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§ 24.

Quelle est l'origine de toutes nos Connaissances.

Avec le temps, l'esprit vient à réfléchir sur ses propres opérations au sujet des idées acquises par sensation, et, par ce moyen, il amasse une nouvelle provision d'idées, que j'appelle idées de réflexion. Celles-ci sont les impressions qui sont faites sur nos sens par les objets du dehors, et qui sont externes à l'esprit, et ses propres opérations résultant de pouvoirs internes qui lui appartiennent exclusivement; lesquelles, quand il y a réfléchi par lui-même, devenant aussi les objets de sa contemplation, sont, comme je l'ai dit, la source de toute connaissance. Ainsi la première capacité de l'entendement humain consiste en ce que l'ame est propre à recevoir les impressions qui se font en elle, ou par les objets extérieurs à la faveur des sens, ou par ses propres opérations lorsqu'elle réfléchit sur ces opérations. C'est là le premier pas que l'homme fait vers la découverte des choses, quelles qu'elles soient. C'est sur ce fondement que sont établies toutes les notions qu'il aura jamais naturellement dans ce monde. Toutes ces pensées sublimes qui s'élèvent au-dessus des nues et pénètrent jusque dans les cieux, tirent de là leur origine : et dans toute

cette grande étendue que l'ame parcourt par ses vastes spéculations, qui semblent l'élever si haut, elle ne passe point au-delà des idées que la sensation ou la réflexion lui présentent pour être les objets de ses contemplations.

$ 25.

L'Entendement est, pour l'ordinaire, passif dans la réception des Idées simples.

L'esprit est, à cet égard, purement passif (41); et il n'est pas en son pouvoir d'avoir ou de n'avoir pas ces rudiments, et, pour ainsi dire, ces matériaux de connaissances. Car les idées particulières des objets des sens s'introduisent dans notre ame, soit que nous voulions ou que nous ne voulions pas; et les opérations de notre entendement nous laissent pour le moins quelque notion obscure d'elles-mêmes, personne ne pouvant ignorer absolument ce qu'il fait lorsqu'il pense. Lorsque ces idées simples se présentent à l'esprit, l'entendement n'a pas

(41) « Comment se peut-il qu'il soit passif seulement à l'é"gard de la perception de toutes les idées simples, puis«que, de l'aveu de l'auteur, il y a des idées simples dont la << perception vient de la réflexion, et qu'au moins l'esprit se <«< donne lui-même les pensées de réflexion? Car c'est lui qui « réfléchit.»

la puissance de les refuser, ou de les altérer quand elles ont fait leur impression, de les effacer, ou en produire de nouvelles en luimême, pas plus qu'un miroir ne peut refuser, altérer ou effacer les images que les objets produisent sur la glace devant laquelle ils sont placés. Comme les corps qui nous environnent frappent diversement nos organes, l'ame est forcée d'en recevoir les impressions, et ne saurait s'empêcher d'avoir la perception des idées qui y sont attachées.

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POUR OUR mieux comprendre quelle est la nature et l'étendue de nos connaissances, il y a une chose qui concerne nos idées à laquelle il faut bien prendre garde: c'est qu'il y a de deux sortes d'idées, les unes simples et les autres composées.

Bien que les qualités qui frappent nos sens soient si fort unies, et si bien mêlées ensemble dans les choses mêmes, qu'il n'y ait aucune séparation ou distance entre elles, il est certain néanmoins que les idées que ces diverses qualités produisent dans l'ame, y entrent par les sens d'une manière simple et sans nul mélange. Car, quoique la vue et l'attouchement excitent souvent dans le même temps différentes idées par le même objet, comme lorsqu'on voit le mouvement et la couleur tout à-la-fois, et que la main

sent la mollesse et la chaleur d'un même morceau de cire, cependant les idées simples qui sont ainsi réunies dans le même sujet, sont aussi parfaitement distinctes que celles qui entrent dans l'esprit par divers sens. Par exemple, la froideur et la dureté qu'on sent dans un morceau de glace, sont des idées aussi distinctes dans l'ame, que l'odeur et la blancheur d'une fleur de lis, ou que la douceur du sucre et l'odeur d'une rose; et rien n'est plus évident à un homme que la perception claire et distincte qu'il a de ces idées simples, dont chacune, prise à part, est exempte de toute composition, et ne produit par conséquent dans l'ame qu'une conception entièrement uniforme, qui ne peut être distinguée en différentes idées (42).

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(42) « Je crois qu'on peut dire que ces idées sensibles << ne sont simples qu'en apparence, parce que, étant confuses, << elles ne donnent point à l'esprit le moyen de distinguer «< ce qu'elles contiennent.... Par exemple, le vert naît du jaune et du bleu mêlés ensemble, et pourtant l'idée du vert <«< nous paraît aussi simple que celle du bleu, ou que celle <«< du chaud.... Je consens donc qu'on traite ces idées de « simples, parce qu'au moins notre aperception ne les divise « pas; mais il faut venir à leur analyse par d'autres expériences, et par la raison, à mesure qu'on peut les rendre plus intelligibles. »

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