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IDE

L'INFLUENCE DE LA PHILOSOPHIE

DU XVIII. SIÈCLE

SUR LES RÉFORMES DE LA PROCÉDURE CRIMINELLE.

I

MESSIEURS ET CHERS CONFRÈRES,

Si votre sympathique attention n'était pas acquise d'avance au sujet dont je vais vous entretenir, il me suffirait pour l'éveiller de vous rappeler ce simple et profond jugement de Montesquieu : « Les connaissances qu'on a << acquises dans quelques pays, qu'on acquerra dans << d'autres sur les règles les plus sûres qu'on puisse tenir << dans les jugements criminels, intéressent le genre hu«< main plus qu'aucune autre chose qui soit au monde. « Ce n'est que sur la pratique de ces connaissances que << la liberté peut être fondée. »>

La liberté n'est point autre chose, en effet, que la sûreté de chaque citoyen, du plus humble comme du plus élevé, du plus faible comme du plus fort. Dans les accusations criminelles elle court un double péril. Si les

règles de la poursuite, de l'instruction et du jugement favorisent l'impunité du coupable, la société est condamnée à vivre dans d'incessantes frayeurs, et tous les citoyens se sentent menacés à chaque instant dans leurs biens les plus précieux. Si elles ne garantissent pas l'innocence contre les erreurs, les passions et les calomnies qui se réunissent parfois pour l'accabler; la terreur plane sur toutes les âmes, elle les diminue, les courbe et les avilit.

Dans l'un et l'autre cas la liberté périt; car la tranquillité des citoyens n'est plus assurée.

C'est entre ces deux écueils que doit se fortement établir la procédure criminelle : il faut qu'elle soit toujours un instrument efficace de répression, jamais un moyen de despotisme.

Notre procédure criminelle réunit-elle toutes les qualités que nous serions en droit d'exiger d'elle? est-elle faite pour nous défendre contre toute inquiétude? a-t-elle su, par un ensemble de mesures sagement combinées, rendre la punition du crime certaine et fournir à l'innocence des moyens sûrs de triompher des accusations? a-t-elle écarté toutes les rigueurs inutiles, et ôté toute place à l'arbitraire? qui de nous ne désirerait passionnément qu'il en fût ainsi? qui de nous ne sentirait en lui-même un invincible et légitime mouvement d'orgueil, en découvrant que son pays possède une législation si protectrice de ses intérêts et si soigneuse de ses droits? Malheureusement la réalité des choses nous interdit cette satisfaction. Non, certes, que notre procédure criminelle

présente encore les mêmes vices qu'autrefois, et se déve loppe en dehors de toutes les règles de la justice et de l'humanité, comme dans un passé encore bien voisin de nous. Elle a des dispositions sagement protectrices de l'ordre social et de la liberté individuelle; mais isolées et restreintes dans leurs effets par d'autres prescriptions qui semblent n'avoir été établies que pour les combattre. S'il me fallait exprimer tout mon sentiment sur notre procédure criminelle, je dirais qu'elle est divisée contre elle-même, fondée sur des principes opposés, et par là même condamnée à d'inévitables contradictions: qu'hésitant entre deux idées diverses, elle manque d'unité dans sa direction et d'harmonie dans ses moyens; qu'elle n'a pas enfin ce caractère auquel se reconnaissent les œuvres arrivées à leur point de maturité et d'achèvement: la simplicité. Deux éléments, en effet, ont contribué à la former par leur combinaison : l'un historique, traditionnel et despotique; l'autre philosophique, rationnel et libéral. Leur rapprochement n'a point été une de ces heureuses conciliations où la vérité trouve ses plus beaux triomphes; mais une de ces transactions où s'arrêtent les hommes, quand ils sont lassés de lutter. Juxtaposés plutôt que confondus, ils se repoussent par leur nature même; et dans un temps qu'il est impossible de déterminer, mais qui peut être. assurément prédit, l'un des deux éliminera l'autre.

A quelle époque ont-ils été mis en présence? quels combats se sont-ils livrés? après quelles alternatives de succès et de revers, et à travers quelles vicissitudes

en sont-ils arrivés à la trêve qui dure encore de nos jours? Comment cessera-t-elle? Telles sont les questions que je voudrais étudier dans ce discours.

II

:

L'histoire nous montre dans tous les temps et chez tous les peuples une conformité saisissante entre l'esprit de leur constitution politique et celui de leur procédure criminelle. Les sociétés libres, confiantes dans leur force, et se jugeant inébranlables, ne se croient point aisément menacées par des hommes n'aspirant qu'à les bouleverser et à les détruire dans l'accusé, elles respectent encore le citoyen; pleines d'estime pour la nature humaine, elles ne présument jamais le crime qui est sa déchéance et son avilissement; sachant combien le droit de statuer sur la vie, sur l'honneur, sur la liberté des hommes est important, elles en retiennent soigneusement l'exercice; se défiant de leurs passions, de leurs entraînements et de leurs erreurs, elles précisent les faits qu'elles défendent, et enferment les châtiments qu'elles édictent dans des limites fixes et modérées. Les États asservis offrent un spectacle bien différent. Le despotisme ne se défend de la terreur qui le poursuit sans cesse qu'en la faisant régner autour de lui. Il soupçonne facilement,

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