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Mais que de deux marauds la surprise infidèle
Ait terminé ses jours d'une tragique mort;
En cela ma douleur n'a point de réconfort,
Et tous mes sentiments sont d'accord avec elle.

O mon Dieu, mon Sauveur, puisque par la raison
Le trouble de mon âme étant sans guérison,
Le vœu de la vengeance est un vœu légitime,

Fais que de ton appui je sois fortifié;
Ta justice t'en prie, et les auteurs du crime
Sont fils de ces bourreaux qui t'ont crucifié!

XXIX.

SUR LA MORT D'UN GENTILHOMME

QUI FUT ASSASSINÉ.

Belle âme, aux beaux travaux sans repos adonnée,
Si parmi tant de gloire et de contentement
Bien te fâche là-bas, c'est l'ennui seulement
Qu'un indigne trépas ait clos ta destinée.

Tu penses que d'Ivry la fatale journée,
Où ta belle vertu parut si clairement,
Avecque plus d'honneur et plus heureusement
Aurait de tes beaux jours la carrière bornée.

Toutefois, bel esprit, console ta douleur; Il faut par la raison adoucir son malheur, Et telle qu'elle vient prendre son aventure.

Il ne se fit jamais un acte si cruel :
Mais c'est un témoignage à la race future
Qu'on ne t'aurait su vaincre en un juste duel.

qui se trouve entre ces deux écrivains, et on a prétendu que ce qui avait donné lieu à la méprise de Voltaire, c'est que le nom de Piles était commun à M. de Clermont, l'une des victimes de la funeste journée de Saint-Barthélemy, et à Ludovic de Fortia, assassin du jeune Malherbe, et frère puîné de Paul de Fortia, gouverneur de Marseille.

LIVRE CINQUIÈME.

POÉSIES DIVERSES

ET FRAGMENTS.

I.

SUR LE PORTRAIT D'ÉTIENNE PASQUIER,

AVOCAT AU PARLEMENT DE PARIS,

QUE L'ON AVAIT PEINT SANS MAINS.

1585.

Il ne faut qu'avec le visage

L'on tire tes mains au pinceau : Tu les montres dans ton ouvrage, Et les caches dans le tableau.

II.

FRAGMENTS.

AUX OMBRES DE DAMON.

1604.

L'Orne comme autrefois nous reverrait encore
Ravis de ces pensers que le vulgaire ignore,
Égarer à l'écart nos pas et nos discours;
Et couchés sur les fleurs, comme étoiles semées',
Rendre en si doux ébat les heures consumées,

Que les soleils3 nous seraient courts.

Mais, ô loi rigoureuse à la race des hommes !
C'est un point arrêté que tout ce que nous sommes,
Issus de pères rois et de pères bergers,

La Parque également sous la tombe nous serre;
Et les mieux établis au repos de la terre
N'y sont qu'hôtes et passagers.

Tout ce que la grandeur a de vains équipages,
D'habillements de pourpre et de suite de pages,
Quand le terme est échu, n'allonge point nos jours.
Il faut aller tout nus où le destin commande;

'Rivière qui passe à Caen. Elle est désignée dans Ptolomée sous le nom de öλeva, dont on a fait le mot Orne. (MÉN.)

2 Les fleurs ont été appelées par les poëtes les étoiles de la terre; on peut de même appeler les étoiles les fleurs du ciel. (MÉN.)

3 C'est-à-dire les jours. (MÉN.)

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Mais quoi! c'est un chef-d'œuvre où tout mérite
Un miracle du ciel, une perle du monde, [abonde,
Un esprit adorable à tous autres esprits;
Et nous sommes ingrats d'une telle aventure,
Si nous ne confessons que jamais la nature
N'a rien fait de semblable prix.

J'ai vu maintes beautés à la cour adorées,
Qui, des vœux des amants à l'envi désirées,
Aux plus audacieux ôtaient la liberté :
Mais de les approcher d'une chose si rare,
C'est vouloir que la rose au pavot se compare,
Et le nuage à la clarté.
Celle à qui dans mes vers,

sous le nom de Nérée',

1 Cette stance est admirable, à dessous près, qui est un adverbe, et dont Malherbe a fait une proposition. (CHEVREAU.) 'Nérée est ici l'anagramme de Rénée, qui, d'après ce que j'ai ouï dire, était le nom d'une dame de Provence. Depuis que

J'allais bâtir un temple éternel en durée,

Si sa déloyauté ne l'avait abattu',

Lui peut bien ressembler du front, ou de la joue; Mais quoi! puisqu'à ma honte il faut que je l'avoue, Elle n'a rien de sa vertu.

L'âme de cette ingrate est une âme de cire,
Matière à toute forme, incapable d'élire,
Changeant de passion aussitôt que d'objet ;
Et de la vouloir vaincre avecque des services,
Après qu'on a tout fait, on trouve que ses vices
Sont de l'essence du sujet.

Souvent de tes conseils la prudence fidèle
M'avait sollicité de me séparer d'elle,

Et de m'assujettir à de meilleures lois :
Mais l'aise de la voir avait tant de puissance
Que cet ombrage faux m'ôtait la connaissance
Du vrai bien où tu m'appelais.

Enfin, après quatre ans, une juste colère

Que le flux de ma peine a trouvé son reflux :
Mes sens qu'elle aveuglait ont connu leur offense;
Je les en ai purgés, et leur ai fait défense
De me la ramentevoir plus.

La femme est une mer aux naufrages fatale;
Rien ne peut aplanir son humeur inégale;
Ses flammes d'aujourd'hui seront glaces demain :
Et s'il s'en rencontre une à qui cela n'avienne,
Fais compte, cher esprit, qu'elle a, comme la tienne,
Quelque chose de plus qu'humain.

III.

SUR ML MARIE DE BOURBON'.

1610.

N'égalons point cette petite
Aux déesses que nous récite
L'histoire des siècles passés :
Tout cela n'est qu'une chimère;
Il faut dire, pour dire assez :
Elle est belle comme sa mère.

René, roi de Sicile, a possédé cette province, à titre de comte, son nom y est en effet devenu fort commun. - Les poètes déguisent d'ordinaire sous des anagrammes les véritables noms de leurs maitresses. Ainsi du Bellay, par un renversement de lettres, a appelé Olive, sa maitresse dont le nom était Viole. (MÉN.)

On objecte que la déloyauté de Nérée ne peut pas avoir abattu ce temple, puisqu'il n'était pas encore bati: on répond qu'il était bati dans l'esprit du poëte, et que c'est là que la déloyauté de la nymphe l'a abattu. (MÉN.)

Fille de François de Bourbon, prince de Conti, et de Louise-Marguerite de Lorraine, fille de Henri I, duc de Guise.

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VII.

AU NOM DE M. PUGET, POUR SERVIR DE DÉDICACE A L'ÉPITAPHe de sa feMME.

1614.

Belle âme qui fus mon flambeau, Reçois l'honneur qu'en ce tombeau Je suis obligé de te rendre.

1614.

Ames pleines de vent, que la rage a blessées, Connaissez votre faute, et bornez vos pensées En un juste compas;

Attachez votre espoir à de moindres conquêtes :
Briare avait cent mains, Typhon avait cent têtes',
Et ce que vous tentez leur coûta le trépas.

Soucis, retirez-vous, faites place à la joie,
Misérable douleur dont nous sommes la proie;
Nos vœux sont exaucés.

Les vertus de la reine et les bontés célestes
Ont fait évanouir ces orages funestes,
Et dissipé les vents qui nous ont menacés.

IX. FRAGMENT.

1614.

Allez à la malheure2, allez, âmes tragiques, Qui fondez votre gloire aux misères publiques, Et dont l'orgueil ne connaît point de lois; Les fléaux de la France et les pestes du monde. Jamais pas un de vous ne reverra mon onde, Regardez-la pour la dernière fois.

X.

FRAGMENT.

1614.

O toi, qui d'un clin d'œil, sur la terre et sur l'onde,

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Fais trembler tout le monde,

Briare, ou plutôt Briarée, car c'est ainsi qu'il faut l'appeler, avait cent mains. Apollodore dit qu'outre ses cent mains, it avait cent tètes. Pour Typhon, il n'avait qu'une tête dont il touchait les cieux, mais au bout de ses deux mains, dont l'une pouvait atteindre à l'orient et l'autre à l'occident, il avait, suivant le même auteur, cent têtes de dragon, et on prétend que c'est là ce que notre poëte a voulu dire; je ne le pense pas. (MÉN.)

2 Ce mot a subi toutes les vicissitudes de la langue : formé du latin mala hora, il s'écrivit d'abord male heure, puis mal'heure, ensuite malheure; enfin il perdit son e muet final, et changea de genre sans changer de signification. Il ne lui reste plus qu'à perdre la lettre médiane pour devenir tout à fait méconnaissable. Ce retranchement sera un des premiers indices de la décadence de notre langue.

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Où mon peu de lumière est si près du couchant,
Quand je verrais Hélène, au monde revenue
En l'état glorieux où Paris l'a connue,
Faire à toute la terre adorer ses appas,
N'en étant point aimé, je ne l'aimerais pas.
Cette belle bergère, à qui les destinées
Semblaient avoir gardé mes dernières années,
Eut en perfection tous les rares trésors
Qui parent un esprit et font aimer un corps :
Ce ne furent qu'attraits, ce ne furent que charmes ;
Sitôt que je la vis je lui rendis les armes,

Un objet si puissant ébranla ma raison;
Je voulus être sien, j'entrai dans sa prison,
Et de tout mon pouvoir essayai de lui plaire,
Tant que ma servitude espéra du salaire.
Mais comme j'aperçus l'infaillible danger
Où, si je poursuivais, je m'allais engager,
Le soin de mon salut m'ôta cette pensée;
J'eus honte de brûler pour une âme glacée,
Et, sans me travailler à lui faire pitié,
Restreignis mon amour aux termes d'amitié.

XXI. FRAGMENT

A M. LE CARDINAL DE RICHELIEU '.

1624.

Grand et grand prince de l'Église, Richelieu, jusques à la mort,

Quelque chemin que l'homme élise,

Il est à la merci du sort.

Nos jours filés de toutes soies

Ont des ennuis comme des joies;

Et de ce mélange divers

Se composent nos destinées,

Comme on voit le cours des années Composé d'étés et d'hivers.

Tantôt une molle bonace

Nous laisse jouer sur les flots;

Tantôt un péril nous menace,

Plus grand que l'art des matelots : Et cette sagesse profonde

c'est que de vers, pour ne connaitre pas que ceux-là sont de ma façon. Si vous en goûtez la rime, goûtez-en encore mieux la raison. » Il est à remarquer que ces vers sont les seuls que Malherbe ait faits en rime plate. (MÉN. )

1 Malherbe avait composé ces deux stances plus de trente ans avant que le cardinal de Richelieu, auquel il les adressa, fút cardinal, et il en changea seulement les quatre premiers vers pour les accommoder à son sujet; mais le cardinal de Richelieu, qui avait connaissance que ces vers n'avaient pas été faits pour lui, ne les reçut pas agréablement quand on les lui présenta : ce qui fit que Malherbe ne les continua pas. (MÉN.)

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