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dist in o quid il mi altresi fazet; et ab Ludher nul plaid condition qu'il en fasse autant pour moi; et je ne ferai avec Lothaire numquam prindrai, qui meon vol cist meon fradre Karle in aucun accord qui, par ma volonté, porte préjudice à mon frère Charles damno sit.

ici présent.

Jusque là, et plus tard même, la littérature telle qu'elle pouvait être, était purement latine. Mais sitôt que le peuple eut une langue à lui, ses instincts littéraires, artistiques si l'on veut, se développèrent. Du XIe siècle jusqu'au XVIIe siècle, époque où le français atteignit sa perfection, c'est une floraison riche et perpétuelle d'œuvres agréables et charmantes pour la plupart: on y compte même plusieurs chefs-d'œuvre.

Il n'est pas dans notre cadre de nous attarder à cette littérature naissante dont la langue n'est pas tout à fait la nôtre. Elle a aussi besoin d'études toutes spéciales, en grande partie philologiques. Il sera, néanmoins, curieux et intéressant d'en suivre le développement siècle par siècle dans un choix aussi bref que possible de documents.

Xe SIÈCLE.

Du Xe siècle il reste peu de fragments. Les lignes qui suivent donnent pourtant une idée de la poésie à cette époque, et aussi des changements introduits dans la langue depuis le IXe siècle.

CANTILÈNE DE SAINTE EULALIE.

Buona pulcella fut Eulalia.
Bonne pucelle (fille) fut Eulalie.
Bel avret corps, bellezour anima.
Beau corps elle avait, âme plus belle.

Voldrent la veintre li deo inimi;
Voulurent la vaincre les dieux ennemis;
Voldrent la faire diaule servir;
Voulurent la faire servir le diable;

Elle non eskollet les mals conseillers
Elle n'écouta pas les mauvais conseillers
Qu'elle deo raneiet chi maent su en ciel,
Qu'elle reniât Dieu qui demeure au ciel,
Ne por or ned argent ne paramenz,
Ni pour or, ni argent, ni parure.
Por manatce regiel, ne preismert.
Pour menace royale, ni prière.

Neulle cose non la pouret omqi pleier.

Nulle chose ne la pourrait jamais plier.

Le poème en tout ne contient que vingt-neuf vers.

XI SIÈCLE.

Avec le XIe siècle nous entrons dans un champ des plus riches En fait, à ce siècle appartient l'un des plus beaux poèmes épiques qui existent après l'Iliade d'Homère, auquel il ressemble du reste par ses récits continuels de bataillés, la Chanson de Roland.

Roland est le neveu de Charlemagne, le preux des preux. Charlemagne retournant en France après une expédition en Espagne (788) laisse son arrière-garde sous le commandement de Roland. Le traître Ganelon attire l'élite de l'armée dans un piége. Toutefois, si Roland faisait retentir le son terrible de son oliphant (cor d'ivoire), Charlemagne averti rebrousserait chemin. C'est le conseil du brave Olivier qui dit à Roland:

Cumpainz Rollant, sunez vostre oliphant ;
Compagr.on Roland, sonnez votre olifant;

Si l'orrat Carles qui est as porz passant,
Ainsi l'entendra Charles qui est aux ports passa,
Je vous plevis ja returnerunt Frane!

Je vous jure déjà les Français retourneront!

Mais Roland rejette ce conseil comme insigne :

Ne placet Deu, ço li respunt Rollant,
Ne plaise à Dieu, lui répond Roland,
Que ço seit dit de nul hume vivant
Qu'il soit dit que pour nul homme vivant
Ne pur paien que ja sei jo cornant î

Ni même pour un paien sonnè-je du cor!

une faiblesse

Le combat s'engage: Roland, l'archevêque Turpin, Olivier font des prodiges de valeur, les Francs jonchent le sol de cadavres; mais comme ils succombent sous les coups d'ennemis toujours renaissants, Roland sonne enfin de son cor merveilleux. Le roi accourt. Il n'arrive qu'après la mort du héros; mais celui-ci est vengé par la destruction d'une nouvelle et plus formidable armée d'infidèles et par le supplice du traître Ganelon.

Il suffit d'en citer un épisode. Roland blessé, harassé, se retire pour mourir en paix sous un grand rocher à l'ombre d'un pin. Là il veut briser sa fameuse épée, sa Durandal, de peur qu'elle ne tombe entre les mains des infidèles :

Ço sent Rollant la veue ad perdue ;
Alors sent Roland qu'il a perdu la vue;

Met sei sur piez, quanqu'il poet s'esvertuet;
Il se met sur ses pieds, s'évertue tant qu'il peut;
En sun visage sa couleur ad perdue

En son visage sa couleur a perdue

De devans lui ot une perre brune
De devant lui est une pierre brune

X colps i fiert par doel e par rancune;

Dix coups il (la) frappe par chagrin et par rancune (colère);
Cruist li acers, ne freint ne n'esquigne!;

Grince l'acier, ne se rompt ni ne s'ébrèche;

E dist li quens: "Sancte Marie, aiue!

Et dit le comte: "Sainte Marie, aide!

E, Durandel bone,

Ah! Durandal bonne........

Tantes batailles en camp en ai vencues

Tant de batailles en champ par vous ai gagnées (vaincues)

Que Charles tient ki la barbe ad canue

Que Charles tient qui a la barbe chenue

Ne vos ait hume ki pur altre fuite?

Que ne vous ait (un) homme qui fuit devant un autre?

C'est cette chanson que chantait le jongleur ou barde Taillefer à la tête de l'armée de Guillaume le Conquérant avant la bataille de Hastings.

LES TROUBADOURS.

La Chanson de Roland, qui ne contient pas moins de 4,000 vers, appartient à la langue des trouvères, à la langue d'oïl (oui) parlée au nord de la Loire. Ce fleuve romantique divisait alors la France en deux nations en quelque sorte. Au nord un ciel moins éclatant, un peuple au caractère enjoué sans doute mais, par comparaison, plus sérieux, plus âpre au travail. Au sud, une population vive, insouciante, gaie comme son ciel brillant, ses campagnes ensoleillées: son idiome avait pris des assonances plus douces, plus musicales. C'était la langue d'oc, la langue des troubadours. Ces troubadours étaient des seigneurs ou des chevaliers qui célébraient la beauté de

leurs dames et les exploits des preux.

Seuls ou accompa

gnés d'un ménestrel, ils allaient de château en château, récitaient ou chantaient leurs poésies au son d'un instrument. Richard Coeur-de-Lion, roi d'Angleterre, a été un des plus notables troubadours. Leur poésie était naturellement toute lyrique, gaie, facile, composée presque toute de chansons d'amour.

L'ère des troubadours ne dura pas longtemps: elle se termina à peu près1 lors de la croisade contre les Albigeois (1272) qui réunit la province de Languedoc au royaume de France.

LES TROUVÈRES.

Les trouvères ressemblaient assez aux bardes écossais, mais à des bardes voyageurs. "Pour concevoir l'empressement qu'on mettait à recevoir ces hôtes ingénieux, il faut se figurer la solitude et les longs ennuis des demeures féodales. Sur le sommet d'une colline d'un accès difficile s'élevait un château isolé, fermé de hautes murailles, où d'étroites meurtrières admettaient un jour pâle et triste. Tout autour, de misérables chaumières, des paysans grossiers et tremblants; au dedans la châtelaine avec ses filles entourées de jeunes pages nobles sans doute, quelquefois gracieux, mais toujours ignorants comme elles. Les fils de la maison servent eux-mêmes comme pages dans un autre château. Quant au seigneur, il excelle à donner et à recevoir de grands coups de glaive, à monter un ardent destrier et à boire de grands hanaps de vin. Que faire en un tel gîte sinon la guerre ou l'amour? à moins d'imiter l'une et de raconter l'autre, de donner des tournois, ou d'écouter des jongleurs? Aussi lorsque pen

1. L'idiome provençal persista cependant; il existe encore de nos jours et a produit, même en ce siècle, de grands poètes, Jasmin et Mistral, dont les noms sont bien connus en France.

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