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COMÉDIE-BALLET.

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.

SGANARELLE, AMINTE, LUCRECE, M. GUILLAUME, M. JOSSE.

SGANARELLE, à part.

AH! P'étrange chose que la vie! et que je puis bien

dire, avec ce grand Philosophe de l'antiquité, que qui terre a, guerre a, et qu'un malheur ne vient jamais sans l'autre ! Je n'avois qu'une femme qui est morte.

M. GUILLAUME.

Hé combien donc en vouliez-vous avoir ?

SGANARELLE.

Elle est morte, M. Guillaume, mon ami. Cette perte m'est très-sensible, et je ne puis m'en ressouvenir sans pleurer. Je n'étois pas fort satisfait de sa conduite, et nous avions, le plus souvent, dispute ensemble; mais, enfin, la mort rajuste toutes choses. Elle est morte; je la pleure. Si elle étoit en vie, nous

nous querellerions. De tous les enfans que le Ciel m'a donnés, il ne m'a laissé qu'une fille, et cette fille est toute ma peine; car, enfin, je la vois dans une mélancolie la plus sombre du monde, dans une tristesse épouvantable, dont il n'y a pas moyen de la retirer, et dont je ne saurois même apprendre la cause. Pour moi, j'en perds l'esprit, et j'aurois besoin d'un bon conseil sur cette matiere.... (4 Lucrece.) Vous êtes ma niece... ( A Aminte. ) Vous, ma voisine.... (A M. Guillaume et à M. Josse. et vous, mes comperes et mes amis je vous prie de me conseiller tous ce que je dois faire.

M. JOSSE.

Pour moi, je tiens que la braverie, que l'ajustement est la chose qui réjouit le plus les filles; et, si j'étois que de vous, je lui acheterois, dès aujourd'hui, une belle garniture de diamans, ou de rubis, ou d'émeraudes.

M. GUILLAUME, à Sganarelle.

Et moi, si j'étois en votre place, j'acheterois une belle tenture de tapisserie de verdure, ou à personnages, que je ferois mettre dans sa chambre pour lui réjouir l'esprit et la vue.

AMINTE, à Sganarelle.

Pour moi, je ne ferois pas tant de façon. Je la marierois fort bien, et le plus tôt que je pourrois, avec cette personne qui vous la fit, dit-on, demander, il y a quelque tems.

LUCRECE, à Sganarelle.

Et moi, je tiens que votre fille n'est point du tout

propre pour le mariage. Elle est d'une complexion trop délicate et trop peu saine; et c'est la vouloir envoyer bientôt en l'autre monde que de l'exposer, comme elle est, à faire des enfans. Le monde n'est point du tour son fait; et je vous conseille de la mettre dans un couvent, où elle trouvera des divertissemens qui seront mieux de son humeur.

SGANARELLE.

Tous ces conseils sont admirables, assurément! mais je les trouve un peu intéressés, et trouve que vous me conseillez fort bien pour vous.... (AM. Josse. ) Vous êtes Orfevre, M. Josse, et votre conseil sent son homme qui a envie de se défaire de sa marchandise... (AM. Guillaume.) Vous vendez des tapisseries, M. GuilJaume, et vous avez la mine d'avoir quelque tenture qui vous incommode.... . (A Aminte.) Celui que vous aimez, ma voisine, a, dit-on, quelque inclination pour ma fille, et vous ne seriez pas fâchée de la voir femme d'un autre.... (A Lucrece.) Et quant à vous, ma chere niece, ce n'est pas mon dessein, comme on sait, de marier ma fille avec qui que ce soit, et j'aimes raisons pour cela; mais le conseil que vous me donnez de la faire Religieuse est d'une femme qui pourroit bien souhaiter charitablement d'être mon héritiere univerL selle. Ainsi, Messieurs et Mesdames, quoique tous vos conseils soient les meilleurs du monde, vous trouverez bon, s'il vous plaît, que je n'en suive aucun. (Aminte, Lucrece, M. Josse et M. Guillaume s'en vont.)

VOILA

SCENE II.

S GANARELLE, seul.

OILA de mes donneurs de conseils à la mode!

SCENE III.

LUCINDE, SGANARELLE,

SGANARELLE,

AH! voilà ma fille qui prend l'air

part.

.... Elle ne me voit pas.... Elle soupire. Elle leve les yeux au Ciel.... (A Lucinde.) Dieu vous gard! Bonjour, ma mie.... Hé bien, qu'est-ce? Comme vous en va? Hé quoi! toujours triste et mélancolique comme cela; et tu no veux pas me dire ce que tu as? Allons donc, découvremoi ton petit cœur. Là, ma pauvre mie, dis, dis, dis tes petites pensées à ton petit papa mignon.... Courage!.... Veux-tu que je te baise? Viens.... (Apart.) J'enrage de la voir de cette humeur-là.... (A Lucinde.) Mais, dis-moi, me veux-tu faire mourir de déplaisir, et ne puis-je savoir d'où vient cette grande langueur? Découvre-m'en la cause, et je te promets que je ferai toutes choses pour toi. Oui, tu n'as qu'à me dire le sujet de ta tristesse; je t'assure ici, et te fais serment qu'il n'y a rien que je ne fasse pour te satisfaire; c'est

tout dire. Est-ce que tu es jalouse de quelqu'une de tes compagnes que tu voies plus brave que toi, et seroitil quelque étoffe nouvelle dont tu voulusses avoir un habit?....(Lucinde fait signe que non.) Non?... Est-ce que ta chambre ne te semble pas assez parée; et que tu souhaiterois quelque cabinet de la foire Saint-Laurent.... (Lucinde fait signe que non. ) Ce n'est pas cela? Aurois-tu envie d'apprendre quelque chose, et veux-tu que je te donne un maître pour te montrer à jouer du clavecin?.... (Lucinde fait signe que non.) Nenni? ... Aimerois-tu quelqu'un, et souhaiterois-tu d'être mariée? (Lucinde fait signe qu'oui. )

SCENE I V.

LISETTE, SGANARELLE, LUCINDE. LISETTE, à Sganarelle, qu'elle tire à l'écart.

Ht bien, Monsieur, vous venez d'entretenir votre

fille. Avez-vous su la cause de sa mélancolie?

SGANARELLE.

Non. C'est une coquine qui me fait enrager!

LISETTE.

Monsieur, laissez-moi faire, je m'en vais la sonder un peu.

SGANARELLE.

Il n'est pas nécessaire; et, puisqu'elle veut être de cette humeur, je suis d'avis qu'on l'y laisse.

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