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iniquité plus monstrueuse encore. La torture! tel est le dernier mot de la procédure secrète, sa conséquence logique. Elles apparaissent ensemble dans nos lois au XIIIe siècle. Si cet horrible moyen de conviction n'avait jamais souillé le code criminel d'aucune nation, les théoriciens de la procédure secrète l'eussent certainement inventé. Mais ils n'eurent pas besoin de faire cet effort. Les tristes temps de la décadence romaine avaient connu la torture. Employée d'abord dans les seules accusations de lèse-majesté, elle le fut bientôt dans toutes les poursuites criminelles. Elle nous vint de Byzance, de cette capitale du monde romain dégénéré, qui nous a légué tant de traditions détestables, tant d'habitudes corruptrices, sous le faix d'une partie desquelles nous gémissons encore; car, nulle part la liberté n'a été plus écrasée, nulle part les sophismes avec lesquels les hommes se voilent à eux-mêmes leur propre anéantissement n'ont été plus habilement soutenus. Les légistes, qui siégeaient dans les tribunaux du roi, firent pénétrer la torture dans notre pratique judiciaire. La jurisprudence en étendit l'usage. Il se forma peu à peu une espèce de code monstrueux où toutes les difficultés que pouvait faire naître son application étaient prévues et tranchées d'avance.

La question préparatoire était ordonnée, tantôt sans réserve de preuves, tantôt avec réserve de preuves. Au premier cas, elle se rapprochait beaucoup des ordalies, de ces épreuves du moyen âge dont Montesquieu a dit : «Nos « pères faisaient dépendre l'honneur, la fortune et la vie

<< des citoyens de choses qui étaient moins du ressort de << la raison que du hasard; ils employaient sans cesse des << preuves qui ne prouvaient rien et qui n'étaient liées << ni avec l'innocence, ni avec le crime. » Au second cas, elle se rattachait au système d'instruction que nous avons suivi depuis l'origine des poursuites jusqu'au jour du jugement, système de contrainte et de violence qui poursuivait l'aveu du crime et non la découverte de la vérité. Vestige de l'ancienne superstition sous la première de ces formes, elle était, sous la seconde, une conséquence de la tyrannie intronisée dans la procédure criminelle.

Le juge était sans libre arbitre quand il s'agisait d'apprécier la vérité du fait; et, par une déplorable contradiction, il resaisissait une puissance arbitraire lorsqu'il s'agissait de déterminer la peine. Il ne pouvait jamais diminuer la gravité du châtiment écrit dans la loi, mais il pouvait l'aggraver. Si le législateur s'était tu sur le fait incriminé, le tribunal pouvait, en se fondant sur des analogies, frapper les accusés qu'aucune disposition expresse n'atteignait. Il avait le droit, lorsque l'insuffisance des preuves ne lui permettait pas d'appliquer le châtiment légal, d'infliger dans son arrêt une peine moindre, mais terrible encore.

Dans le cas où l'accusation, malgré la force des moyens et l'étendue des ressources qu'elle avait à son service, était restée impuissante à convaincre le malheureux qu'elle avait traduit devant les magistrats, ceuxci ordonnaient, s'il leur restait quelque soupçon, un

plus ample informé. Le plus ample informé était quelquefois temporaire, mais souvent indéfini. L'arrêt qui le prononçait laissait le prévenu dans les liens de la poursuite il suffisait, en maintes occasions, pour le retenir dans la prison s'il ne fixait aucune limite de temps, il entraînait l'infamie. La prison, l'infamie, résultant de ce fait même que la culpabilité du prévenu n'avait pu être établie par l'accusation je ne sais s'il y a jamais eu, dans les mœurs judiciaires d'aucun peuple, d'aussi odieuses, d'aussi barbares pratiques.

La majorité simple suffisait pour la condamnation. Quand elle était capitale, sa rigueur était augmentée par une dernière et inutile cruauté. Sous le vain prétexte d'obtenir de l'infortuné que le bourreau attendait, l'aveu d'autres crimes qu'on ne soupçonnait pas, mais qu'il avait pu commettre; et pour lui arracher la révélation de complices qui l'avaient peut-être aidé dans l'accomplissement de son forfait, et que les poursuites n'avaient pas même indiqués aux recherches de la justice; on le livrait encore une fois aux exécuteurs chargés de l'horrible soin de torturer: c'était la question préalable.

La lumière que la publicité eût jetée sur de pareils procédés avait semblé si redoutable à ceux qui les avaient édictés et à ceux qui les employaient, qu'ils n'avaient point voulu souffrir que les motifs des décisions prises dans les affaires criminelles pussent parvenir à la connaissance de la nation. Les arrêts étaient ren

dus avec cette simple formule précédant la condamnation pour les cas résultant du procès.

L'ordonnance accordait aux accusés condamnés en dernier ressort le recours à la justice du souverain s'ils étaient innocents, à sa bonté s'ils étaient excusables, à sa clémence s'ils étaient coupables. Ce droit ne leur était cependant pas assuré. Une des conditions des lettres de grâce était que les condamnés les eussent sollicitées. Nul ne leur indiquait quelle voie ils devaient suivre pour ne point laisser s'échapper cette dernière ressource. L'absence de délais réguliers entre la condamnation et l'exécution eût suffi d'ailleurs pour la leur enlever.

L'ensemble de ces règles, de ces habitudes, ne constituait pas seulement une méthode empirique : il avait été élevé à l'état de science par une foule d'esprits ingénieux, subtils, puissants. La dialectique règne avec éclat dans les volumineux écrits des anciens criminalistes. Ils possèdent l'art de suivre un axiome dans son application à une multitude de cas différents. Ils ne manquent jamais de logique ; je dirais volontiers qu'ils en abusent. Ils ont par là plus d'un trait commun avec les anciens auteurs scolastiques. On trouve chez eux les mêmes qualités avec la même impuissance. Les uns et les autres étaient condamnés à l'immobilité, à la stérilité, par la même cause. Leur science était un édifice sans fondement. Ne s'appuyant pas sur la conscience, la raison, les sentiments naturels, elle en était réduite à s'agiter dans le vide moral, en dehors de la justice et de la vérité. Avec elle l'assertion demeurait assertion;

la question restait question; la controverse devait être éternelle.

La procédure criminelle ne pouvait sortir de la voie où elle était engagée que par un retour sincère et complet à la nature des choses. Il fallait, pour la relever, une doctrine décidée à ne plus tirer ses principes de ses préjugés. Ce fut le rôle de la philosophie du xy' siècle. Elle fit pour la procédure criminelle, et en général pour toutes les sciences sociales et politiques, ce que Descartes et Bacon, au siècle précédent, avaient fait pour la métaphysique et les sciences exactes.

L'éclat de sa révolte a été tel, qu'il a voilé aux yeux éblouis les protestations plus humbles qui l'ont précédée. Il y aurait cependant une véritable ingratitude à les oublier. Dès le XVI siècle, Ayrault, dans son grand ouvrage sur « l'Instruction judiciaire des Grecs et des « Romains és accusations publiques conféré au stil et « usage de nostre France,» avait flétri le secret. « L'au«<dience publique,» écrivait-il, «est une note infaillible « aux mauvais, quelqu'issue qu'ayt le procès : aux bons « une réparation d'hôneur qui ne peut jamais être trop << notoire ny trop connue à tout le monde. » Dumoulin, le plus grand des jurisconsultes et le plus honnête des hommes, avait répondu à l'ordonnance de 1539 par un cri sublime de généreuse colère et de forte indignation. L'ordonnance de 1670 avait rencontré dans Serpillon, lieutenant général criminel au bailliage d'Autun et excellent jurisconsulte, un critique souvent sévère. Enfin un conseiller au parlement de Bourgogne, Nicolas Au

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