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Vous devez avoir trouvé ça dur de travailler ainsi à la terre neuve.

Moins que vous le pensez, monsieur. Croyez-vous que ce soit bien doux dans les boutiques, en ville, de mener la varlope ou le rabot? On commence à sept heures du matin et l'on finit à six heures du soir, conduit par un contremaître, qui n'est pas toujours humain. Si vous perdez une heure, on vous la décompte. Et puis cette idée qui vous poursuit sans cesse de travailler au jour le jour sans espoir d'être jamais au-dessus de vos affaires, fatigue un homme de cœur, allez. Ici je travaille fort, sans doute, mais ce n'est pas plus fatigant de bûcher, une fois accoutumé, que de travailler de la menuiserie; quand le soleil chauffe d'un côté de l'arbre que j'abats, je me mets de l'autre. Et puis si je veux me reposer pendant une heure, je me repose. Surtout je travaille sous l'empire de cette idée fixe que chaque pied que je défriche est à moi, et me rapportera de quoi vivre, de quoi établir ma famille.

Voilà ce que cet homme nous racontait, et c'est le langage du bon sens.

Outre le grand chemin Chapleau une autre grande voie, le chemin Boileau, traverse le canton Marchand, de la Rivière Rouge à la traverse de l'Annonciation, jusqu'au grand Nominingue.

Le gouvernement vient d'y faire de grandes réparations et l'on a dirigé ce chemin Boileau sur une lande de terre du grand Nominingue, au moyen d'un pont d'une centaine de pieds, ce qui raccourcit la distance entre l'Annonciation, qui est sur la Rouge et St-Ignace du Nominingue, d'environ deux milles. C'est un sérieux item, vu que c'est au Nominingue qu'on va au moulin et qu'on va quérir les services du prêtre.

XV

SOMMAIRE: LE NOMININGUE.

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- LES RÉFLEXIONS QU'IL INSPIRE. LE REV. P. MARTINEAU. LE PRESBYTÈRE, LA CHAPELLE. VEILLÉE A LA PORTE. - RÉFLEXIONS SUR LA PLURALITÉ DES MONDES.-LE FRÈRE CHENARD. SOUS LA TENTE. LES MARINGOUINS, LES MOUSTIQUES ET LES BRULOTS. L'EXPLORATEUR BUREAU.-LES PUNAISES. - LES CRIS-CRIS COMME REMÈDE A L'HYDROPISIE. LE CANTON LORANGER ET SES LACS. 1.ES JÉSUITES. - LES SŒURS DE SAINTE-CROIX. - LE CASTOR. - LE RAT MUSQUÉ.

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La route quoique belle commençait à paraître longue. A tout moment nos jeunes écoliers se demandaient en voyant poindre une nappe d'eau à travers les arbres: est-ce le Nominingue? Et nous montions et nous descendions.

Tout à coup du haut d'une colline nous apercevons devant nous une petite mer encadrée à l'Ouest de montagnes en pente douce, couvertes de bois franc; au Nord d'un pic de rochers abrupts et d'une vallée fertile; au Nord-Est par une plage couverte de bois résineux.

C'est le Nominingue!!! Mais le petit Nominingue, qui est à un mille environ du Grand Nominingue, dans lequel il se décharge.

Il fallait nous entendre faire retentir l'air de cris de joie en apercevant ce lac après lequel nous courions depuis quatre jours! Les colons des alentours étaient étonnés d'entendre un tel vacarme et les chevaux semblaient comprendre qu'on arrivait au terme du voyage.

Pour paraître moins farouches nous entonnâmes la chanson: "A St-Malo, beau port de mer" et les montagnes répétaient après nous en cadence "Nous irons sur l'eau, nous y prom, promener, nous irons jouer dans l'île." C'était à propos, car ce lac contient quatorze belles îles.

Nous traversons la décharge sur un pont solide, et

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nous voilà chez nous, dans la presqu'île formée par le Grand et le Petit Nominingue et où se trouvait l'établissement des Rév. Pères Jésuites. Hip, hip, Hourra!

Ce hip, hip, donna à Louis l'idée de chanter:

Yankee Dool quiens toi ben
J'entends de la missique ;
Ce sont les Américains

Qui vont dans les townships, hip! hip!

"Le lac Nominingue, qui occupe à peu près le centre de la région de l'Outaouais, dit M. Drapeau, est situé sur la même ligne que Les Trois Rivières, mais beaucoup plus à l'Ouest, ce qu'il importe de noter, car on sait que le climat s'adoucit à mesure que l'on avance vers l'Ouest.

Le Petit Nominingue, dentelé de quelques pointes qui nous en cachent l'étendue, a environ quinze milles de tour. La rive Est, que nous longeons l'espace de deux arpents, est couverte d'un sable propre au mortier. La plage se prolonge loin dans les flots, où l'on peut mener une voiture à plusieurs perches du bord.

Les eaux du Petit Nominingue sont profondes dans la partie Ouest, où le rivage est taillé à pic. Les poissons y abondent, surtout le brochet, la barbotte, et le poisson blanc.

Nous nous acheminons, par une route sablonneuse, ombragée de pins, de sapins et de cèdres vers la résidence des Rév. Pères Jésuites, située sur une colline, à environ trois milles de la décharge du Petit Nominingue. C'est le point d'observation le plus élevé des environs, et le panorama qu'il offre est merveilleux. On aperçoit de ce lieu le Grand Nominingue, qui en est à 12 acres, et qui a 30 milles de tour. C'est le Roi des Lacs du Nord, et bien couronné de forêts tressées des essences les plus variées : depuis le modeste buis jusqu'au majestueux pin; depuis le faible coudrier jusqu'au merisier robuste. Les montagnes qui l'enlacent y descendent tranquillement en s'y baignant

les pieds, sur lesquels à une grande distance les eaux se jouent sans les cacher profondément. Des bouquets d'arbres coquets sortent de temps à autres de ce jardin liquide, où les plantes aquatiques croissent caressées par les eaux qu'une brise perpétuelle ride sans cesse. Les rochers de ses bords, léchés par la vague, en rendent l'aspect parfois sévère comme le front d'un vieillard dont l'existence a été orageuse, mais qui sourit aux générations sorties de sa source. Le Grand Nominingue se décharge dans la Rivière Rouge et lui paie un tribut généreux, en gonflant son sein devenu voie de communication flottable. D'où lui vient le nom de Nominingue? Nominingue veut dire en langue Iroquoise peinture rouge. De fait on trouve encore une espèce de craie avec laquelle les Sauvages se tatouaient, et dont quelques colons se servent aujourd'hui pour peinturer leurs bâtiments. C'est peut-être de cet incident que la Rivière Rouge tire son nom.

Ce lac devait être connu sous la domination française, et les anciens missionnaires ont dû voguer sur ses eaux. Aussi semble-t-on voir sur l'une de ses pointes, la plus rapprochée de la Rouge, des restes de fortifications en cailloux. Ce Ce que c'est que les destinées humaines! voilà plus de deux cents ans peut-être que les Jésuites accompagnaient les sauvages sur ces lacs semés par delà des Laurentides, et voilà qu'en 1880 ils s'en vont retrouver les jalons qu'ils y ont alors plantés.

Ce n'est pas sans une profonde émotion que l'on aperçoit le théâtre des exploits de nos missionnaires. Et qui sait si les PP. Jogues ou l'Allemand n'y ont pas fumé le calumet de la paix et n'y ont pas assisté à une levée de boucliers ? On interroge la brise qui caresse la feuillée des vieux témoins de ces scènes anciennes, on cherche à surprendre une attestation dans les sables que la vague respecte, on demande aux rochers l'impression qu'y ont laissée les

habitants d'alors. On nous répond sans doute, mais c'est un langage incompris de la génération qui passe; les traces qu'ont laissées les pieds des coureurs des bois sont effacées; mais l'histoire avec sa grande et impérissable voix nous dit que partout où l'indien a conduit son canot, le missionnaire l'a suivi.

Où sont les générations qui ont visité ces lieux, qui ont combattu sur ces plages? Peut-être nos ancêtres, qui étaient des guerriers, y ont-ils brandi l'épée ou tiré du mousquet. Tous sont ensevelis dans le sein du sol qui les a vus naître. Tous sont retournés en terre pour se métamorphoser en plantes d'une variété infinie. Est-ce leur chant que l'on entend à l'aube, dans les branches des grands bois, quand la brise y passe? Sont-ce leurs plaintes qui s'échappent de la poitrine des gros pins quand le vent les agite? Sont-ce leurs sanglots qui s'échappent des creux des rochers quand la foudre y gronde? Sont-ce leurs soupirs que poussent les ondes qui se balancent sur la rive des eaux? Sont-ce leurs larmes qui coulent lentement des ruisseaux autour de la grande nappe? Mystère ! Mystère ! Une seule chose est certaine, c'est que tous ces corps métamorphosés ressusciteront au printemps de l'éternité, comme le brin d'herbe au printemps des saisons. Tout ce qu'il y a de certain, c'est que si c'est un champ des morts, le décorateur en a dressé les dessins avec un goût expressif. Autour de la vaste fontaine se croisent des étangs et des ruisseaux, qui, en cascades capricieuses, s'y rendent à travers les sombres cyprès et les saules en pleurs; les montagnes accidentées des ombres du nuage, en descendent doucement; des avenues tortueuses, donnent à leurs flancs un mystérieux aspect où se dérobe le lit d'une rivière ou d'un ruisseau, sur lesquels sont couchés les cadavres des arbres récemment tombés. Les bêtes qui vivent dans ces séjours tranquilles y courent en liberté, mais sans bruit; les tertres y sont

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