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sa vie. Pour parvenir à ce but, Cicéron prend pour point de départ, avec les plus grands philosophes, que tout ce qui est honnête est utile, qu'il n'y a rien d'utile, s'il n'est honnéte, et que, par conséquent, une chose n'est point utile, dès qu'elle est honteuse, fût-elle cachée au reste des hommes; magnifique langage, mais qui ne peut être entendu et bien compris que par la conscience. Aussi c'est à la conscience, à ce que Dieu même a donné à l'homme de plus divin, que s'adresse Cicéron pour confirmer sa thèse; c'est la conscience qu'il interroge, qu'il atteste, qu'il interpelle, comme le juge, en dernier ressort, de la moralité de nos actes. De là, il examine tour à tour l'opposition de l'utile avec les différents éléments de l'honnête avec la justice, dans les relations sociales, dans la vie publique, dans les promesses et les engagements; - avec la grandeur d'âme, dans le support des injures et dans l'observation du serment; enfin avec la modération, dans la fuite des plaisirs et dans la pratique de la tempérance.

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La théorie des collisions, comme celle de l'honnête et de l'utile, présente, dans Cicéron, un caractère particulier que nous avons déjà indiqué. En effet, les individus que la morale de son traité concerne, sont presque toujours des hommes de la haute classe de la société romaine, destinés à prendre part à l'administration de l'État. Descend-il à une classe inférieure, c'est tout au plus celle des hommes qui s'occupent de l'instruction et des sciences. Les autres classes de la société, comme les artisans, les laboureurs, etc., qui fournissent à ses besoins matériels, cette portion si nombreuse et si intéressante de l'humanité, y trouvent, il est vrai, des préceptes généraux de vertu qui sont nécessaires à tous les hommes, parce qu'ils ont tous la même nature; mais elles y chercheraient en vain l'application de ces règles aux circonstances où elles sont placées. C'est par une suite de cette manière de voir, que les préceptes moraux de Cicéron se transforment si souvent en maximes de politique : ainsi, lorsqu'il prescrit, dans le premier livre, des bornes à la curiosité, c'est afin qu'elle n'empêche pas de se livrer aux affaires publiques; ainsi encore, il recommande, avant tout, cette espèce de justice qu'exercent les administrateurs par leur impartialité et leur désintéressement, et il blâme particulièrement les injustices commises par ceux qui sont à la tête du gouvernement ou des armées. C'est pour la même raison qu'il s'étend si longuement sur les moyens de se rendre agréable au peuple, sur l'éloquence qui fraye le chemin aux honneurs, sur les droits de la guerre ; c'est pour cela que l'amour du peuple et les dignités

lui paraissent, du reste à juste titre, des choses de la plus haute utilité; c'est pour cela que tous sés exemples sont tirés de l'histoire politique. Enfin cette manière de voir est la cause de la grande inégalité qui se trouve dans le développement donné par Cicéron aux différentes espèces de devoirs. Ceux par lesquels l'homme perfectionne sa nature morale ou son état intérieur, ne sont que brièvement indiqués. La vie domestique n'y est prise en considération qu'autant qu'elle forme le passage à la vie civile et qu'elle sert de base à l'état social. Les devoirs religieux sont entièrement passés sous silence; et il y aurait lieu de s'en étonner de la part d'un homme tel que Cicéron, si, membre d'une république où les emplois étaient accessibles même aux plébéiens, où le gouvernement de l'État était la chose de tous et où la vie publique était la seule existence du citoyen, si, dis-je, il n'avait pas cru devoir s'attacher presque exclusivement à la morale publique et à ses nombreuses applications.

N° 5.

Analyse du Discours de la Méthode, de Descartes.

RENÉ DESCARTES1, né l'an 1596 à la Haye, en Touraine, après avoir porté les armes et voyagé, se retira l'an 1624 en Hollande, pour philosopher avec plus de liberté, y passa vingt-cinq ans, et mourut en 1650 à Stockholm, où la reine Christine l'avait appelé. On lui doit plusieurs ouvrages importants, entre autres le Discours de la Méthode, les Méditations, les Principes, etc., où il entreprit de régénérer les procédés de la science philosophique.

Voici l'origine de sa Méthode : sentant combien étaient peu solides la plupart des opinions reçues, Descartes résolut provisoirement de douter de tout et de reconstruire l'édifice entier de la science sur de nouvelles bases, en ne se fiant qu'à l'évidence. Quand on douterait de toutes choses, dit-il, on ne pourrait au moins douter qu'on doute; or, douter, c'est penser: donc on ne peut douter qu'on pense. La pensée est donc incontestable. Mais, Continue Descartes, si je ne puis douter que je pense, je ne puis douter que je suis, en tant que je pense; ainsi, je pense, donc j'existe cogito, ergo sum. Descartes se servit de cette première vérité pour établir l'existence de Dieu, qu'il fonde sur l'idée même que nous avons de l'Être infini ou parfait, et celle des

4. En latin de l'époque, Cartesius : d'où le nom de cartésianisme. donné à sa doctrine, et celui de cartésiens, à ses disciples ou partisans.

corps qu'il fonde sur la véracité de Dieu; procédant toujours du doute à l'évidence, du connu à l'inconnu, par une série d'examens et de déductions, qu'on a nommée de son nom méthode cartésienne.

Analyse du Discours de la Méthode. Le Discours de la Méthode, qui a pour but d'indiquer la marche à suivre dans l'étude de la philosophie et des autres sciences, se divise en six parties.

Première partie. Dans la première partie, qui contient diverses considérations touchant les sciences, Descartes expose comment il a été conduit à laisser là livres et maîtres, à cause de leurs incertitudes et de leurs contradictions, pour ne plus étudier la vérité que dans lui-même ou bien dans le grand livre du monde, et reconstruire tout l'édifice de la philosophie au moyen de l'examen et d'un doute particulier que, dans ses Méditations, il appelle doute méthodique.

Deuxième partie. La deuxième partie, où se trouvent les principales règles de la méthode, contient proprement l'exposé de ces règles, au nombre de quatre : 1o ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, qu'elle ne paraisse évidemment telle; 2° diviser chacune des difficultés en autant de parcelles qu'il se peut et qu'il en est besoin, pour les mieux résoudre; 3° conduire par ordre ses pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, à la connaissance des plus composés, et en supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se succèdent point naturellement les uns aux autres; 4° faire partout des dénombrements assez entiers et des revues assez générales pour être assuré de ne rien omettre.

Troisième partie. La troisième partie, où sont renfermées quelques règles de la morale tirées de cette méthode, contient les maximes que Descartes s'était prescrites, jusqu'à ce qu'il eût formé scientifiquement sa morale; c'est : 1o de garder la religion dans laquelle on est né; 2o de se conformer aux lois et aux coutumes du pays où l'on habite, et aux opinions des plus sages, sans engager sa liberté ; 3° de demeurer fidèle au plan de conduite qu'on s'est tracé; 4o de se persuader qu'on peut rester maître de soi, mais non de la fortune; 5o de regarder la culture de la raison comme la plus noble profession qu'on puisse exercer sur la terre.

Quatrième partie. La quatrième partie, où sont contenues les raisons qui prouvent l'existence de Dieu et de l'âme humaine, renferme les fondements de sa métaphysique et l'analyse

de ses méditations: de l'axiome, cogito, ergo sum, il déduit l'existence d'un premier être ; la véracité, la justice et le pouvoir de Dieu le rendent certain de l'existence du monde entier; il distingue ensuite l'âme du corps, prouve l'immortalité de l'âme, s'élève contre la maxime, nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu [p. 90], et donne naissance à la théorie des idées innées.

Cinquième partie. La cinquième partie comprend l'ordre des questions de physique qu'il a cherchées, et principalement l'explication des mouvements du cœur et quelques autres difficultés relatives à la médecine; puis aussi la différence qui est entre notre âme et celle des bêtes. La théorie de Descartes sur la circulation du sang est nécessairement erronée et incomplète, puisque la combustion du sang ou sa combinaison avec l'oxygène dans les poumons n'était point encore connue ni même soupçonnée; et quant aux animaux, le désir d'établir entre eux et l'homme une distinction utile à ses vues philosophiques, l'a entraîné beaucoup trop loin, puisqu'il ne fait des animaux que des machines ou des automates.

Sixième partie. Dans la sixième partie, qui roule sur les choses requises pour aller plus avant dans la recherche de la nature, Descartes revient sur les motifs qui lui ont fait publier son livre, y montre le plus grand amour de l'humanité, le zèle le plus sincère pour le vrai et la résolution ferme de consacrer tous ses efforts au développement de l'esprit humain.

L'influence du Discours de la Méthode et des autres écrits de Descartes a été immense : par l'autorité de la raison humaine, par la distinction de l'esprit et du corps, il a fondé la moderne philosophie psychologique et spiritualiste, et cette famille de penseurs rationalistes qui porte plus spécialement le nom d'école cartésienne. Le Discours de la Méthode a donc été nommé, à juste titre, la charte de toute la philosophie.

N° 6.

Analyse de la Logique de Port-Royal.

La Logique de Port-Royal, composée dans la maison religieuse de ce nom1, par Antoine Arnauld et Nicole, pour l'usage d'un jeune gentilhomme, Honoré d'Albert de Luynes, duc de

1. Le monastère de Port-Royal des Champs, près de Chevreuse, dont la sœur d'Antoine Arnauld était abbesse, ayant été transféré à Paris en

Chevreuse, parut en 1662 sous le nom de : Art de penser. Ce second titre indique que l'ouvrage a pour but principal de former le jugement et de le rendre aussi exact que possible, la justesse d'esprit étant infiniment plus importante que toutes les connaissances spéculatives qui n'ont de prix que si elles sont subordonnées à la raison perfectionnée par la logique.

La logique est l'art de bien conduire sa raison dans la connaissance des choses, tant pour s'instruire soi-même que pour instruire les autres.

Or, cet art consiste dans les réflexions que les hommes ont faites sur les quatre principales opérations de l'esprit, concevoir, juger, raisonner et ordonner.

De là la division de la logique en quatre parties, savoir: 1° l'art de concevoir, ou les idées ; 2° l'art de juger, ou le jugement; 3° l'art de raisonner, ou le raisonnement; 4° l'art d'ordonner, ou la méthode.

Tel est le plan d'après lequel a été rédigée la Logique de PortRoyal.

Analyse de la Logique de Port-Royal, La Logique de Port-Royal commence par deux Discours qui lui servent comme d'introduction. Dans le premier, les auteurs exposent le dessein de cette nouvelle Logique, qui est de former le jugement; et dans le second, ils répondent aux trois principales objections qui leur ont été faites, l'une sur le titre d'Art de penser, l'autre sur l'intercalation de questions de rhétorique, de morale, de physique, de métaphysique et de géométrie, traitées dans leur ouvrage ; la troisième enfin, sur les exemples de définitions défectueuses et de mauvais raisonnements, pris dans Aristote, en vue de rabaisser ce philosophe.

L'ouvrage est divisé en quatre parties : la première traite des idées, la deuxième du jugement, la troisième du raisonnement, et la quatrième de la méthode.

Première partie. La première partie est consacrée à l'art de concevoir, ou aux idées. On y considère tour à tour les idées: 1o selon leur nature et leur origine; 2o selon la principale différence des objets qu'elles représentent ; 3° selon leur simplicité 1625, cette maison servit de retraite à de pieux et savants solitaires, 'tels que les frères Arnauld d'Andilly et Antoine Arnauld, Lemaistre de Sacy et deux de ses frères, leurs neveux, Nicole, Lancelot, Le Nain de Tillemont, etc., qui partageaient leur temps entre les exercices de la piété, le travail des mains, l'étude des lettres et l'instruction de quelques jeunes gens d'élite, comme les Bignon, les Harlay, les Chereuse, Racine, etc.

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