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avoir lu.) Seigneur François, c'est une grande grace que vous me voulez faire; et je vous suis fort obligé !

ADRASTE.

Toute mon ambition est de rendre service aux gens de nom et de mérite.

D. PEDRE.

Je vais faire venir la personne dont il s'agit.

(Il va à la porte d'une chambre voisine, et Isidore en sort aussi-tôt.)

SCENE X V I.

ISIDOKE, D. PEDRE, ADRASTE, DEUX LAQUAIS d'Adraste.

D. PEDRE, à Isidore, en lui montrant Adraste.

Voici un Gentilhomme que Damon vous envoie,

qui se veut bien donner la peine de vous peindre... (A Adraste, qui embrasse Isidore en la saluant. ) Holà! Seigneur François, cette façon de saluer n'est point d'usage en ce pays.

ADRASTE.

C'est la maniere de France.

D. PEDRE.

La maniere de France est bonne pour vos femmes mais pour les nôtres elle est un peu trop familiere.

ISIDORE, à Adraste..

Je reçois cet honneur avec beaucoup de joie. L'aventure me surprend fort; et, pour dire le vrai, je ne m'attendois pas d'avoir un Peintre si illustre!

ADRASTE.

Il n'y a personne, sans doute, qui ne tînt à beaucoup de gloire de toucher à un tel ouvrage. Je n'ai pas grande habileté; mais le sujet ici ne fournit que trop de lui même, et il y a moven de faire quelque chose de beau sur un original fait comme celui-là !

ISIDORE.

L'original est peu de chose; mais l'adresse du Peintre en saura couvrir les défauts.

ADRASTE.

Le Peintre n'y en voit aucun ; et tout ce qu'il souhaite est d'en pouvoir représenter les graces, aux yeux de tout le monde, aussi grandes qu'il les peut voir.

ISIDOR E.

Si votre pinceau flatte autant que votre langue, vous allez faire un portrait qui ne me ressemblera pas !

ADRASTE.

Le Ciel, qui fit l'original, nous ôte le moyen d'en faire un portrait qui puisse flatter!

ISIDOR B.

Le Ciel, quoi que vous en disiez, ne....

D PEDRE, l'interrompant.

Finissons cela, de grace! Laissons les complimens,

et songeons au portrait,

ADRASTE, à ses Laquais.

Allons, apportez tout.

{ Les deux Laquais préparent tout ce qu'il faut pour peindre Isidore, et puis ils sortent.)

SCENE X VII.

ADRASTE.

ISIDORE, à Adraste.

D. PEDRE, ISIDORE,

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U voulez-vous que je me place?

ADRASTE, lui montrant un endroit commode. Ici. Voici le lieu le plus avantageux, et qui reçoit le mieux les vues favorables de la lumiere que nous cherchons.

ISIDORE, s'asseyant.

Suis-je bien ainsi ?

ADRASTE, la plaçant lui-même sur le siége. Oui.... Levez-vous un peu, s'il vous plaît.... Un peu plus de ce côté-là. Le corps tourné ainsi la tête un peu levée, afin que la beauté du col paroisse.... Ceci un peu plus découvert.... (Il lui découvre un peu la gorge.) Ron là!.... Un peu davantage; encore, tant soit peu. D. PEDRE, à Isidore.

Il y a bien de la peine à vous mettre! Ne sauriez-vous vous tenir comme il faut?

ISIDORE.

Ce sont ici des choses toutes neuves pour moi; et c'est à Monsieur à me mettre de la façon qu'il veut.

ADRASTE, s'asseyant.

Voilà qui va le mieux du monde, et vous vous tenez à merveille!... (La faisant tourner un peu vers lui.) Comme cela, s'il vous plaît. Le tout dépend des attitudes qu'on donne aux personnes qu'on peint.

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Un peu plus de ce côté. . . . Vos yeux toujours tournés vers moi, je vous en prie.... Vos regards attachés aux miens.

ISIDOR E.

Je ne suis pas comme ces femmes qui veulent, en se faisant peindre, des portraits qui ne sont point elles; et ne sont point satisfaites du Peintre s'il ne les fait toujours plus belles qu'elles ne sont. Il faudroit, pour les contenter, ne faire qu'un portrait pour toutes; car toutes demandent les mêrnes choses: un teint tout de lis et de roses, un nez bien fait, une petite bouche, et de grands yeux vifs, bien fendus; et, sur tout, le visage pas plus gros que le poing, l'eussent-elles d'un pied de large. Pour moi, je vous demande un portrait qui soit moi, et qui n'oblige point à demander qui c'est.

ADRASTE.

Il seroit mal-aisé qu'on demandât cela du vôtre; et vous avez des traits à qui fort peu d'autres ressemblent! Qu'ils ont de douceurs et de charines, et qu'ont court risque à les peindre!

D. PEDRE.

Le nez me semble un peu gros.

ADRASTE, à Isidore.

J'ai lu je ne sais où, qu'Apelle peignit autrefois une maîtresse d'Alexandre, d'une merveilleuse beauté, et qu'il en devint, la peignant, si éperdument amoureux, qu'il fut près d'en perdre la vie ; de sorte qu'Alexandre, par générosité, lui céda l'objet de ses vœux.... (A D. Pedre. ) Je pourrois faire ici ce qu'Apelle fit autrefois ; mais vous ne feriez pas, peutêtre, ce que fit Alexandre?

(D. Pedre fait la grimace.) ISIDORE, à D. Pedre.

Tout cela sent la nation; et toujours Messieurs les François ont un fonds de galanterie qui se répand par-tout.

ADRASTE.

On ne se trompe gueres à ces sortes de choses; et vous avez l'esprit trop éclairé, pour ne pas voir de quelle source partent les choses qu'on vous dit. Oui, quand Alexandre seroit ici, et que ce seroit votre amant, je ne pourrois m'empêcher de vous dire que je n'ai rien vu de si beau que ce que je vois maintenant, et que....

D. PEDRE, l'interrompant.

ce me

Seigneur François vous ne devriez pas, > semble, tant parler; cela vous détourne de votre ouvrage.

ADRASTE.

Ah! point du tout. J'ai toujours coutume de parler quand je peins; et il est besoin dans ces choses d'un peu de conversation , pour réveiller l'esprit, et tenir les visages dans la gaieté nécessaire aux personnes que l'on veut peindre.

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