Tu fis retentir nos temples De tes célestes chansons. Sur la montagne thébaine Ta lyre fière et hautaine Consacra l'illustre sort
D'un roi vainqueur de l'envie 1, Vraiment roi pendant sa vie, Vraiment grand après sa mort.
Maintenant ton ombre heureuse, Au comble de ses désirs, De leur troupe généreuse Partage tous les plaisirs. Dans ces bocages tranquilles, Peuplés de myrtes fertiles
Et de lauriers toujours verts, Tu mêles ta voix hardie A la douce mélodie
De leurs sublimes concerts.
Là, d'un dieu fier et barbare Orphée adoucit les lois; Ici le divin Pindare Charme l'oreille des rois. Dans tes douces promenades, Tu vois les folles Ménades Rire autour d'Anacréon,
Et les Nymphes, plus modestes, Gémir des ardeurs funestes De l'amante de Phaon.
A la source d'Hippocrène Homère, ouvrant ses rameaux, S'élève comme un vieux chêne Entre de jeunes ormeaux : Les savantes immortelles, Tous les jours, de fleurs nouvelles Ont soin de parer son front; Et par leur commun suffrage
Quelle est donc votre manie, Censeurs dont la vanité De ces rois de l'harmonie Dégrade la majesté;
Et qui, par un double crime, Contre l'Olympe sublime Lançant vos traits venimeux, Osez, dignes du tonnerre, Attaquer ce que la terre Eut jamais de plus fameux ?
Impitoyables Zoïles,
Plus sourds que le noir Pluton, Souvenez-vous, âmes viles, Du sort de l'affreux Python : Chez les filles de Mémoire Allez apprendre l'histoire De ce serpent abhorré, Dont l'haleine détestée, De sa vapeur empestée Souilla leur séjour sacré.
Lorsque la terrestre masse Du déluge eut bu les eaux, Il effraya le Parnasse Par des prodiges nouveaux. Le ciel vit ce monstre impie, Né de la fange croupie Au pied du mont Pélion, Souffler son infecte rage Contre le naissant ouvrage Des mains de Deucalion.
Mais le bras sûr et terrible Du dieu qui donne le jour, Lava dans son sang horrible L'honneur du docte séjour. Bientôt de la Thessalie, Par sa dépouille ennoblie, Les champs en furent baignés ;
Et du Céphise rapide
Son corps affreux et livide Grossit les flots indignés.
De l'écume empoisonnée De ce reptile fatal, Sur la terre profanée Naquit un germe infernal; Et de là naissent les sectes De tous ces sales insectes, De qui le souffle envieux
Ose, d'un venin critique, Noircir de la Grèce antique Les célestes demi-dieux.
A peine, sur de vains titres, Intrus au sacré vallon, Ils s'érigent en arbitres Des oracles d'Apollon: Sans cesse dans les ténèbres Insultant les morts célèbres, Ils sont comme ces corbeaux De qui la troupe affamée, Toujours de rage animée, Croasse autour des tombeaux.
Cependant, à les entendre, Leurs ramages sont si doux, Qu'aux bords mêmes du Méandre Le cygne en serait jaloux;
Et quoique en vain ils allument L'encens dont ils se parfument Dans leurs chants étudiés, Souvent de ceux qu'ils admirent, Lâches flatteurs, ils attirent Les éloges méndiés.
Une louange équitable,
Dont l'honneur seul est le but, Du mérite véritable
Est le plus juste tribut : Un esprit noble et sublime, Nourri de gloire et d'estime, Sent redoubler ses chaleurs, Comme une tige élevée, D'une onde pure abreuvée, Voit multiplier ses fleurs.
Mais cette flatteuse amorce D'un hommage qu'on croit dû, Souvent prête même force Au vice qu'à la vertu. De la céleste rosée La terre fertilisée, Quand les frimas ont cessé, Fait également éclore Et les doux parfums de Flore Et les poisons de Circé.
Cieux, gardez vos eaux fécondes Pour le myrte aimé des dieux; Ne prodiguez plus vos ondes A cet if contagieux :
Et vous, enfants des nuages, Vents, ministres des orages,
Venez, fiers tyrans du Nord, De vos brûlantes froidures Sécher ces feuilles impures
Dont l'ombre donne la mort.
A S. A. M. LE COMTE DE ZINZINDORF,
CHANCELIER DE LA COUR IMPÉRIALE'.
L'hiver, qui si longtemps a fait blanchir nos plaines", N'enchaîne plus le cours des paisibles ruisseaux ; Et les jeunes zéphyrs de leurs chaudes haleines Ont fondu l'écorce des eaux.
Les troupeaux ont quitté leurs cabanes rustiques, Le laboureur commence à lever ses guérets: Les arbres vont bientôt de leurs têtes antiques Ombrager les vertes forêts.
Déjà la terre s'ouvre, et nous voyons éclore Les prémices heureux de ses dons bienfaisants: Cérès vient à pas lents, à la suite de Flore,
Contempler ses nouveaux présents.
De leurs douces chansons, instruits par la nature, Mille tendres oiseaux font résonner les airs; Et les Nymphes des bois, dépouillant leur ceinture, Dansent au bruit de leurs concerts.
Des objets si charmants, un séjour si tranquille, La verdure, les fleurs, les ruisseaux, les beaux jours, Tout invite le sage à chercher un asile
Contre le tumulte des cours.
Mais vous, à qui Minerve et les filles d'Astrée Ont confié le sort des terrestres humains, Vous, qui n'osez quitter la balance sacrée
Dont Thémis a chargé vos mains;
Ministre de la paix qui gouvernez les rênes D'un empire puissant autant que glorieux, Vous ne pouvez longtemps vous dérober aux chaînes De vos emplois laborieux.
1 Composée en 1716, et probablement pendant le voyage que fit Rousseau avec le comte de Zinzindorf dans ses terres de Moravie. Lettre à Brossette, 30 septembre 1716.
2 L'hiver qui si longtemps, etc. Ces quatre premières strophes sont une imitation fort libre, et en général peu heureuse, de l'ode IV du premier livre d'Horace : Solvitur acris hiems. Voltaire s'est fort égayé, surtout*, aux dépens des chaudes haleines des zéphyrs, qui fondent l'écorce des eaux. Il y a en effet de la recherche, de la bizarrerie même dans cette expression; et ce n'est point en parlant ce langage que l'on se fait ouvrir les portes du Temple du Goût. Mais à combien de titres un poëte tel que Rousseau ne devait-il pas, à son nom seul, les voir s'ouvrir devant lui!
* Dans le Temple du Goût.
C'est pour eux qu'autrefois, loin de votre patrie, Consacré de bonne heure à de nobles travaux, Vous fites admirer votre heureuse industrie A ses plus illustres rivaux.
La France vit briller votre zèle intrépide Contre le feu naissant de nos derniers débats : Le Batave vous vit opposer votre égide
Au cruel démon des combats.
Vos vœux sont satisfaits: la Discorde et la Guerre N'osent plus rallumer leurs tragiques flambeaux ; Et les dieux apaisés redonnent à la terre
Des jours plus sereins et plus beaux.
Ce chef de tant d'États, à qui le ciel dispense Tant de riches trésors, tant de fameux bienfaits, A déjà de ces dieux reçu la récompense De sa tendresse pour la paix.
Il a vu naître enfin de son épouse aimée Un gage précieux de sa fécondité, Et qui va désormais de l'Europe charmée Affermir la tranquillité.
Arbitre tout-puissant d'un empire invincible, Plus maître encor du cœur de ses sujets heureux, Qu'a-t-il à désirer, qu'un usage paisible
Des jours qu'il a reçus pour eux?
Non, non, il n'ira point, après tant de tempêtes, Ressusciter encor d'antiques différends:
Il sait trop que souvent les plus belles conquêtes Sont la perte des conquérants.
Si toutefois l'ardeur de son noble courage L'engageait quelque jour au delà de ses droits, Écoutez la leçon d'un Socrate sauvage
Faite au plus puissant de nos rois 3,
Pour la troisième fois, du superbe Versailles Il faisait agrandir le parc délicieux; Un peuple harassé de ses vastes murailles Creusait le contour spacieux.
Un seul, contre un vieux chêne appuyé sans mot dire, Semblait à ce travail ne prendre aucune part : -« Hélas! sire,
<< A quoi rêves-tu là? » dit le prince.
Répond le champêtre vieillard,
Lorsque nos campagnes humides Porteront ce prince chéri; Aplanissez l'onde orageuse; Secondez l'ardeur courageuse De ses fidèles matelots: Venez, et d'une main agile ' Soutenez son vaisseau fragile Quand il roulera sur mes flots.
Ce n'est pas la première grâce Qu'il obtient de notre secours; Dès l'enfance, sa jeune audace Osa vous confier ses jours:
C'est vous qui, sur ce moite empire, Au gré du volage Zéphire, Conduisiez au port son vaisseau, Lorsqu'il vint, plein d'un si beau zèle, Au secours de l'île où Cybèle Sauva Jupiter au berceau".
Dès lors, quels périls, quelle gloire 3 N'ont point signalé son grand cœur? Ils font le plus beau de l'histoire D'un héros en tous lieux vainqueur, D'un frère 4.... Mais le ciel, avare De ce don si cher et si rare, L'a trop tôt repris aux humains. C'est à vous seuls de l'en absoudre, Trônes ébranlés par sa foudre, Sceptres raffermis par ses mains.
Non moins grand, non moins intrépide, On le vit, aux yeux de son roi, Traverser un fleuve rapide, Et glacer ses rives d'effroi : Tel que d'une ardeur sanguinaire Un jeune aiglon, loin de son aire Emporté plus prompt qu'un éclair, Fond sur tout ce qui se présente,
Venez, et d'une main agile, etc. C'est le tableau déjà tracé par Virgile, Eneid. 1, 148:
Cymothoe, simul et Triton adnixus, acuto
Detrudunt naves scopulo; levat ipse tridenti, etc.
2 Le grand prieur avait accompagné, dans sa jeunesse, le duc de Beaufort à l'expédition de Candie, la Crète des anciens, célèbre par ses cent villes, et surtout par la naissance de Jupiter, sauvé, comme l'on sait, de la fureur de son père par le zèle des Corybantes, prêtres de Cybèle.
3 Dès lors, quels périls, quelle gloire, etc. Tout ceci n'était pas un vain compliment: le prince de Vendôme avait suivi Louis XIV, en 1672, à la conquête de la Hollande, et donné des preuves éclatantes de bravoure aux siéges de Maestricht, de Valenciennes et de Cambrai; aux affaires de Fleurus et de la Marsaille, où il fut même assez dangereusement blessé.
4 D'un frère.... Louis-Joseph, duc de Vendôme, qui fit avec succès les guerres d'Italie, vainquit le prince Eugène, servit ensuite en Flandre, et ramena Philippe V à Madrid. - Mort à Tignaros en 1712, âgé de cinquante-huit ans.
Et d'un cri jette l'épouvante Chez tous les habitants de l'air
Bientôt sa valeur souveraine, Moins rebelle aux leçons de l'art, Dans l'école du grand Turenne Apprit à fixer le hasard. C'est dans cette source fertile Que son courage plus utile, De sa gloire unique artisan, Acquit cette hauteur suprême Qu'admira Bellone elle-même Dans les campagnes d'Orbassan1.
Est-il quelque guerre fameuse Dont il n'ait partagé le poids? Le Rhin, le Pô, l'Ebre, la Meuse, Tour à tour ont vu ses exploits. France, tandis que tes armées De ses yeux furent animées, Mars n'osa jamais les trahir; Et la fortune permanente, A son étoile dominante Fit toujours gloire d'obéir.
Mais quand de lâches artifices > T'eurent enlevé cet appui, Tes destins, jadis si propices S'exilèrent tous avec lui :
Un Dieu plus puissant que tes armes Frappa de paniques alarmes Tes plus intrépides guerriers : Et sur tes frontières célèbres Tu ne vis que cyprès funèbres Succéder à tous tes lauriers.
O détestable Calomnie, Fille de l'obscure Fureur, Compagne de la Zizanie, Et mère de l'aveugle Erreur! C'est toi dont la langue aiguisée De l'austère fils de Thésée Osa déchirer les vertus; C'est par toi qu'une épouse indigne Arma contre un héros insigne La crédulité de Prétus 3.
Dans la nuit et dans le silence Tu conduis tes coups ténébreux Du masque de la vraisemblance
'Petite ville du Piémont, entre Turin et Pignerol.
* Allusion à la disgrâce qu'éprouva le prince de Vendôme, en 1702, pour ne s'être point trouvé à la bataille de Cassano. Voyez l'Iliade, VI, 156 et suiv.
Tu couvres ton visage affreux Tu divises, du désespères, Les amis, les époux, les frères : Tu n'épargnes pas les autels; Et ta fureur envenimée,
Contre les plus grands noms armée, Ne fait grâce qu'aux vils mortels.
Voilà de tes agents sinistres Quels sont les exploits odieux. Mais enfin ces lâches ministres Épuisent la bonté des dieux : En vain, chéris de la fortune, Ils cachent leur crainte importune, Enveloppés dans leur orgueil : Le remords déchire leur âme,
Et la honte qui les diffame Les suit jusque dans le cercueil.
Vous rentrerez, monstres perfides', Dans la foule où vous êtes nés : Aux vengeances des Euménides Vos jours seront abandonnés : Vous verrez, pour comble de rage2, Ce prince, après un vain orage, Paraître en sa première fleur, Et, sous une heureuse puissance, Jouir des droits que la naissance Ajoute encore à sa valeur.
Mais déjà ses humides voiles Flottent dans mes vastes déserts; Le soleil, vainqueur des étoiles, Monte sur le trône des airs. Hâtez-vous, filles de Nérée; Allez sur la plaine azurée Joindre vos Tritons dispersés : zèle: Il est temps de servir mon Allez, Vendôme vous appelle; Neptune parle : obéissez. »
Il dit et la mer, qui s'entr'ouvre, Déjà fait fait briller à ses yeux,
Vous rentrerez... dans la foule où vous êtes nés. J'ai comparé entre elles les meilleures éditions de Rousseau, à commencer par celle de Bruxelles, publiée peu de temps après la mort de l'auteur; et j'ai trouvé partout, dans la foule. Estce en effet la véritable leçon; est-ce une faute originelle, reproduite d'éditions en éditions, sur la foi de la première; et le poëte n'aurait-il pas écrit, dans la nuit, ou dans la fange? 2 Vous verrez, pour comble de rage, etc. C'est ce qui arriva, en effet, lors de l'expédition projetée pour délivrer l'ile de Malte mais ce fut le dernier effort de son zèle; et de retour à Paris, il ne songea plus qu'à s'abandonner aux doux loisirs d'une cour dont les Chaulieu, les Voltaire, etc. faisaient, par leur esprit, les délices et l'ornement. Il s'était démis du grand prieuré, en 1719, et mourut le 24 janvier 1727, à soixante-douze ans.
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