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défendre les anciennes règles, il en fit l'apologie. II montra leur maintien lié à celui de la monarchie même. Sur ce dernier point les événements devaient lui donner raison.

La royauté n'avait point su prendre le rôle que les circonstances lui offraient, et qui eût pu assurer pour jamais ses destinées. Elle n'avait point osé se faire hardiment réformatrice. Elle laissait percer son hostilité et son mauvais vouloir à l'endroit des idées nouvelles, sans cependant essayer de les accabler, et tout en leur faisant de nombreuses concessions.

Sous l'influence de Turgot et de Malesherbes, le conseil du roi inflige un blâme sévère au conseil supérieur du Cap pour avoir employé en justice des lettres interceptées. Il y a près d'un siècle que furent écrits ces mots qu'on voudrait retrouver dans les décisions judiciaires actuelles: « Considérant que tous les principes mettent « la correspondance des citoyens au nombre des choses << sacrées dont les tribunaux, comme les particuliers, « doivent détourner les yeux... » Mais le cabinet noir n'est pas fermé ; le secret des lettres continue à être violé; et Turgot, qui a fait rendre cet arrêt, est repoussé par le roi, entre les mains duquel les courtisans placent une lettre faussement attribuée au ministre et enlevée à

la poste.

Une déclaration du 24 août 1780 abolit la question préparatoire : mais la question préalable n'est point effacée de nos lois; et ses inutiles tourments continuent à être infligés aux malheureux que la mort va bientôt délivrer

de leurs bourreaux. Ce n'est que huit années plus tard qu'un édit royal vient l'atteindre. Elle demeure cependant; et pour que sa barbare pratique disparaisse des procès criminels, il faudra un décret de l'Assemblée constituante.

Une déclaration du 13 août 1780 ordonne la séparation des prévenus, des condamnés et des prisonniers pour dettes elle promet la suppression des cachots souterrains, tristes monuments de la barbarie des temps passés. Mais les prisons d'État demeurent ; et les lettres de cachet sont toujours lancées contre tous ceux qui déplaisent ou inquiètent.

Au mois d'août 1788, dans un lit de justice, le roi force le Parlement à enregistrer trois édits qui donnent satisfaction aux philosophes sur quelques-uns des points où ils ont sollicité des réformes. Le premier est destiné à accélérer la distribution de la justice criminelle par l'établissement de quarante-sept grands bailliages qui jugeront en dernier ressort toutes les affaires criminelles, sauf celles concernant les ecclésiastiques, les gentilshommes et autres privilégiés. Le second supprime les tribunaux d'exception. Le troisième, le plus important, annonçait la révision de l'ordonnance de 1670; invitait tous les sujets du roi à envoyer leurs observations sur cette matière au garde des sceaux; abolissait la sellette et les autres cérémonies humiliantes infligées aux accusés; enjoignait aux juges de ne plus employer dans les arrêts de condamnation la formule vague « pour les «< cas résultant du procès, » et d'énoncer expressément

les crimes et les délits dont l'accusé avait été convaincu; portait à trois voix, au lieu de deux, la majorité nécessaire pour les condamnations à mort; ordonnait un sursis d'un mois entre la condamnation et l'exécution afin que le droit de grâce ne fût plus illusoire; accordait aux accusés acquittés l'affiche de leur arrêt d'acquittement aux frais du domaine; interdisait enfin l'emploi de la question préalable.

Le Parlement se refusa à exécuter ces édits. La royauté qui les avait rendus contre son gré ne tint pas la main à leur observation. Leur effet fut nul. D'ailleurs il était trop tard.

IV

La France ne voulait plus accepter ces concessions partielles, octroyées par un pouvoir demeuré absolu et toujours maître de reprendre, par un coup de despotisme, ce qu'il n'avait accordé qu'à la force de nécessités et de besoins disparus. Elle réclama et obtint la réunion des États-Généraux. Elle enferma l'expression de ses espérances et de ses volontés dans les cahiers remis à ses mandataires. Ils méritent d'être lus. Ils sont une suprême tentative de conciliation entre la nation et la royauté. On est frappé d'y rencontrer déjà le caractère qui fera l'originalité de la révolution qui s'avance: ils sont philosophiques.

Ce qu'ils demandent au nom du peuple, c'est précisément ce que les publicistes réclament depuis cinquante ans au nom de la raison. On saisit là un trait saillant de notre génie particulier. En France, il y a peu d'initiative dans les masses, mais beaucoup d'intelligence et un sens critique remarquable. Aussi les progrès sont toujours préparés par une élite de penseurs. Leurs idées se font lumière; elles rayonnent vite jusque dans les fonds les plus obscurs de la société. La nation qui, livrée à elle-même, ne sait pas trouver la vérité, et néglige souvent de la chercher, ne manque jamais de la suivre quand elle lui est montrée.

Les philosophes avaient effacé dans la conscience populaire tout respect et tout attachement pour la vieille monarchie. Ils ne s'étaient pas contentés de détruire; ils avaient élevé, en dehors et au-dessus de la société de leur temps, une société idéale dont l'esprit public n'avait point tardé à s'éprendre si vivement qu'il n'aspirait à rien autant qu'à lui donner la vie et la réalité.

Sa passion se marqua dans les cahiers, surtout dans ceux du Tiers-État.

A chaque page apparaît l'opinion favorite des publicistes du XVIIIe siècle, la croyance que toute association politique est le produit d'une convention originaire entre ses membres, et non l'œuvre de la force. On sent que les rédacteurs des cahiers n'envisagent la société que comme une union d'êtres égaux formée pour l'avantage de tous. L'objet de cette société se réduit, suivant eux, à la liberté civile, seule capable d'assurer à chaque citoyen l'exercice

de ses facultés naturelles, dans toute l'étendue autorisée par le bien général. Il leur semble qu'une vraie législation doit être un système de lois tendant à l'établissement et au maintien de cette liberté. Toute disposition qui la contrarie ou ne la sert pas doit être retranchée.

Par une suite logique de ces idées, ils exigent des lois pénales deux choses : qu'elles permettent à tout homme d'agir sans craindre un châtiment injuste; que tout homme coupable puisse être jugé suivant leurs règles sans craindre un châtiment excessif. En lisant ces cahiers, on croit continuer l'étude des écrivains du XVIII° siècle. Le langage et le fond des pensées s'y retrouvent semblables.

Pour ce qui regarde la procédure criminelle, les députés reçoivent de leurs mandants l'injonction d'assurer la liberté individuelle, de faire fermer les prisons d'État, d'abolir les lettres de cachet, d'interdire la violation du secret des lettres, de rétablir le jugement de l'accusé par ses pairs, de restituer aux poursuites leur caractère public et oral, d'anéantir les justices d'exception, d'instituer une indemnité pour l'accusé absous.

Le citoyen n'était rien sous l'ancien régime: on veut qu'il devienne tout. Le mépris de la personne humaine a fait place au respect profond des droits particuliers. La société n'est plus qu'un moyen; elle cesse d'être l'idole à laquelle tout doit être sacrifié.

Les députés aux États-Généraux se mirent à l'œuvre avec un énergique enthousiasme. Soulevée par le double amour de l'égalité et de la liberté, au-dessus des intérêts

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