une grande utilité pour nous conduire dans la recherche de plusieurs autres choses.

§ 2.

Dessein de cet ouvrage.

Dans le dessein que j'ai formé d'examiner la certitude et l'étendue des connaissances humaines, aussi bien que les fondements et les degrés de croyance, d'opinion et d'assentiment qu'on peut avoir par rapport aux différents sujets qui se présentent à notre esprit, je ne m'engagerai point à considérer, en physicien, la nature de l'ame; à voir ce qui en constitue l'essence; quels mouvements doivent s'exciter dans nos esprits animaux, ou quels changements doivent arriver dans notre corps, pour produire, au moyen de nos organes, certaines sensations ou certaines idées dans notre entendement; et si quelques-unes de ces idées, ou toutes ensemble, dépendent, dans leur principe, de la matière ou non. Quelque 'curieuses et instructives que soient ces spéculations, je les éviterai, comme ne pouvant pas me con

duire directement au but que je me propose. Il suffira, pour le dessein que j'ai présentement en vue, d'examiner les facultés de connaître qui se rencontrent dans l'homme, en tant qu'elles s'exercent sur les objets qui se présentent à elles et je crois que je n'aurai pas tout-à-fait perdu mon temps à méditer sur cette matière, si, à l'aide d'une méthode claire et, pour ainsi dire, historique, je puis faire voir par quels moyens notre entendement vient à se former les idées qu'il a des choses, et que je puisse fournir quelque moyen d'apprécier la certitude de nos connaissances, et les fondements des opinions qu'on voit régner parmi les hommes : opinions si différentes, si opposées, si directement contradictoires, et qu'on soutient pourtant dans tel ou tel endroit du monde, avec tant de confiance, que qui prendra la peine de considérer les divers sentiments du genre humain, d'examiner l'opposition qu'il y a entre tous ces sentiments, et d'observer en même temps avec combien peu de fondement on les embrasse, avec quel zèle, avec quelle chaleur on les défend, aura peut-être sujet de soupçonner l'une de ces deux choses, ou qu'il n'y a absolument rien de vrai, ou que les hommes n'ont aucun moyen sûr pour arriver à la connaissance certaine de la vérité.

J.

§ 3.

Méthode qu'on y observe.

Il vaut donc la peine de chercher à marquer les limites qui séparent l'opinion d'avec la connaissance, et d'examiner quelles règles 'il faut observer pour déterminer exactement les degrés de notre persuasion à l'égard des choses dont nous n'avons pas une connaissance certaine. Pour cet effet, voici la méthode que j'ai résolu de suivre..

I. Je chercherai premièrement quelle est l'origine des idées, notions, ou comme il vous plaira de les appeler, que l'homme aperçoit dans son ame, et dont il a en lui-même la conscience, et par quels moyens l'entendement vient à acquérir toutes ces idées.

II. En second lieu, je tâcherai de montrer quelle est la connaissance que l'entendement acquiert par le moyen de ces idées, et quelle est la certitude, l'évidence et l'étendue de cette connaissance.

III. Je chercherai, en troisième lieu, la nature et les fondements de ce qu'on nomme foi ou opinion; par où j'entends cet assentiment que nous donnons à une proposition en tant que véritable, mais de la vérité de laquelle nous n'a

vons pourtant pas une connaissance certaine. Et de là je prendrai occasion d'examiner les raisons et les degrés de cet assentiment.

$ 4.

Combien il est utile de connaître l'étendue de notre compréhension.

Si, par cette recherche sur la nature de l'entendement, je parviens à découvrir quelles en sont les facultés, quelle est leur étendue, ce qui est de leur compétence, jusqu'à quel degré elles peuvent nous aider à trouver la vérité, et où c'est que le secours vient à nous manquer, je m'imagine que, quelle que soit l'activité de notre esprit, cet examen pourra servir à la modérer, en nous obligeant à plus de circonspection lorsque nous nous occupons de choses qui passent notre compréhension; à nous arrêter, lorsque nous avons porté nos recherches jusqu'au plus haut point où nous soyons capables de les porter, et à vouloir bien ignorer ce que nous voyons être au-dessus de nos facultés, après l'avoir bien examiné. Si nous en usions de la sorte, nous ne serions peut-être pas si empressés par un vain désir de connaître toutes choses, à exciter incessamment de nouvelles questions, à nous embarrasser nous-mêmes,

et à engager les autres dans des disputes sur des sujets qui sont tout-à-fait disproportionnés à notre entendement, et dont nous ne saurions nous former des idées claires et distinctes, ou même (ce qui n'est peut-être arrivé que trop souvent) dont nous n'avons absolument aucune idée. Si donc nous pouvons découvrir jusqu'où notre entendement peut porter sa vue, jusqu'où il peut se servir de ses facultés pour connaître les choses avec certitude, et en quels cas il ne peut juger que par de simples conjectures, nous apprendrons à nous contenter des connaissances auxquelles notre esprit est capable de parvenir, dans l'état où nous nous trouvons dans ce monde.

$ 5.

L'étendue de nos connaissances est proportionnée à notre état dans ce monde, et à nos besoins.

En effet, quoiqu'il y ait une infinité de choses que notre esprit ne saurait comprendre, la portion et les degrés de connaissance que Dieu nous a accordés avec beaucoup plus de profusion qu'aux autres habitants de ce bas monde, cette portion de connaissance qu'il nous a départie si libéralement, nous fournit pourtant un

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