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réellement dans l'eau (52); car, si nous imaginons que la chaleur, telle qu'elle est dans nos mains, n'est autre chose qu'une certaine espèce de mouvement, produit en un certain degré dans les petits filets des nerfs ou dans les esprits animaux, nous pouvons comprendre comment il se peut faire que la même eau produit, dans le même temps, le sentiment du chaud dans une main, et celui du froid dans l'autre ce que

(52) « Çela prouve tout au plus que la chaleur n'est pas « une qualité sensible ou une puissance de se faire sentir tout-à-fait absolte, mais qu'elle est relative à des organes proportionnés car un mouvement propre dans la main s'y peut mêler et en altérer l'apparence.... L'unité et le nombre peuvent ne point paraître comme il faut, car, com<«<me Descartes l'a déja rapporté, un globe touché d'une <«'certaine façon paraît double.... Il ne s'ensuit donc pas que «< ce qui ne paraît pas toujours de même ne soit pas une & qualité de l'objet et que son image ne lui ressemble pas.... « quant à l'observation que l'on a faite sur ce que la même «<eau peut paraître froide à une main et chaude à l'autre, «il demeure pourtant vrai que, lorsque l'organe et le milieu * sont constitués comme il faut, les mouvements internes et « les idées qui les représentent à l'ame ressemblent aux «mouvements de l'objet 'qui causent la couleur, là doú« leûr, etc., du, ce qui est la même chose, l'expriment par << un rapport assez exact, quoique ce rapport ne nous pa«raisse pas distinctement, parce que nous ne saurions démêler cette multitude de petites impressions, ni dans notre «ame, ni dans notre corps, ni dans ce qui est hors de

« nous. »

il

la même figure ne fait jamais, car la même figure qui a produit l'idée d'un globe, étant appliquée à une main, ne produit jamais l'idée d'un carré, étant appliquée à l'autre main; mais, si la sensation du chaud et du froid n'est autre chose que l'augmentation ou la diminution du mouvement des petites parties de notre corps, causée par les corpuscules de quelque autre corps, est aisé de comprendre que, si ce mouvement est plus grand dans une main que dans l'autre, et qu'on applique sur les deux mains un corps dont les petites parties soient dans un plus grand mouvement que celles d'une main, et moins agitées que les petites parties de l'autre main; ce corps, augmentant le mouvement d'une main et diminuant celui de l'autre, causera, par ce moyen, les différentes sensations de chaleur et de froideur qui dépendent de ce différent degré de mouvement.

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Je viens de m'engager peut-être un peu plus que je n'avais résolu, dans des recherches physiques. Mais comme cela est nécessaire pour donner quelque idée de la nature des sensations, et pour faire concevoir distinctement la différence qu'il y a entre les qualités qui sont dans les corps, et entre les idées que les corps

excitent dans l'esprit, sans quoi il serait impossible d'en discourir d'une manière intelligible, j'espère qu'on me pardonnera cette petite digression. Car il est d'une absolue nécessité, pour notre dessein, de distinguer les qualités premières et réelles qui sont toujours dans les corps et n'en peuvent être séparées (savoir, la solidité, l'étendue, la figure, le nombre et le mouvement, ou le repos), qualités que nous apercevons toujours dans les corps, lorsque, pris à part, ils sont assez gros pour pouvoir être discernés; il est, dis-je, absolument nécessaire de distinguer ces sortes de qualités, d'avec celles que je nomme secondes qualités, qu'on regarde faussement comme inhérentes aux corps, et qui ne sont que des effets de différentes combinaisons de ces premières qualités, lorsqu'elles agissent sans qu'on les discerne distinctement, Et par là nous pouvons parvenir à connaître, quelles idées sont, et quelles idées ne sont pas, des ressemblances de quelque chose qui existe réellement, dans les corps auxquels nous donnons des noms tirés de ces idées.

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On distingue trois sortes de Qualités dans les corps.

Il s'ensuit de tout ce que nous venons de dire, qu'à bien examiner les qualités des corps on peut les distinguer en trois espèces.

Premièrement, il y a la grosseur, la figure, le nombre, la situation, et le mouvement ou le repos de leurs parties solides. Ces qualités sont dans les corps, soit que nous les y apercevions ou non; et lorsqu'elles sont telles que nous pouvons les découvrir, nous avons, par leur moyen, une idée de la chose telle qu'elle est en elle-même, comme on le voit dans les choses artificielles. Ce sont celles que je nomme qualités premières.

En second lieu, il y a dans chaque corps la puissance d'agir d'une manière particulière sur quelqu'un de nos sens, par le moyen de ses premières qualités imperceptibles, et par là de produire en nous les différentes idées des couleurs, des sons, des odeurs, des saveurs, etc. C'est ce qu'on appelle communément les qualités sensibles.

On peut remarquer, en troisième lieu, dans chaque corps, la puissance de produire, en vertu de la constitution particulière de ses premières

qualités, de tels changements dans la grosseur, la figure, la contexture, et le mouvement d'un autre corps, qu'il le fasse agir sur nos sens d'une autre manière qu'il ne faisait auparavant. Ainsi le soleil a la puissance de blanchir la cire, et le feu celle de rendre le plomb fluide.

Je crois que les premières de ces qualités peuvent être proprement appelées qualités réelles, originales et premières, comme il a été déja remarqué, parce qu'elles existent dans les choses mêmes, soit qu'on les aperçoive ou non ; et c'est de leurs différentes modifications que dépendent les secondes qualités.

Pour les deux autres, ce ne sont que des puissances d'agir en différentes manières sur d'autres choses: puissances qui résultent des combinaisons différentes des premières qualités.

§ 24.

les

Les premières qualités sont dans les corps : secondes sont jugées y étre et n'y sont point: les troisièmes n'y sont pas, et ne sont pas jugées y étre.

Mais, quoique ces deux dernières sortes de qualités soient de pures puissances, qui se rapportent à d'autres corps, et qui résultent des différentes modifications des premières qualités,

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