Page images
PDF
EPUB

S'il ne la possède

Il s'en va mourir; Donnons-y remède,

Allons la querir.

Assemblons, Marie,
Ses yeux à vos yeux :
Notre bergerie
N'en vaudra que mieux.

Hâtons le voyage;
Le siècle doré

En ce mariage

Nous est assuré.

VI.

POUR M. LE DUC DE BELLEGARDE.

1616.

Mes yeux, vous m'êtes superflus :
Cette beauté qui m'est ravie
Fut seule ma vue et ma vie :
Je ne vois plus ni ne vis plus.
Qui me croit absent, il a tort;
Je ne le suis point, je suis mort.

O qu'en ce triste éloignement,
Où la nécessité me traîne,

Les dieux me témoignent de haine,
Et m'affligent indignement!
Qui me croit absent, il a tort;
Je ne le suis point, je suis mort.
Quelles flèches a la douleur
Dont mon âme ne soit percée ?
Et quelle tragique pensée
N'est peinte en ma pâle couleur?
Qui me croit absent, il a tort;
Je ne le suis point, je suis mort.

Certes, où l'on peut m'écouter
J'ai des respects qui me font taire;
Mais en un réduit solitaire
Quels regrets ne fais-je éclater!
Qui me crcit absent, il a tort;
Je ne le suis point, je suis mort.

Quelle funeste liberté

Il s'agit peut-être ici de la jeune reine Anne d'Autriche, femme de Louis XIII. Le duc de Bellegarde, qui n'avait pas craint d'être le rival de Henri IV auprès de la belle Gabrielle, était bien capable de former des vœux téméraires pour cette princesse. (ST-MARC.)

Ne prennent mes pleurs et mes plaintes, Quand je puis trouver à mes craintes

Un séjour assez écarté!

Qui me croit absent, il a tort;

Je ne le suis point, je suis mort.

Si mes amis ont quelque soin De ma pitoyable aventure, Qu'ils pensent à ma sépulture; C'est tout ce de quoi j'ai besoin. Qui me croit absent, il a tort; Je ne le suis point, je suis mort.

VII.

POUR LE MÊME.

1616.

C'est assez, mes désirs, qu'un aveugle penser
Trop peu discrètement vous ait fait adresser
Au plus haut objet de la terre;
Quittez cette poursuite, et vous ressouvenez
Qu'on ne voit jamais le tonnerre

Pardonner au dessein que vous entreprenez.

Quelque flatteur espoir qui vous tienne enchantés,
Ne connaissez-vous pas qu'en ce que vous tentez
Toute raison vous désavoue,

Et que vous allez faire un second Ixion 2
Cloué là-bas sur une roue

Pour avoir trop permis à son affection?

Bornez-vous, croyez-moi, dans un juste compas,
Et fuyez une mer qui ne s'irrite pas
Que le succès n'en soit funeste.
Le calme jusqu'ici vous a trop assurés,
Si quelque sagesse vous reste,
Connaissez le péril, et vous en retirez.

Mais, ô conseil infâme! ô profanes discours
Tenus indignement des plus dignes amours
Dont jamais âme fut blessée!

Quel excès de frayeur m'a su faire goûter
Cette abominable pensée

Que ce que je poursuis ne peut assez coûter?
D'où s'est coulée en moi cette lâche poison 3

1 Cette chanson et celle qui suit étaient destinées à M. de Bellegarde, alors amoureux d'une dame de la plus haute con dition qui fût en France, et même en Europe. (MEN.)

2 Ixion, puni dans les enfers pour avoir attenté à Junon. 3 Du temps de Malherbe, et avant lui, poison s'employait ordinairement au féminin; ce qui était plus conforme à l'étymologie, puisqu'il vient de potio. - L'usage a également pré

D'oser impudemment faire comparaison

De mes épines à mes roses;

Moi de qui la fortune est si proche des cieux,

Que je vois sous moi toutes choses,

Et tout ce que je vois n'est qu'un point à mes yeux ?

Non, non, servons Chrysante; et, sans penser à moi,
Pensons à l'adorer d'une aussi ferme foi

Que son empire est légitime.
Exposons-nous pour elle aux injures du sort;

Et, s'il faut être sa victime,

En un si beau danger moquons-nous de la mort.

Ceux que l'opinion fait plaire aux vanités
Font dessus leurs tombeaux graver des qualités
Dont à peine un dieu serait digne;

Moi, pour un monument et plus grand et plus beau,
Je ne veux rien que cette ligne :

L'EXEMPLE DES AMANTS EST CLOS DANS CE TOMBEAU.

VIII.

A RODANTHE'.

1623.

Chère beauté que mon âme ravie
Comme son pôle va regardant,

Quel astre d'ire et d'envie

Quand vous naissiez marquait votre ascendant,

Que votre courage endurci,

Plus je le supplie, moins ait de merci ?

En tous climats, voire au fond de la Thrace,

Après les neiges et les glaçons,

Le beau temps reprend sa place, Et les étés mûrissent les moissons :

Chaque saison y fait son cours;

En vous seule on trouve qu'il gèle toujours.

J'ai beau me plaindre et vous conter mes peines, Avec prières d'y compatir;

J'ai beau m'épuiser les veines,

Et tout mon sang en larmes convertir;

Un mal au deçà du trépas,

Tant soit-il extrême, ne vous émeut pas.

Je sais que c'est vous êtes offensée,

valu sur l'étymologie, pour le mot navire, et ces deux exemples peuvent servir à réfuter ce que dit M. de Vaugelas, que notre langue préfère le féminin au masculin. (MÉN.)

1 Sous ce nom, Malherbe désigne Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet. Cette chanson fut faite sur un air donné; ce qui peut expliquer l'irrégularité du dernier vers de chaque couplet.

Comme d'un crime hors de raison, Que mon ardeur insensée En trop haut lieu borne sa guérison; Et voudriez bien, pour la finir, M'ôter l'espérance de rien obtenir.

Vous vous trompez : c'est aux faibles courages Qui toujours portent la peur au sein

De succomber aux orages,

Et se lasser d'un pénible dessein.
De moi, plus je suis combattu,

Plus ma résistance montre sa vertu.

Loin de mon front soient ces palmes communes Où tout le monde peut aspirer;

Loin les vulgaires fortunes,

Où ce n'est qu'un, jouir et désirer.

Mon goût cherche l'empêchement;

Quand j'aime sans peine, j'aime lâchement.

Je connais bien que dans ce labyrinthe Le ciel injuste m'a réservé

Tout le fiel et tout l'absynthe Dont un amant fut jamais abreuvé : Mais je ne m'étonne de rien;

Je suis à Rodanthe, je veux mourir sien.

IX.

C'est faussement qu'on estime
Qu'il ne soit point de beautés
Où ne se trouve le crime
De se plaire aux nouveautés.

Si ma dame avait envie
D'aimer des objets divers,
Serait-elle pas suivie
Des yeux de tout l'univers?

Est-il courage si brave Qui pût avecque raison Fuir d'être son esclave Et de vivre en sa prison?

Toutefois cette belle âme, A qui l'honneur sert de loi, Ne hait rien que le blâme D'aimer un autre que moi.

Tous ces charmes de langage Dont on s'offre à la servir Me l'assurent davantage,

Au lieu de me la ravir.

Aussi ma gloire est si grande
D'un trésor si précieux,
Que je ne sais quelle offrande
M'en peut acquitter aux cieux '.

Tout le soin qui me demeure
N'est que d'obtenir du sort
Que ce qu'elle est à cette heure
Elle soit jusqu'à la mort.

De moi, c'est chose sans doute Que l'astre qui fait les jours Luira dans une autre voûte Quand j'aurai d'autres amours.

X.

.

Est-ce à jamais, folle Espérance,
Que tes infidèles appas
Empêcheront la délivrance
Que me propose le trépas?

La raison veut, et la nature, Qu'après le mal vienne le bien : Mais en ma funeste aventure Leurs règles ne servent de rien.

C'est fait de moi, quoi que je fasse. J'ai beau plaindre et beau soupirer 3, Le seul remède en ma disgrâce, C'est qu'il n'en faut point espérer.

Une résistance mortelle
Ne m'empêche point son retour;
Quelque dieu qui brûle pour elle
Fait cette injure à mon amour.

Ainsi trompé de mon attente,
Je me consume vainement;
Et les remèdes que je tente
Demeurent sans événement.

Toute nuit enfin se termine;
La mienne seule a ce destin,
Que d'autant plus qu'elle chemine 4,
Moins elle approche du matin.

Cette façon de parler est remarquable. Je ne me souviens pas de l'avoir vue ailleurs. (MÉN.)

2 Il faut elle le soit. Nos anciens auraient dit: el' le soit. (MÉN.)

* Remarquez plaindre en signification active. Malherbe s'est encore servi ailleurs de cette façon de parler, que je ne tiens pas mauvaise. (MÉN.)

Les poëtes postérieurs à Homère ont donné un char à la Nuit, et selon cette fiction, on peut bien dire que la nuit che

Adieu donc, importune peste,
A qui j'ai trop donné de foi.
Le meilleur avis qui me reste,
C'est de me séparer de toi.

Sors de mon âme, et t'en va suivre
Ceux qui désirent de guérir.
Plus tu me conseilles de vivre
Plus je me résous de mourir.

LIVRE QUATRIÈME.

SONNETS'.

I.

A RABEL', PEINTRE,

SUR UN LIVRE DE FLEURS.

1603.

Quelques louanges nonpareilles Qu'ait Apelle encore aujourd'hui, Cet ouvrage plein de merveilles Met Rabel au-dessus de lui 3.

L'art y surmonte la nature:
Et, si mon jugement n'est vain,
Flore lui conduisait la main

Quand il faisait cette peinture.

mine, parlant de la nuit en général; mais je ne pense pas qu'on puisse dire de même d'autant plus que ma nuit chemine, moins elle approche du matin. (MEN.)

Ce mot était déjà en usage parmi nous dès le commencement du règne de saint Louis; car il se trouve dans une des chansons que Thibaut, comte de Champagne, avait faites pour Blanche de Castille, mère du roi, et dans le roman de la Rose, dont l'auteur, Guillaume de Loris, mourut en 1260, sous le règne de saint Louis. Mais il n'est pas certain que cette sorte de poëme fût dès lors réglée à quatorze vers, disposés comme le sont aujourd'hui nos sonnets. (MÉN.)

2 Je ne connais de peintre de ce nom que celui dont l'Étoile dit dans son journal d'Henri IV, au mois de mars 1604 : « Le mardi 4, mourut à Paris Jean Rabel, peintre, un des premiers en l'art de pourtraicture, et qui avait un bel esprit. » (STMARC.)-Ce livre de fleurs était, du vivant de Ménage, entre les mains de M. le duc de Mazarin.

3 Si Apelle a des louanges nonpareilles encore aujourd'hui, par quelle invention Rabel peut-il être au-dessus de lui? (COSTAR.) Ces louanges nonpareilles qu'Apelle a encore aujourd'hui doivent être entendues à l'égard des autres peintres, et non pas à l'égard de Rabel. (MÉN.)

-

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

CHARLOTTE DE LA TRIMOUILLE3. Mais étant fils d'un père où tant de gloire abonde,

1605.

Quoi donc! grande princesse en la terre adorée,
Et que même le ciel est contraint d'admirer,
Vous avez résolu de nous voir demeurer
En une obscurité d'éternelle durée ?

La flamme de vos yeux, dont la cour éclairée
A vos rares vertus ne peut rien préférer,
Ne se lasse donc point de nous désespérer,
Et d'abuser les vœux dont elle est désirée 4?

Vous êtes en des lieux 5 où les champs toujours verts, Pource qu'ils n'ont jamais que de tièdes hivers, Semblent en apparence avoir quelque mérite :

Mais si c'est pour cela que vous causez nos pleurs,
Comment faites-vous cas de chose si petite,
Vous de qui chaque pas fait naître mille fleurs?

III.

AU. ROI.

1607.

Je le connais, destins, vous avez arrêté
Qu'aux deux fils 6 de mon roi se partage la terre,

1 On ne sait à qui Malherbe a voulu faire allusion ici. 2 Remarquez que la plupart des stances et des sonnets de Malherbe finissent par des rimes masculines. Ces rimes ferment mieux la période que les féminines; cependant celles-ci, comme plus languissantes, sont plus convenables à la fin dans un sujet triste. (MÉN.)

3 Charlotte-Catherine de la Trimouille ou Trémouille était alors veuve de Henri I de Bourbon, prince de Condé, mort à Saint Jean-d'Angély le 5 mars 1588. Malherbe fit ce sonnet en arrivant à la cour. (MÉN.)

La ressemblance des rimes masculines et féminines de ces deux quatrains forme une consonnance peu agréable à l'oreille. (MÉN.)

En Provence.

6 Le dauphin, depuis Louis XIII, et le duc d'Orléans, qui mourut en 1611, et qu'il ne faut pas confondre avec Gaston, connu plus tard sous le même titre..

Pardonnez-moi, destins, quoi qu'ils puissent avoir; Vous ne leur donnez rien s'ils n'ont chacun un monde.

[blocks in formation]

Je ne me pouvais figurer Que ce fût chose naturelle.

J'ignorais que ce pouvait être
Qui lui colorait ce beau teint
Où l'Aurore même n'atteint
Quand elle commence de naître.

Mais, Flurance, ton docte écrit M'ayant fait voir qu'un bel esprit Est la cause d'un beau visage,

Ce ne m'est plus de nouveauté, Puisqu'elle est parfaitement sage, Qu'elle soit parfaite en beauté 1.

VI.

SUR L'ABSENCE DE LA VICOMTESSE D'AUCHY.

1608.

Quel astre malheureux ma fortune a bâtie 2,
A quelles dures lois m'a le ciel attaché,
Que l'extrême regret ne m'ait point empêché
De me laisser résoudre à cette départie 3?

Quelle sorte d'ennuis fut jamais ressentie Égale au déplaisir dont j'ai l'esprit touché? Qui jamais vit coupable expier son péché D'une douleur si forte et si peu divertie?

On doute en quelle part est le funeste lieu
Que réserve aux damnés la justice de Dieu,
Et de beaucoup d'avis la dispute en est pleine :

Mais, sans être savant et sans philosopher, Amour en soit loué, je n'en suis point en peine; Où Caliste n'est point, c'est là qu'est mon enfer.

ou aux environs de Laval, vers 1571. Il embrassa d'abord la profession des armes, et fut fait gentilhomme de la chambre de Henri IV en 1603. Deux ans après il accompagna le jeune comte de Laval au siége de Gomar, contre les Turcs, et y fut blessé de deux coups de cimeterre et d'un coup de hache. Son seigneur y perdit la vie. Rentré en France, Rivault s'adonna entièrement aux lettres, dans lesquelles il avait déjà fait de grands progrès, et fut successivement nommé sous-précepteur, lecteur, précepteur du roi et conseiller d'État. Il mourut en 1616, âgé de quarante-cinq ans. (MÉN.)

Pour parler juste, il fallait dire, puisqu'elle est parfaitement sage, qu'elle soit parfaitement belle. Mais les grands poëtes négligent ces petits ajustements. (MÉN.)

2 Le propre des astres est d'éclairer, et non pas de bâtir. (CHEVREAU.)

3 Départie pour départ n'est plus en usage, non plus que la venue pour l'arrivée. (MÉN.)

VII.

POUR LA MÊME.

1608.

Il n'est rien de si beau comme Caliste est belle 1. C'est une œuvre où nature a fait tous ses efforts; Et notre âge est ingrat qui voit tant de trésors, S'il n'élève à sa gloire une marque éternelle.

La clarté de son teint n'est pas chose mortelle :
Le baume est dans sa bouche, et les roses dehors:
Sa parole et sa voix 2 ressuscitent les morts,
Et l'art n'égale point sa douceur naturelle.

La blancheur de sa gorge éblouit les regards 3; Amour est en ses yeux, il y trempe ses dards, Et la fait reconnaître un miracle visible.

En ce nombre infini de grâces et d'appas,

Qu'en dis-tu, ma raison? crois-tu qu'il soit possible D'avoir du jugement, et ne l'adorer pas?

VIII.

POUR LA MÊME.

1608.

Beauté de qui la grâce étonne la nature,
Il faut donc que je cède à l'injure du sort,
Que je vous abandonne, et, loin de votre port,
M'en aille au gré du vent suivre mon aventure!

Il n'est ennui si grand que celui que j'endure; Et la seule raison qui m'empêche la mort, C'est la 4 doute que j'ai que ce dernier effort Ne fût mal employé pour une âme si dure.

Caliste, où pensez-vous? qu'avez-vous entrepris?
Vous résoudrez-vous point à borner ce mépris
Qui de ma patience indignement se joue?

Mais, ô de mon erreur l'étrange nouveauté !

1 Si beau comme est un normanisme.

2 Malherbe n'est pas le premier qui ait mis quelque différence entre la voix et la parole, et il y en a en effet. (MÉN.) 3 Cela est dit hardiment pour éblouir les yeux. Racine, dans Mithridate, a consacré cet emploi du mot regard:

Et mes derniers regards ont vu fuir les Romains.
Acte V, sc. dern
(MÉN.)

4 Doute était alors du genre féminin

« PreviousContinue »