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constatant les défrichements qui s'y sont faits et l'aisance qui y règne. Il y a quelque trente ans, alors que cette paroisse était naissante, on prenait pitié des colons qui s'y dirigeaient, la poche sur le dos et la hache au côté : c'était l'avoir de plusieurs d'entre eux. Aujourd'hui ils sont presque tous des cultivateurs indépendants, quelques-uns sont riches et leurs enfants sont établis à côté d'eux, avec chacun un lot de cent acres, quelquefois avec plusieurs de ces lots.

Ils jouissent de tous les bienfaits de l'organisation municipale qui offre aux citoyens une somme considérable de liberté.

Il faut que je parle d'une espièglerie de mon temps. Je n'y ai pas pris part, mais je suis tout de même coupable d'en avoir ri. C'est pourtant une affaire effrayante. Et qui fait voir comme on est étourdi à un certain âge !

Il y avait alors, au petit village de St-Sauveur un farceur de marchand qui aimait à jouer des tours, mais des tours à faire tordre le cou...! Pendant les fêtes de... disons 1864, nous étions en promenade à cet endroit lorsqu'il nous prit fantaisie d'aller avec ce diable de marchand, pour ne pas dire plus, chercher au grand village un voyage de paille. Quel plaisir de revenir sur ce meulon et de descendre la grande côte qui sépare les deux endroits! Le marchand, à qui appartenait la traîne à bâtons, s'était bien galamment constitué le cocher et poliment avait donné les places d'honneur à ses invités. Il n'avait pas plutôt pris la côte que l'imbécile, puisqu'il faut parler net, mit le feu au voyage de paille, et lança son cheval au galop. L'histoire de faire tuer ses amis, tout simplement. Car, comme bien l'on pense, il fallut déguerpir, et sans les délais réservés par le code au plus gredin des locataires. Heureusement qu'une épaisse couche de neige permit aux excursionnistes de sauter à bas sans danger. Mais vous voyez d'ici l'équi

page qu'emportait la bête, je devrais dire les deux. Heureusement, il faut le dire par charité, que ce ne fut qu'un feu de paille et que le vent l'éteignit avant son entière consommation. Et de rire à gorge déployée. Le farceur n'en fut pas quitte, car si je me rappelle bien, on lui fit payer quelque chose !!!

Mais continuons notre route. Il est midi passé, et il faut aller camper à Ste-Agathe.

VII

STE-ADÈLE.

CHANSON.

L'HONORABLE

SOMMAIRE: EN ROUTE POUR STE-ADÈLE.-L'INDUSTRIEL MATTE.-
LE CHEMIN DE FER.
JUGE MORIN. LES NOTABILITÉS DE STE-ADÈLE. LEUR
INFLUENCE SUR LE PEUPLE. - LES CANADIENS LISENT PEU, MAIS
OBSERVENT. LETTRE DU DR GRIGNON. L'ÉTAT GÉOLOGIQUE
DU CANTON MORIN. - UNE FARCE A PROPOS DE MÉTAUX. — LES
CRÉTINS.

amoureux.

REMÈDE.

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De St-Sauveur à Ste-Adèle, la route est pittoresque. On parle beaucoup de la Suisse, dont les montagnes, les vallées, les glaciers enchantent les voyageurs et font rêver les C'est grandiose, certes, et j'avoue que c'est le seul pays, avec Venise, que les illusions ne m'avaient pas fait entrevoir autrement que je l'ai vu à vingt-deux ans. Mais si nos montagnes du Nord étaient, comme celles de l'Helvétie, ornées de grands hôtels placés dans de beaux sites, près des lacs, où les voyageurs trouveraient avec le logis pour leurs familles, des appareils de pêche, des embarcations, des bains, des montures pour faire des ascensions sur les pics qui dominent la plaine, des guides pour visiter les grottes, dont quelques-unes sont féeriques, enfin ce qui, pendant un séjour à la campagne, répond aux exigences des citadins en santé et surtout des malades, je ne doute pas qu'une foule de personnes ne s'y rendissent en villégiature. Et ce séjour, je le dis sans médire, serait souvent préférable à celui des bords de la mer où bien des personnes faibles vont grelotter une partie de l'été, tandis qu'un air calme et serein conviendrait bien mieux à leurs faibles poumons ou à leurs bronches irritées. Ce que c'est que la confiance ! Il y a de bonnes âmes qui vont à la mer parce que leur médecin leur a dit que c'est salubre. Passe pour une première fois, elles en reviennent plus mal, mais elles y retournent tant qu'elles ne sont pas exténuées. Vous

voyez des personnes dyspeptiques qui persistent à manger d'un met auquel leur estomac est rebelle, parce que leur médecin, qui a vu ça dans un livre, leur a dit qu'il leur convenait. Qu'on me permette donc une grosse malice : le chien et le chat sont plus intelligents; ils ne mangent plus de ce qui leur a fait mal une fois. Le bœuf qui se fait piquer par les moustiques s'approche de la fumée qui les éloigne; le cheval fuit l'ombre pour rechercher l'endroit exposé au soleil, afin de se débarrasser des mouches qui le tracassent.

Quoi qu'il en soit, il y a dans nos montagnes des séjours calmes où l'âme fatiguée peut respirer tranquillement loin des émanations fétides, où les poumons délicats peuvent se réconforter, où les constitutions débiles peuvent se tonifier, dans des bains d'air pur. Et, je n'en doute pas, la science fera découvrir des sources d'eaux minérales qui s'offrent depuis longtemps à l'attention des valétudinaires. Et pourquoi le fer qui suinte des montagnes, et le souffre qui flotte sur les mares n'auraient-ils pas été recueillis en dissolution par le Suprême Chimiste dans des réservoirs creusés au sein de son vaste laboratoire? Toutefois, tenezvous-le pour dit, lecteurs et surtout lectrices que la nature ou l'art a rendus rachitiques, scrofuleux, goutteux, rhumatisants, etc., vous trouverez dans les Laurentides, comme dans les Alpes, et mieux qu'à Orchard Beach ou à Cacouna, l'air pur, l'eau limpide, les délassements de la campagne, pourvu bien entendu, que vous n'y passiez pas partie de vos nuits à danser, jouer, boire ou manger. Contre ce dernier régime, je vous en donne mon billet, aucun séjour ne tiendra... si ce n'est le séjour des morts où encore vous ne resterez qu'à condition de vous tenir tranquilles, enfin. Pas nécessaire, jeunes garçons et jeunes filles, en allant là, de déposer à la porte vos sentiments, vos amours. Non, Car dans ces grandes forêts aux chevelures si abon

non.

dantes, dans ces montagnes aux formes si gracieuses, sur ces lacs profonds à la sérénité si candide, le cœur s'ouvre mieux, on rêve mieux à celle qui est belle comme la nature, à celui qui est fier et loyal comme ces bois de la colline couronnée de chênes et d'érables. Oui, il y a là de quoi répondre aux aspirations d'âmes ardentes qui cherchent le beau et veulent se ressouvenir. Aussi entonnions-nous quelquefois, mes compagnons et moi, lorsque nous étions au, sommet de ces collines altières, ce vieux soupir Normand bien connu de nos pères :

"J'ai vu les champs de l'Italie
Et Venise et ses gondoliers.
J'ai vu les champs de l'Helvétie
Et ses chalets et ses glaciers.
En saluant chaque patrie,

Je me disais : aucun séjour
N'est si beau que ma Normandie,
C'est le pays qui m'a donné le jour."

En voyant ces silencieux rochers abrupts que l'on aperçoit sur la route de Ste-Adèle et qui semblent attendre qu'on les fasse parler, je me suis demandé pourquoi on ne s'en servirait pas pour élever des monuments impérissables à la gloire de nos hommes éminents, de ceux qui ont travaillé au bonheur de leurs compatriotes et surtout de ces zélés apôtres de la colonisation ?

J'ai vu de ces pics qui se tiennent là debout, défiant les orages, et qui dans leur imposante majesté raconteraient merveilleusement les œuvres de nos bienfaiteurs. Ils nous rappelleraient ces grands orateurs Hurons ou Iroquois qui se levaient fièrement au milieu de leur tribu pour chanter les faits d'armes des héros disparus. J'ai vu sur le flanc de ces grands fantômes cuirassés de granit, des blocs fièrement exposés et pouvant contenir en grosses lettres les noms bénis de nos Canadiens qui se sont sacrifiés pour l'avancement de la colonisation : les Morin, les Labelle, les Brassard, les Provost, les Moreau, et tant d'autres dont les noms

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