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dant six mois d'hiver le château féodal était resté enveloppé de nuages, sans guerre, sans tournois, qu'il n'avait vu que peu d'étrangers et de pèlerins; quand s'étaient écoulés ces longs jours monotones, ces interminables soirées mal remplies par le jeu d'échecs, on attendait avec les hirondelles le retour désiré du poète. Il arrivait enfin ; on l'apercevait de loin le long de la rampe escarpée qui menait au château il portait sa vielle attachée à l'arçon de sa selle, s'il était à cheval; suspendue à son cou, s'il cheminait à pied. Ses habits étaient bariolés de diverses couleurs; ses cheveux et sa barbe rasés au moins en partie; une bourse qu'on appelait la malette ou l'aumônière pendait à sa ceinture et semblait appeler d'avance la générosité de ses hôtes. Sans demeure, dès le soir de son arrivée, le baron, les écuyers, les damoiselles se réunissaient dans la grande salle pavée pour entendre le poème qu'il venait d'achever pendant l'hiver. Alors se déployaient devant des auditeurs şi bien disposés, si altérés de poétiques récits, mille tableaux intéressants et merveilleux."

La Chanson de Roland fut le prélude d'une quantité prodigieuse de poèmes connus sous le nom de cycles. L'un de ces cycles, celui de Merlin l'Enchanteur, a eu son écho ou sa contrepartie dans la poésie anglaise.

XII SIÈCLE.

Voici un fragment de prose du XIIe siècle: c'est un court extrait d'un sermon prononcé par le fameux Saint Bernard de Clairvaux à l'occasion de la fête de l'Epiphanie.

Por ceu volt il en terre dexendre et ne volt mies solement Pour cela veut-il descendre en terre et ne veut pas seulement dexendre en terre et nastre, anz volt assi estre conuiz; et por descendre en terre et naître, mais veut aussi être connu, et pour

ceste conissance faisons nos in ceste feste de l'Aparicion. Hui (effectuer) cette connaisance nous faisons cette fête de l'Apparition. vinrent li troi roi por querre lo soloil de justice qui neiz estoit, Aujourd'hui vinrent les trois rois pour chercher le soleil de justice de cui il est escrit: Orianz est ses nous. qui était né, de qui il est écrit: L'orient est chez nous.

XIII SIÈCLF.

Au commencement du XIIIe siècle (1207) vient la chronique historique sous sa forme la plus intéressante. Villehardouin, promoteur de la quatrième croisade, en décrit les incidents merveilleux avec la franchise et le naturel d'un chevalier chrétien. Voici en quels termes il raconte la mort du marquis de Montferrat, le chef de l'entreprise:

Quant il ot (eut) esté (élé) en la terre et il s'en dut partir, li Bougre (les Bulgares) se furent assamblés de la terre, et virent que li marchis (le marquis) estoit (était) à poi (avec peu) de gent, et il vinrent lors de toutes pars, et assaillirent à s'arriere-garde. Et quant li marchis oî (ouït, entendit) le cri, si sailli (il sauta) en un cheval tot (tout) desarmés, un glaive en sa main, et quant il vint là où ils ièrent (allèrent) assamblés à l'arrière-garde, si lor recourut sus et les chacia (chossa) une grant pièce arrieres. La fu ferus (frappé) d'une saiete (flèche) parmi le gros del braz de sos (dessous) l'espaule mortellement, et commencha moult à espandre de sanc. Et cil (ceux) qui furent entor le marchis le sostindrent (soutinrent). de sanc, si ce commencia à pasmer. virent que il n'auroient nulle aïe (aide) mencierent à desconfire, et à le laisser.

Et il perdi moult Et quant ses genz de lui, si ce com

Et cil qui remes

trent (restèrent) avec luy furent mort et li marchis Boniface de Montferrat ot (eut) la teste colpée.1

XIV SIÈCLE.

Près de cent ans après (1300) vient l'histoire d'un des plus grands rois de France, Louis IX dit saint Louis, écrite par son sénéchal, le sire de Joinville. Cette vie de saint Louis pleine de charme et d'abandon, est du plus haut intérêt. Comme exemple de narration voici le départ de la flotte pour la croisade de 1248:

Et en brief tens (temps), le vent se feri (frappa) ou voille (à la voile) et nous ot (eu) tolu (enleré) la veue de la terre que nous ne veismes (cîmes) que le ciel et yeaue (eau); et chascun (chaque) jour nous esloigna (é'oigna) le vent des païs où nous avions esté (élé) nez (nés). En ces choses vous monstre (montre) que celi (celui) est bien fol hardi qui se ose mettre en tel péril où en péchié (péché) mortel; car l'en se dort (l'on s'endort) le soir là ou en (on) ne scet (sait) se l'en se trouvera au fond (fond) de la mer.

XV SIÈCLE.

Vers la fin du XIVe siècle paraît le chroniqueur par excellence, Jean Froissart (1337-1410), bien connu des historiens pour son livre précieux la Chronique de France, d'Angleterre, d'Ecosse et d'Espagne. Il est déjà assez facile à lire, comme le montre l'extrait suivant où il raconte com

1. On comprendra facilement qu'il est tout à fait en dehors du but de ce manuel de faire ressortir les différences d'orthographe.

ment le vieux roi de Bohème, tout aveugle qu'il est, prend part à la bataille de Crécy (1346):

Il entendit par ses gens que la bataille estoit commencée; car quoiqu'il fust là armé et en grand arroi (équipage) si ne véait (voyait)-il goute et estoit aveugle. Lors dist le roy à ses gens une grand' vaillance: "Seigneurs, vous estes mes hommes, mes amis et mes compaignons ; à la journée d'hui je vous prie et resquiers tres-especialement que vous me meniez si avant que je puisse ferir un coup d'espée" Et cils (ceu.r) qui de lès (près de) luy estaient, et qui son honneur et leur avancement aimoient, lui accorderent: si que, pour eux acquitter et qu'ils ne le perdissent en la presse, ils se lierent par les freins de leurs chevaux tous ensemble et mirent le roy leur seigneur tout devant pour mieux accomplir son desir; et ainsi s'en allerent sur leurs ennemis.

XVI SIÈCLE.

La prose historique avait dominé dans les siècles précédents. Avec la Renaissance des arts et des lettres la poésie, qui n'avait cessé de produire, reprend un essor nouveau. C'est l'époque de Ronsard, de Marguerite de Navarre, de la Pléiade, etc.

Cette renaissance, qui commença d'abord en Italie, pénétra en France sous François 1er. Ce roi protecteur des arts avant tout mérita aussi le nom de Père des Lettres. Nous avons de lui la fameuse épigramme écrite avec un diamant sur une des vitres du château de Blois :

Femme souvent varie,
Fol est cil qui s'y fie.

Les auteurs les plus connus de son règne sont le poète Marot et le prosateur Rabelais.

Marot (1495-1544) a réussi surtout dans la poésie badine, comme le témoigne une de ses ballades :

Pour courir en poste à la ville,
Vingt fois, cent fois, ne scay combien;
Pour faire quelque chose vile:
Frère Lubin le fera bien;

Mais d'avoir honneste entretien

Ou mener vie salutaire

C'est à faire à un bon chrétien :

Frère Lubin n'en fera rien.

Pour mettre comme un homme habile

Le bien d'aultrui avec le sien,

Et vous laisser sans croix ne pile :

Frère Lubin le fera bien.

On ha beau dire: Je le tien;

Et le presser de satisfaire,

Jamais ne vous en rendra rien :

Frère Lubin ne le peut faire.

Il presche en théologien ;

Mais pour boire de belle eau claire
Faites-la boire à vostre chien:

Frère Lubin ne le peut faire.

Rabelais (1483-1553) a écrit la Vie de Gargantua et de Pantagruel, une des plus piquantes satires qui aient jamais été publiées; elle est dirigée surtout contre les moines, les pédants et les princes. Sa description des gens de Paris donnée ci-après est des plus vraies et des plus amu

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