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Se regarde soi-même en sévère censeur,
Rend à tous ses défauts une exacte justice,
Et fait, sans se flatter, le procès à son vice.
Mais chacun pour soi-même est toujours indulgent.
Un avare, idolâtre et fou de son argent,
Rencontre la disette au sein de l'abondance,
Appelle sa folie une rare prudence,

Et met toute sa gloire et son souverain bien
A grossir un trésor qui ne lui sert de rien.
Plus il le voit accru, moins il en fait usage.
Sans mentir, l'avarice est une étrange rage,
Dira cet autre fou non moins privé de sens,
Qui jette, furieux, son bien à tous venants,
Et dont l'âme inquiète, à soi-même importune,
Se fait un embarras de sa bonne fortune.

Qui des deux, en effet, est le plus aveuglé ?
L'un et l'autre, à mon sens, ont le cerveau troublé,
Répondra chez Frédoc ce marquis sage et prude,
Et qui, sans cesse au jeu, dont il fait son étude,
Attendant son destin d'un quatorze ou d'un sept,
Voit sa vie ou sa mort sortir de son cornet.
Que si d'un sort fâcheux la maligne inconstance
Vient, par un coup fatal, faire tourner la chance,
Vous le verrez bientôt, les cheveux hérissés,
Et les yeux vers le ciel, de fureur élancés,
Ainsi qu'un possédé que le prêtre exorcise,
Fêter dans ses serments tous les saints de l'Eglise.
Qu'on le lie; ou je crains, à son air furieux,
Que ce nouveau Titan n'escalade les cieux.
Mais laissons-le plutôt en proie à son caprice:
Sa folie, aussi bien, lui tient lieu de supplice.

Satire 4.

A SON ESPRIT

Il n'est valet d'auteur ni copiste à Paris,
Qui, la balance en main, ne pèse les écrits.
Dès que l'impression fait éclore un poëte,
Il est esclave-né de quiconque l'achète,

Il se soumet lui-même aux caprices d'autrui,
Et ses écrits tout seuls doivent parler pour lui.
Un auteur à genoux, dans une humble préface
Au lecteur qu'il ennuie a beau demander grâce,
Il ne gagnera rien sur ce juge irrité,

Qui lui fait son procès de pleine autorité.
Et je serai le seul qui ne pourrai rien dire !
On sera ridicule, et je n'oserai rire!

Et qu'ont produit mes vers de si pernicieux
Pour armer contre moi tant d'auteurs furieux?
Loin de les décrier, je les ai fait paraître :

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Et souvent sans ces vers qui les ont fait connaître,
Leur talent dans l'oubli demeurerait caché:

Et qui saurait sans moi que Cotin a prêché?

La satire ne sert qu'à rendre un fat illustre :
C'est une ombre au tableau qui lui donne du lustre.
En les blåmant enfin, j'ai dit ce que j'en croi;
Et tel qui m'en reprend en pense autant que moi.
Il a tort, dira l'un, pourquoi faut-il qu'il nomme?
Attaquer Chapelain! ah! c'est un si bon homme !
Balzac en fait l'éloge en cent endroits divers.

Il est vrai, s'il m'eût cru, qu'il n'eût point fait de vers.
Il se tue à rimer que n'écrit-il en prose?

Voilà ce que l'on dit. Et que dis-je autre chose?
En blåmant ses écrits, ai-je d'un style affreux

Distillé sur sa vie un venin dangereux?

Ma muse, en l'attaquant, charitable et discrète,
Sait de l'homme d'honneur distinguer le poëte.
Qu'on vante en lui la foi, l'honneur, la probité;
Qu'on prise sa candeur et sa civilité;

Qu'il soit doux, complaisant, officieux, sincère;
On le veut, j'y souscris, et suis prêt à me taire.
Mais que pour un modèle on montre ses écrits;
Qu'il soit le mieux renté de tous les beaux esprits;
Comme roi des auteurs qu'on l'élève à l'empire:
Ma bile alors s'échauffe, et je brûle d'écrire,
Et s'il ne m'est permis de le dire au papier,
J'irai creuser la terre, et, comme ce barbier,
Faire dire aux roseaux par un nouvel organe :
Midas, le roi Midas, a des oreilles d'âne.
Quel tort lui fais-je enfin? Ai-je par un écrit
Pétrifié sa veine et glacé son esprit ?
Quand un livre au Palais se vend et se débite,
Que chacun par ses yeux juge de son mérite,
Que Bilaine (1) l'étale au deuxième pilier,
Le dégoût d'un censeur peut-il le décrier?
En vain contre le Cid un ministre se ligue,
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue.
L'Académie en corps a beau le censurer,
Le public révolté s'obstine à l'admirer.

Mais lorsque Chapelain met une œuvre en lumière,
Chaque lecteur d'abord lui devient un Linière (2).
En vain il a reçu l'encens de mille auteurs,
Son livre en paraissant dément tous les flatteurs;
Ainsi, sans m'accuser, quand tout Paris le joue,
Qu'il s'en prenne à ses vers, que Phoebus désavoue :

(1) Libraire de Paris.

(2) Auteur qui a écrit contre Chapelain.

Qu'il s'en prenne à sa muse allemande en françois.
Mais laissons Chapelain pour la dernière fois.
La satire, dit-on, est un métier funeste,

Qui plaît à quelques gens, et choque tout le reste
La suite en est à craindre: en ce hardi métier,
La peur plus d'une fois fit repentir Régnier.
Quittez ces vains plaisirs dont l'appât vous abuse:
A de plus doux emplois occupez votre muse,
Et laissez à Feuillet (1) réformer l'univers.

Puisque vous le voulez, je vais changer de style,
Je le déclare donc : Quinault est un Virgile;
Pradon comme un soleil en nos ans a paru;
Pelletier écrit mieux qu'Ablancourt et Patru;
Cotin, à ses sermons traînant toute la terre,
Fend les flots d'auditeurs pour aller à sa chaire;
Sofal est le phénix des esprits relevés;

Perrin... Bon, mon esprit ! courage! poursuivez.
Mais ne voyez-vous pas que leur troupe en furie
Va prendre encor ces vers pour une raillerie!
Et Dieu sait aussitôt que d'auteurs en courroux,
Que de rimeurs blessés s'en vont fondre sur vous!
Vous les verrez bientôt, féconds en impostures,
Amasser contre vous des volumes d'injures;
Traiter en vos écrits chaque vers d'attentat,
Et d'un mot innocent faire un crime d'État.
Vous aurez beau vanter le roi dans vos ouvrages,
Et de ce nom sacré sanctifier vos pages:

Qui méprise Cotin n'estime pas son roi,
Et n'a, selon Cotin, ni Dieu, ni foi, ni loi.

Satire 9.

(1) Fameux prédicateur.

PASSAGE DU RHIN

Au pied du mont Adule, entre mille roseaux,
Le Rhin, tranquille et fier du progrès de ses eaux,
Appuyé d'une main sur son urne penchante,
Dormait au bruit flatteur de son onde naissante,
Lorsqu'un cri tout à coup suivi de mille cris
Vient d'un calme si doux retirer ses esprits.
Il se trouble, il regarde; et partout, sur ses rives,
Il voit fuir à grands pas ses naïades craintives,
Qui, toutes accourant vers leur humide roi,
Par un récit affreux redoublent son effroi.
Il apprend qu'un héros, conduit par la victoire,
A de ses bords fameux flétri l'antique gloire;
Que Rhimberg et Vesel, terrassés en deux jours,
D'un joug déjà prochain menacent tout son cours.
« Nous l'avons vu, dit l'une, affronter la tempête
De cent foudres d'airain tournés contre sa tête :
Il marche vers Tholus, et tes flots en courroux,
Au prix de sa fureur sont tranquilles et doux:
Il a de Jupiter la taille et le visage,

Et depuis ce Romain dont l'insolent passage

Sur un pont, en deux jours, trompa tous tes efforts,
Jamais rien de si grand n'a paru sur tes bords. »

Le Rhin tremble et frémit à ces tristes nouvelles;

Le feu sort à travers ses humides prunelles.

<< C'est donc trop peu, dit-il, que l'Escaut en deux mois
Ait appris à couler sous de nouvelles lois;
Et de mille remparts mon onde environnée
De ces fleuves sans nom suivra la destinée !
Ah! périssent mes eaux! ou, par d'illustres coups,
Montrons qui doit céder des mortels ou de nous. »

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