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De suivre le juste parti;
Mais, blâmant l'impure licence
De leurs déloyales humeurs,
As toujours aimé l'innocence,
Et pris plaisir aux bonnes mœurs.

Depuis que, pour sauver sa terre,
Mon roi, le plus grand des humains,
Eut laissé partir de ses mains
Le premier trait de son tonnerre,
Jusqu'à la fin de ses exploits,
Que tout eut reconnu ses lois,
A-t-il jamais défait armée,
Pris ville, ni forcé rempart,
Où ta valeur accoutumée
N'ait eu la principale part?

Soit que, près de Seine et de Loire
Il pavât les plaines de morts,
Soit que le Rhône outre ses bords
Lui vît faire éclater sa gloire,
Ne l'as-tu pas toujours suivi,
Ne l'as-tu pas toujours servi,
Et toujours par dignes ouvrages
Témoigné le mépris du sort
Que sait imprimer aux courages
Le soin de vivre après la mort?

Mais quoi! ma barque vagabonde
Est dans les syrtes bien avant,
Et le plaisir, la décevant,
Toujours l'emporte au gré de l'onde.
Bellegarde, les matelots
Jamais ne méprisent les flots,
Quelque phare qui leur éclaire :
Je ferai mieux de relâcher',
Et borner le soin de te plaire
Par la crainte de te fâcher.

L'unique but où mon attente Croit avoir raison d'aspirer, C'est que tu veuilles m'assurer Que mon offrande te contente : Donne-m'en, d'un clin de tes yeux, Un témoignage gracieux; Et, si tu la trouves petite, Ressouviens-toi qu'une action Ne peut avoir peu de mérite Ayant beaucoup d'affection.

Ainsi de tant d'or et de soie

Les poëtes doivent éviter ces mots propres des arts, et dire les choses figurément. (MÉN.)

Ton âge dévide son cours,
Que tu reçoives tous les jours
Nouvelles matières de joie!
Ainsi tes honneurs fleurissants
De jour en jour aillent croissants,
Malgré la fortune contraire!
Et ce qui les fait trébucher
De toi ni de Termes ton frère
Ne puisse jamais approcher!

Quand la faveur, à pleines voiles,
Toujours compagne de vos pas,
Vous ferait devant le trépas
Avoir le front dans les étoiles,
Et remplir de votre grandeur
Ce que la terre a de rondeur,
Sans être menteur, je puis dire
Que jamais vos prospérités
N'iront jusques où je désire,
Ni jusques où vous méritez.

VII.

A LA REINE,

SUR LES HEUREUX SUCCÈS DE SA RÉGENCE'.

1610.

Nymphe qui jamais ne sommeilles
Et dont les messages divers
En un moment sont aux oreilles
Des peuples de tout l'univers,
Vole vite; et de la contrée
Par où le jour fait son entrée,
Jusqu'au rivage de Calis2,
Conte sur la terre et sur l'onde
Que l'honneur unique du monde,
C'est la reine des fleurs de lis.

Quand son Henri, de qui la gloire
Fut une merveille à nos yeux,
Loin des hommes s'en alla boire
Le nectar avecque les dieux,
En cette aventure effroyable,
A qui ne semblait-il croyable

1 Henri IV était tombé sous le fer parricide de Ravaillac, le 14 mai 1610, et Marie de Médicis, sa veuve, avait pris les rênes de l'État, attendu la minorité de son fils, depuis Louis XIII. En considération de cette ode, la reine fit à Malherbe une pension de 1,500 livres, somme importante alors.

2 On a dit pendant longtemps, soit en Espagne, soit en France, Calis et Cadis indifféremment. Mais, suivant Ménage, le dernier est plus conforme à l'étymologie: Cadix vient du latin gades, et le latin gades, du punique gadir, qui signifie une haie.

Qu'on allait voir une saison
Où nos brutales perfidies
Feraient naître des maladies
Qui n'auraient jamais guérison?

Qui ne pensait que les Furies
Viendraient des abîmes d'enfer
En de nouvelles barbaries
Employer la flamme et le fer;
Qu'un débordement de licence
Ferait souffrir à l'innocence
Toute sorte de cruautés,

Et que nos malheurs seraient pires
Que naguères sous les Busires
Que cet Hercule avait domptés?

Toutefois, depuis l'infortune
De cet abominable jour,
A peine la quatrième lune
Achève de faire son tour;
Et la France a les destinées
Pour elle tellement tournées
Contre les vents séditieux,
Qu'au lieu de craindre la tempête
Il semble que jamais sa tête
Ne fut plus voisine des cieux.

Au delà des bords de la Meuse,
L'Allemagne a vu nos guerriers
Par une conquête fameuse
Se couvrir le front de lauriers.
Tout a fléchi sous leur menace;
L'aigle même leur a fait place,
Et, les regardant approcher
Comme lions à qui tout cède,
N'a point eu de meilleur remède
Que de fuir 3 et se cacher.

O reine qui, pleine de charmes
Pour toute sorte d'accidents,
As borné le flux de nos larmes
En ces miracles évidents,
Que peut la fortune publique

* Busiris était un tyran d'Égypte fameux par ses cruautés. Son histoire est si connue, que ce serait abuser du loisir des lecteurs que de la rapporter ici. Quis aut Eurysthea durum, aut illaudati nescit Busiridis aras? Isocrate, dans son oraison intitulée la Louange de Busiris, dit que Hercule et Busiris n'ont pas vécu en même temps; ce qu'il prouve par le témoigagne des historiens. Mais, outre qu'il y a eu plusieurs Hercules, et qu'il peut y en avoir eu un du temps de Busiris, les poëtes, comme nous l'avons déjà dit, sont obligés de suivre la Fable, et non l'histoire. (MÉN.)

2 La ville de Juliers, reprise par le maréchal de la Châtre, joint au prince Maurice de Nassau.

3 Fuir est aujourd'hui monosyllabe.

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Les deux frères de qui la guerre Ne cessa point dans le tombeau.

C'est en la paix que toutes choses
Succèdent selon nos désirs;
Comme au printemps naissent les roses,
En la paix naissent les plaisirs ;
Elle met les pompes aux viiles,
Donne aux champs les moissons fertiles,
Et, de la majesté des lois
Appuyant les pouvoirs suprêmes,
Fait demeurer les diadèmes
Fermes sur la tête des rois.

Ce sera dessous cette égide
Qu'invincible de tous côtés
Tu verras ces peuples sans bride
Obéir à tes volontés;

Et, surmontant leur espérance,
Remettras en telle assurance
Leur salut, qui fut déploré,
Que vivre au siècle de Marie,
Sans mensonge et sans flatterie,
Sera vivre au siècle doré.

Les Muses, les neuf belles fées
Dont les bois suivent les chansons,
Rempliront de nouveaux Orphées
La troupe de leurs nourrissons;
Tous leurs vœux seront de te plaire;
Et si ta faveur tutélaire

Fait signe de les avouer,
Jamais ne partit de leurs veilles
Rien qui se compare aux merveilles
Qu'elles feront pour te louer.

En cette hautaine entreprise,
Commune à tous les beaux esprits,
Plus ardent qu'un athlète à Pise 3
Je me ferai quitter le prix;
Et quand j'aurai peint ton image,
Quiconque verra mon ouvrage
Avouera que Fontainebleau,
Le Louvre, ni les Tuileries,
En leurs superbes galeries

N'ont point un si riche tableau.

La guerre de Thèbes entre Étéocle et Polynice, fils d'OEdipe.

2 Ce mot est très-beau. Il vient du latin fata, fate; et ainsi il convient bien aux Muses. Les poëtes s'en servent aussi en la signification des Nymphes. (MÉN.)

3 Ville d'Élide dans le Péloponèse, près du fleuve Alphée, ou, de cinq ans en cinq ans, on célébrait les jeux olympiques

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C'est un des proverbes des Grecs, que les portes des Muses sont ouvertes à tout le monde : ἀνεῳγμέναι μουσῶν θύραι. (MĖN.)

2 Lequel est banni de la poésie. Malherbe pouvait dire : au nombre de qui l'on me range; mais son vers n'eut pas été si harmonieux. Du reste, il est à remarquer que, dans toutes ses poésies, il ne s'est servi de lequel qu'en cet endroit, et dans l'ode à M de Bellegarde. (MÉN.)

3 Racan disait que cette ode n'avait ni commencement ni fin, et ne la regardait que comme un fragment.

4 On a critiqué ce vers comme présentant à l'esprit une idée obscène. Les anciens ont repris de même arrige aures, dans Térence, et arrigere animos dans Salluste. Il faut avoir l'imagination extrêmement gátée pour trouver dans les auteurs de semblables.ordures. Quod si recipias, nihil loqui tutum est, dit Quintilien, au sujet de celui qui trouvait une obscénité en ces mots de Virgile: incipiunt agitata tumescere. (MÉN.)

Fleuve de Lydie très-fréquenté par les cygnes, s'il faut en croire les poëtes. On dirait aujourd'hui du Caïstre.

6 Malherbe invoquait peut-être les Muses dans une strophe qui n'est pas venue jusqu'à nous, mais peut-être aussi a-t-il cru sa pensée assez clairement exprimée pour n'avoir pas besoin de les nommer ici.

Les rayons d'or étinceler;

Et chargez de perles vos têtes,
Comme quand vous allez aux fêtes
Où les dieux vous font appeler.

Quand le sang bouillant en mes veines
Me donnait de jeunes désirs,
Tantôt vous soupiriez mes peines 1,
Tantôt vous chantiez mes plaisirs :
Mais, aujourd'hui que mes années
Vers leur fin s'en vont terminées,
Siérait-il bien à mes écrits
D'ennuyer les races futures
Des ridicules aventures

D'un amoureux en cheveux gris?

Non, vierges, non : je me retire
De tous ces frivoles discours;
Ma reine est un but à ma lyre
Plus juste que nulles amours;
Et quand j'aurai, comme j'espère,
Fait ouïr, du Gange à l'lbère,
Sa louange à tout l'univers,
Permesse me soit un Cocyte,
Si jamais je vous sollicite
De m'aider à faire des vers 2!

Aussi bien, chanter d'autre chose
Ayant chanté de sa grandeur,
Serait-ce pas après la rose
Aux pavots chercher de l'odeur,
Et des louanges de la lune
Descendre à la clarté commune
D'un de ces feux du firmament
Qui, sans profiter et sans nuire,
N'ont reçu l'usage de luire
Que par le nombre seulement ?

Entre les rois à qui cet âge
Doit son principal ornement,
Ceux de la Tamise et du Tage
Font louer leur gouvernement:
Mais en de si calmes provinces,
Où le peuple adore les princes,
Et met au degré le plus haut
L'honneur du sceptre légitime,

C'est-à-dire, vous chantiez mes peines en soupirant. Tous nos poêtes français, tant anciens que modernes, se sont servis du mot soupirer en la signification active, pour plaindre. Les poetes italiens ont aussi usé de sospirare en la même signification; ce qu'ils ont pris comme nous des Latins :

Te tenet: absentes alios suspirat amores.
TIBUL. Eleg. VII, V. 42. (MÉN.)

* Les serments des poêtes sont comme ceux des buveurs: autant en emporte le vent.

Saurait-on excuser le crime

De ne régner pas comme il faut 1?

Ce n'est point aux rives d'un fleuve
Où dorment les vents et les eaux
Que fait sa véritable preuve
L'art de conduire les vaisseaux :
Il faut en la plaine salée
Avoir lutte contre Malée 2,
Et, près du naufrage dernier,
S'être vu dessous les Pléiades 3
Éloigné de ports et de rades,
Pour être cru bon marinier.

Ainsi quand la Grèce, partie
D'où le mol Anaure 4 coulait,
Traversa les mers de Scythie
En la navire qui parlait 5,
Pour avoir su des Cyanées 6,
Tromper les vagues forcenées,
Les pilotes du fils d'Éson 7,
Dont le nom jamais ne s'efface,
Ont gagné la première place,
En la fable de la Toison.

Ainsi, conservant cet empire
Où l'infidélité du sort,
Jointe à la nôtre encore pire,
Allait faire un dernier effort,
Ma reine acquiert à ses mérites
Un nom qui n'a point de limites,

I Expression familière et prosaïque. ( MÉN. )

31

2 Malée, aujourd'hui Capo Malio, dit Sant' Angelo, promontoire de Laconie, fameux par plusieurs naufrages.

3 Ce nom, sur l'origine duquel on n'est pas d'accord, se donne à sept étoiles réunies et placées dans la constellation du Taureau. Suivant l'opinion la plus vraisemblable, il dérive de Tev, qui signifie tourner en rond; et c'est ainsi que l'année a été appelée λtív par Hésiode; suivant la plus commune, Pléiades dérive de π, qui signifie naviguer; et cette opinion est fondée sur ce que le lever des Pléiades étant vers la fin du printemps et le commencement de l'été, elles marquent par leur lever le temps propre à la navigation. (MÉN.)

4 Fleuve de Thessalie, ainsi nommé, parce que son cours était toujours paisible, mol, et à l'abri du vent.

5 Le navire Argo, qui porta Jason dans la Colchide, et dont Valérius Flaccus a dit :

Venturos canit errores, canit et Jovis iras
Vocibus humanis, stellati conscia cœli.

Les poêtes ont feint que ce navire parlait, parce qu'il était fait des chènes de Dodone, qui rendaient des oracles. (MÉN.) Du temps de Ménage, on regardait encore le mot navire comme plus noble au féminin qu'au masculin. Il a depuis perdu le premier de ces deux genres.

Les Cyanées, appelées aussi par les anciens Symplegades, et aujourd'hui les Pavonares, sont deux écueils très-dangereux, voisins du Bosphore de Thrace, l'un en Europe et l'autre en Asie.

7 Jason.

Et, ternissant le souvenir
Des reines qui l'ont précédée,
Devient une éternelle idée
De celles qui sont à venir.

Aussitôt que le coup tragique
Dont nous fûmes presque abattus
Eut fait la fortune publique
L'exercice de ses vertus,
En quelle nouveauté d'orage
Ne fut éprouvé son courage!
Et quelles malices de flots,
Par des murmures effroyables,
A des vœux à peine payables
N'obligèrent les matelots!

Qui n'ouït la voix de Bellone,
Lasse d'un repos de douze ans,
Telle que d'un foudre qui tonne,
Appeler tous ses partisans,
Et déjà les rages extrêmes,
Par qui tombent les diadèmes,
Faire appréhender le retour
De ces combats dont la manie
Est l'éternelle ignominie
De Jarnac et de Moncontour?

Qui ne voit encore à cette heure Tous les infidèles cerveaux Dont la fortune est la meilleure Ne chercher que troubles nouveaux, Et ressembler à ces fontaines Dont les conduites souterraines Passent par un plomb si gâté, Que, toujours ayant quelque tare 2, Au même temps qu'on les répare L'eau s'enfuit d'un autre côté?

La paix ne voit rien qui menace
De faire renaître nos pleurs;
Tout s'accorde à notre bonace :
Les hivers nous donnent des fleurs;
Et si les pâles Euménides 3
Pour réveiller nos parricides
Toutes trois ne sortent d'enfer,

Expression normande. On dit conduits, et à la cour, et à Paris, et dans les autres provinces. (MĖN.)

2 Ménage regardait ce mot comme indigne de la majesté de l'ode.

3 Les Furies ont été appelées Euménides, non par antiphrase, comme l'ont pensé quelques grammairiens, mais parce que Minerve les adoucit en faveur d'Oreste, après qu'il eut été absous, dans l'Aréopage, du meurtre qu'il avait commis en la personne de sa mère. (MÉN. )

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1 Les Italiens disent indifféremment Filli, Fille, Fillide et Fillida. Nobis non licet esse tam disertis. Nous ne disons que Phylis. (MEN.) Les six derniers vers de cette strophe sont admirables, et respirent toute la grace et toute la douceur de Virgile. M. le duc du Maine les appelait un beau paysage. 2 Cette hyperbole est excessive, et le mot rues manque de noblesse. (MÉN.)

3 De conquærere, conquistare, conquærire, composés et synonymes de quærere, nous avons fait les mots conquerre, conquêter et conquérir le dernier seul nous est resté.

Bras de mer entre l'Hellespont et le Pont-Euxin. C'est aujourd'hui la mer Blanche. ou mer de Marmara.

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