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ornemens à des idées simples, que la prose n'embelliroit pas. >>

« Il y a dans L'Avare quelques idées prises de Plaute et embellies par Moliere. Plaute avoit imaginé le premier de faire en même tems voler la cassette de l'avare et séduire sa fille. C'est de lui qu'est toute l'invention de la scene du jeune homme qui vient avouer le rapt, et que l'avare prend pour le voleur; mais on ose dire que Plaute n'a point assez profité de cette situation. Il ne l'inventa que pour la manquer. Que l'on en juge par ce seul trait. L'amant de la fille ne paroît que dans cette scene: il vient sans être annoncé, ni préparé, et la fille, elle-même, n'y paroît point du tout. >>

<< Tout le reste de la Piece est de Moliere ; caracteres, intrigues, plaisanteries. Il n'a imité que quelques lignes; comme cet endroit où l'avare,

scene septieme du quatrieme acte ) parlant (peut-être mal-à-propos) aux Spectateurs, dit : Mon voleur n'est-il point parmi vous ?.... Ils me regardent tous, et se mettent à rire. ( Quid est quod rideris? Novi omnes scio fures hic esse complures.) Et cet autre endroit encore, ( scene troisieme du premier acte) où ayant examiné

les mains du valet qu'il soupçonne, il demande à voir la troisieme : Ostende tertiam. » (1)

« Mais si l'on veut connoître la différence du

(1) Chappuzeau, dans sa Comédie intitulée La Dame d'intrigue, ou Le riche Vilain, en trois actes, en vers, jouée en 1663, avoit déja imité cet endroit de L'Avare de Plaute, et « avoit trouvé un tempéramment ingénieux à ce trait, en ne faisant demander que l'autre main ( au valet interrogé par son tiche vilain, pour savoir s'il n'en a pas été volé), parce que celui-ci peut paroître avoir oublié qu'il a déja vu la main qu'il veut revoir. D'ail leurs, en demandant simplement l'autre, c'est demander à les voir toutes deux ensemble; ce qu'on ne peut pas dire de la tournure de Plaute, ni de celle de Moliere, »> observe M. Bret, dans ses Commentaires placés à la suite de L'Avare de Moliere, pour son édition de cet Auteur.

Voici le trait de la Comédie de Chappuzeau.

Crispin, c'est le nom du Riche Vilain, demande à voir les mains de Philippin, valet de Lycaste, amant d'Isabelle, fille de Crispin, pour savoir si ce valet, qui s'est approché de lui, ne lui a rien volé.

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style de Plaute et du style de Moliere, qu'on voie les portraits que chacun fait dans son avare. Plaute dit :

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Clamat suam rem periisse seque,

De suo tigillo fumus si qua exit foras.

Quin, cum it dormitum,follem obstringit ob gulam,
Ne quid animæ fortè amittat dormiens ;

Etiamne obturat inferiorem gutturem! &c

Il crie qu'il est perdu, qu'il est abîmé si la fumée de son feu va hors de sa maison. Il se met une vessie à la bouche pendant la nuit, de peur de perdre son souffle. Se bouche-t-il aussi la bouche d'en bas? »

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Cependant, ces comparaisons de Plaute avec Moliere, toutes à l'avantage du dernier, n'em

PHILIPPIN, lui montrant son autre main.
Tenez; voyez jusqu'à demain.

+

L'autre.

CRISPIN.

PHILIPPIN, avec impatience.

Allez la chercher ! En ai-je une douzaine ? &c... ̧ Cette Piece n'a pas d'autres ressemblances avec L'Avare de Moliere; et ce dernier n'en a aucune avec L'Avare cornu, de Chappuis, ni avec L'Avare amoureux, de d'Aygucberre.

pêchent pas qu'on ne doive estimer ce Comique Latin, qui, n'ayant pas la pureté de Térence, et fort inférieur à Moliere, a été, pour la variété de ses caracteres et de ses intrigues, ce que Rome a eu de meilleur. On trouve aussi, à la vérité, dans L'Avare de Moliere quelques expressions grossieres, comme : Je sais l'art de traire les hommes; et quelques mauvaises plaisanteries, comme : Je marierois, si je l'avois entrepris, le grand Turc et la République de Venise. » ( dit l'intrigante Frosine, dans la cinquieme et la sixieme scenes du troisieme acte.)

« Cette Comédie a été traduite en plusieurs langues, et jouée sur plus d'un Théatre d'Italie et d'Angleterre, de même que les autres Pieces de Moliere; mais les Pieces traduites ne peuvent réussir que par l'habileté du Traducteur. Un Poëte Anglois, nommé Shadwell, aussi vain que mauvais Poëte, la donna en Anglois, du vivant de Moliere. Cet homme dit, dans sa Préface: Je crois pouvoir dire, sans vanité, que Moliere n'a rien perdu entre mes mains. Jamais Piece Françoise n'a été maniée par un de nos Poëtes, quelque méchant qu'il fût, qu'elle n'ait été rendue meilleure.

meilleure. Ce n'est ni faute d'invention, ni faute d'esprit que nous empruntons des François ; mais c'est par paresse. C'est aussi par paresse que je me suis servi de L'Avare de Moliere. »

« On peut juger qu'un homme qui n'a pas assez d'esprit pour mieux cacher sa vanité, n'en a pas assez pour faire mieux que Moliere. La Piece de Shadwell est généralement méprisée. M. Fielding, meilleur Poëte et plus modeste, a traduit L'Avare, et l'a fait jouer à Londres en 1733. Il y a ajouté réellement quelques beautés de dialogue particulieres à sa nation, et sa Piece a cu près de trente représentations; succès trèsrare à Londres, où les Pieces qui ont le plus de cours ne sont jouées, tout au plus, que quinze fois. »

« Lorsque Moliere fit reparoître son Avare, le 9 Septembre 1668, il eut à cette reprise beaucoup moins de contradictions, quoique des circonstances particulieres lui eussent fait un ennemi bien plus considérable que ceux qu'il avoit l'année précédente; c'étoit l'illustre Racine, avec lequel il ne se trouvoit déja plus depuis la chûte de la Tragédie d'Alexandre sur son

b

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