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la plaisanterie est excellente, en est-elle moins punissable? et la Piece où l'on fait aimer le fils insolent qui l'a faite en est-elle moins une école de mauvaises mœurs ? »

« Riccoboni avoit fait cette critique dans ses Observations sur la Comédie et sur le génie de Moliere, remarque M. Bret. Il avoit dit que Moliere, à cet égard, avoit sacrifié les mœurs à l'esprit, et son devoir à son génie. Cependant Riccoboni, dans le même Ouvrage, cherche à excuser Moliere sur ce défaut, par la violence de la passion du jeune homme, par l'obstacle déraisonnable qu'on met à son mariage, par la disette d'argent où il se trouve, par le désespoir où le jette l'infâme usure de son pere, et, enfin, par sa jeunesse. Riccoboni observe, d'ailleurs, qu'après avoir exécuté ce que l'enthousiasme de son génie lui demandoit, Moliere est revenu sur ses pas, et n'a rien oublié pour corriger la faute qu'il avoit faite dans le caractere de Cléante, en nous montrant ce jeune homme rapportant le trésor de son pere, et le suppliant avec décence, de

lui accorder Mariane. »

« Il est difficile de voir, avec Riccoboni,

cette

Cette décence, qui ne consiste, de la part du fils, qu'à rapporter la cassette à son pere, et à s'en faire un droit pour épouser Mariane; mais on ajoutera à ce qu'il vient de dire, pour la défense de Moliere, qu'en voulant peindre à son siecle le vice de l'usure et de la basse avarice, il n'avoit pas dûr oublier ces grands traits de la nature, qui nous montreront toujours un homme aussi vil qu'Harpagon méprisé par tous ses enet dépouillé même de tous les droits d'un pere, parce que lui-même est sans tendresse pour ses propres enfans, comme Moliere l'a marqué expressément, dans la scene quatrieme du cinquieme acte, lorsqu'Harpagon répond à sa fille, en lui parlant de Valere, qu'elle dit lui avoir sauvé la vie : Il valoit bien mieux pour moi qu'il te laissât noyer que de faire ce qu'il a fait ! »

tours,

« L'impertinence de ses valets avec lui et le défaut de soumission de ses enfans, est le vrai châtiment de l'avare; et Moliere eût manqué son but s'il nous l'eût offert comme un maître plus redouté, et comme un pere plus heureux. n «S'il arrivoit à quelqu'un de vouloir tracer le caractere d'un mauvais pere, ne lui donneroit

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il que des enfans pleins de vertus? Peindroit-il la bénédiction du Ciel répandue sur toute sa famille et la vérité ne le conduiroit-elle pas à ttacer les désordres d'un fils rebuté par sa sévérité et par ses injustices, et, peut-être, l'honneur de sa fille dans le plus grand danger? Cet Écrivain justifieroit-il par-là l'inconduite du fils, ou les foiblesses de la fille? Non; mais il verseroit dans la classe des peres de famille un utile effroi; il les rameneroit au plaisir et à l'intérêt de se faire aimer.... >>

Voltaire a observé, dans la Préface de sa Tra→ gédie de Mariamne, que l'épreuve d'Harpagon sur Cléante, scene troisieme du quatrieme acte de L'Avare, est absolument la même que celle de Mithridate sur Monime, pour découvrir si son fils, Xipharès, est son rival, dans la scene cinquieme du troisieme acte de la Tragédie de ce nom, que Racine fit représenter en 1673, six ans après L'Avare, l'année de la mort de Moliere, et que cette Comédie et cette Tragédie ont beaucoup d'autres ressemblances entre elles, quant à l'intrigue, autant que les deux genres différens peuvent le comporter. Voyez les Juge

mens et Anecdotes sur Mithridate, tome treizieme des Tragédies de notre Collection.

C'étoit à l'accident arivé à Béjart, qui jouoit le rôle de La Fleche dans L'Avare, que Moliere, son beau-frere, faisoit allusion, lorsque, dans la scene quatrieme du premier acte, Harpagon, qui étoit joué par Moliere lui-même, disoit de La Fleche: Je ne me plais point à voir ce chien de boiteux-là! L'Histoire du Théatre François, des freres Parfaict, nous apprend que Béjart ayant voulu séparer deux de ses camarades qui avoient tiré l'épée, l'un contre l'autre, sur la place du Palais-Royal, il avoit été blessé au pied par l'une de ces deux épées, qu'il avoit rabattues avec la sienne, et qu'il en étoit resté boîteux toute sa vie; que, parce qu'il faisoit beaucoup de plaisir aux Spectateurs, les Acteurs qui l'avoient remplacé dans le rôle de La Fleche, et dans tous les autres rôles qu'il jouoit, avoient affecté de boîter en les jouant , pour tâcher de lui ressembler même par-là. Aujourd'hui les Acteurs qui jouent le rôle d'Harpagon substituent au mot boîteux toute autre injure supportable qui leur vient à l'esprit.

Moliere, dans la scene septieme du second acte de cette Comédie, fit aussi allusion à sa propre incommodité, en parlant à Frosine de la fluxion qui le prenoit, de tems en tems. Cette fluxion avoit déja fait alors craindre plus d'une fois pour ses jours, et elle le réduisoit souvent au lait, pour toute nourriture, ainsi que nous l'avons dit dans les Jugemens et Anecdotes sur Le Sicilien, ou L'Amour Peinire, qui fait partie de ce volume.

Voltaire prétend, dans ses Questions sur l'Encyclopédie, que « Moliere avoit écrit son Avare en prose, pour le mettre ensuite en vers; mais qu'il parat si bon, que les Comédiens voulurent le jouer tel qu'il étoit. Personne n'osa depuis y toucher, ajoute Voltaire. Il y a des plaisanteries faites pour la prose et d'autres pour les vers. Tel bon conte, dans la conversation, deviendroit insipide s'il étoit versifié ; et tel autre ne réussiroit bien qu'en rimes. Moliere avoit à cet égard le tact le plus sûr ; et il n'est aucune de ses Comédies en prose qui ne perdit de son naturel et de sa plaisanterie naïve si elle étoit écrite autrement qu'elle ne l'est. >>

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