Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE VIII.

AUTRES CONSIDÉRATIONS SUR LES IDÉES SIMPLES.

Idées positives qui viennent de causes privatives.

A l'égard des idées simples qui viennent par

sensation, il faut considérer que tout ce qui, en vertu de l'institution de la nature, est capable d'exciter quelque perception dans l'esprit en frappant nos sens, produit par même moyen dans l'entendement une idée simple, qui, par quelque cause extérieure qu'elle soit produite, ne vient pas plus tôt à notre connaissance, que l'esprit la regarde et la considère, dans l'entendement, comme une idée aussi réelle et aussi positive que quelque autre idée que ce soit, quoique peut-être la cause qui la produit ne soit, dans le sujet, qu'une simple privation.

$ 2.

Ainsi, les idées du chaud et du froid, de la lumière et des ténèbres, du blanc et du noir, du mouvement et du repos, sont des idées également claires et positives dans l'esprit, bien que quelques-unes des causes qui les produisent ne soient peut-être que de pures privations dans les sujets d'où les sens tirent ces idées. Lors, dis-je, que l'entendement voit ces idées, il les considère toutes comme distinctes et positives sans songer à examiner les causes qui les produisent: examen qui ne regarde point l'idée en tant qu'elle est dans l'entendement, mais la nature même des choses qui existent hors de nous. Or, ce sont deux choses bien différentes, et qu'il faut distinguer exactement: car, autre chose est d'apercevoir et de connaître l'idée du blanc ou du noir, et autre chose d'examiner quelle espèce et quel arrangement de particules doivent se rencontrer sur la surface d'un corps pour faire qu'il paraisse blanc ou noir.

§ 3.

Un peintre ou un teinturier, qui n'a jamais recherché les causes des couleurs, a dans son entendement les idées du blanc et du noir, et des autres couleurs, d'une manière aussi claire, aussi

parfaite et aussi distincte, qu'un philosophe qui a employé bien du temps à examiner la nature de toutes ces différentes couleurs, et qui pense connaître ce qu'il y a précisément de positif ou de privatif dans leurs causes. Ajoutez à cela que l'idée du noir n'est pas moins positive dans l'esprit, que celle du blanc, quoique la cause du noir, considérée dans l'objet extérieur, puisse n'être qu'une simple privation.

§ 4.

Si c'était ici le lieu de rechercher les causes naturelles de la perception, je prouverais par là qu'une cause privative peut, du moins en certaines rencontres, produire une idée positive: je veux dire que, comme toute sensation est produite en nous, différents degrés seulement par et par différentes déterminations de mouvement dans nos esprits animaux diversement agités par -les objets extérieurs, la diminution d'un mouvement qui vient d'y être excité doit produire aussi nécessairement une nouvelle sensation que la variation ou l'augmentation de ce mouvement-là, et introduire par conséquent dans notre esprit une nouvelle idée, qui dépend uniquement d'un mouvement différent des esprits animaux dans l'organe destiné à produire cette sensa

tion.

$ 5.

Mais que cela soit ainsi ou non, c'est ce que je ne veux pas déterminer présentement. Je me contenterai d'en appeler à ce que chacun éprouve en soi-même, pour savoir si l'ombre d'un homme, par exemple (laquelle ne consiste que dans l'absence de la lumière, en sorte que moins la lumière peut pénétrer dans le lieu où l'ombre paraît, plus l'ombre y paraît distinctement), si cette ombre, dis-je, ne cause pas dans l'esprit de celui qui la regarde une idée aussi claire et aussi positive que le corps même de l'homme, quoique tout couvert des rayons du soleil? La peinture de l'ombre est de même quelque chose de positif. Il est vrai que nous avons des noms négatifs qui ne signifient pas directement des idées positives, mais l'absence de ces idées; téls sont les mots, insipide, silence, rien, etc., lesquels désignent des idées positives, comme celles du goût, du son, et de l'être, avec une signification de l'absence de ces choses.

§ 6.

Idées positives qui viennent de causes privatives.

On peut donc dire, avec vérité, qu'un homme voit les ténèbres. Car, supposons un trou parfai

tement obscur, d'où il ne réfléchisse aucune lumière, il est certain qu'on en peut voir la figure ou la représenter; et je ne sais si l'idée produite par l'encre avec laquelle j'écris, vient par une autre voie. En proposant ces privations comme des causes d'idées positives, j'ai suivi l'opinion vulgaire; mais dans le fond il sera malaisé de déterminer s'il y a effectivement aucune idée qui vienne d'une cause privative, jusqu'à ce qu'on ait déterminé si le repos est plutôt une privation que le mouvement.

[ocr errors]

Idées dans l'esprit à l'occasion des corps, et qualités dans les corps, deux choses qui doivent étre distinguées.

Mais, afin de mieux découvrir la nature de nos idées, et d'en discourir d'une manière plus intelligible, il est nécessaire de les distinguer en tant qu'elles sont des perceptions et des idées dans notre esprit, et en tant qu'elles sont, dans les corps, des modifications de la matière qui produisent ces perceptions dans l'esprit. Il faut, dis-je, distinguer exactement ces deux choses, de peur que nous ne nous figurions (comme on n'est peut-être que trop accoutumé à le faire) que nos idées sont de véritables images ou res

« PreviousContinue »