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ainsi de transformations en transformations, el par des nuances successives, jusqu'à l'affirmation du nécessaire. En partant d'une extrémité, on atteindrait l'autre sans aucune discontinuité. Impossible et nécessaire se suivent contrairement et à l'inverse, c'est-à-dire qu'il faut affirmer le nécessaire avec la négation du sujet, pour répondre à l'affirmation du sujet et de l'impossible. Ainsi, d'une chose dont on dit qu'il est impossible qu'elle soit, on peut dire aussi et par une conséquence directe qu'il est nécessaire qu'elle ne soit pas. De même, s'il est impossible qu'elle ne soit pas, il est nécessaire par cela même qu'elle soit. On pourrait donc commencer cette série consécutive des modales par le nécessaire, tout aussi bien qu'on l'a commencée par le possible. La première partie du tableau ci-dessus commencée par: Il est nécessaire que ce soit, finirait par : Il est impossible que ce soit. La seconde, commencée par: Il n'est pas nécessaire que ce soit, finirait par: Il n'est pas impossible que ce soit. La possibilité suit la nécessité, comme l'universel suit le particulier. Possible est plus large que nécessaire, comme le genre est plus large que l'espèce ou l'individu.

Reste enfin, pour compléter toutes les théories qui précèdent, à savoir si la négation est bien la

proposition contraire à l'affirmation, ou s'il n'est pas possible aussi que l'affirmation soit contraire à l'affirmation. Soit cette proposition : Tout homme est juste. Quelle est la proposition contraire? Est-ce : Tout homme est injuste? ou bien : Aucun homme n'est juste? Pour éclaircir sans peine cette question, il suffit de voir quelle est la pensée contraire à la première pensée. Les propositions qui représentent les pensées seront comme les pensées elles-mêmes. D'abord, il est clair que les pensées ne sont pas contraires par cela seul qu'elles s'appliquent à des objets contraires. Dire du bien qu'il est bien, du mal qu'il est mal, ce sont des pensées de forme pareille, quoique les sujets soient contraires, quoique le mal soit le contraire du bien. La seule pensée vraiment contraire est celle d'où naît l'erreur. Or c'est précisément la négation de la chose prise en soi, et non point la négation de l'accident de cette chose. Ainsi dire d'une chose bonne qu'elle est bonne, c'est une proposition vraie. Dire qu'elle n'est pas bonne, c'est la proposition fausse parce qu'elle s'adresse à la chose en soi; dire de cette chose qu'elle est mauvaise, c'est nier un simple accident de la chose. En soi la chose est bonne : par accident, elle n'est pas mauvaise. Si donc la pensée contraire est la pensée fausse, négation

de la pensée vraie, il s'ensuit qu'il en est de même pour les propositions, et que la proposition contraire est véritablement la négation pure et simple de la proposition initiale. Il n'importe, du reste, en rien que la proposition soit ou ne soit pas sous forme universelle ou indéterminée. Seulement, quand les pensées sont sous forme particulière, les deux opposées peuvent être toutes deux vraies à la fois. Il n'est pas moins évident que, ni une pensée vraie ni une négation vraie, ne peuvent être contraires ni à une pensée, ni à une négation vraie car il n'est pas possible que jamais les contraires soient à la fois à un seul et même objet.

HERMÉNEIA,

OU

TRAITÉ DE LA PROPOSITION.

CHAPITRE PREMIER.

Énumération des objets divers de ce traité. Rapports du

langage à la pensée. Les mots isolés n'expriment ni vérité ni erreur : il faut qu'ils soient réunis pour exprimer l'un ou l'autre.

§ 1. Il faut établir d'abord ce que c'est que nom, ce que c'est que verbe, puis ensuite, ce que c'est que négation et affirmation, énonciation et jugement.

Herméneia, J'ai cru devoir conserver le mot grec, parce qu'il est impossible de le bien traduire à moins d'une longue périphrase. Les commentateurs du moyen âge ont conservé le titre tout entier : et les deux mots Peri hermeneias sont devenus pour eux un accusatif pluriel féminin qui a en son génitif en arum et son datif en is. Quant au second titre, il n'appartient pas à Aristote mais le catalogue de Diogène Laërce et l'autorité de plusieurs commentateurs le recom

:

mandent de plus, il a l'avantage d'être une explication du premier et une indication assez fidèle des matières traitées dans l'ouvrage. Voir sur le titre de l'Herméneia la discussion d'Ammonius, Schol., p. 95, b, 21.

$1. Nom... verbe, Les deux éléments indispensables de la proposition. Jugement, Le terme grec est vague et moins précis que celui par lequel j'ai dû le rendre on pourrait traduire aussi : proposition, mot qui est un peu plus précis.

§ 2. Les mots dans la parole ne sont que l'image des modifications de l'âme; et l'écriture n'est l'ique mage des mots que la parole exprime. § 3. De même que l'écriture n'est pas identique pour tous les hommes, de même les langues ne sont pas non plus semblables. Mais les modifications de l'âme, dont les mots sont les signes immédiats, sont identiques pour tous les hommes, comme les choses, dont ces modifications sont la représentation fidèle, sont aussi les mêmes pour tous. § 4. On a déjà parlé de cela dans le Traité de l'Ame: et en effet ce sujet appartient à un autre traité que celui-ci. § 5. De

82. L'image des modifications de l'âme, C'est donner au langage une origine tout humaine. L'antiquité grecque n'a jamais résolu autrement cette question, que d'ailleurs elle n'a point cherché à approfondir.

$3 Les modifications de l'âme... sont identiques, Ceci ne contredit pas le paragraphe qui précède. Les modifications sont identiques: mais les images de ces modifications ne le sont pas, précisément parce que la volonté de l'homme intervient dans la production de ces images. On voit, comme le font remarquer les commentateurs, que toute cette théorie est contraire à celle que Platon développe dans le Cratyle. Pacius ajoute qu'il y a ici quatre degrés distincts: l'écriture qui représente les mots, les mots qui représentent les conceptions de l'esprit, et enfin ces conceptions qui représentent les choses. Cette gradation que fait Aristote est parfaitement exacte. Alexandre d'A

phrodise, dans son commentaire qui n'est pas venu jusqu'à nous, contestait cette identité des pensées pour tous les hommes, voir Ammonius, Scholies, p. 100, a, 32 et la note, et p. 101, b, 1. Herminus proposait ici une variante qui ne tient qu'au changement d'un accent, et il corrigeait ainsi la pensée qu'Alexandre ne jugeait pas trèsjuste, ib., 8 et la note..

$ 4. On a déjà parlé de cela dans le Traité de l'Ame, Voir le Traité de l'Ame, livre 3, ch. 7, éd. de Trendelenbourg, p. 94 et 96. Andronicus de Rhodes, ne retrouvant pas textuellement ceci dans le Traité de l'Ame, avait déclaré l'Herméneia apocryphe. Il est le seul parmi les commentateurs à soutenir cette opinion. Voir les Scholies, éd. de Berlin, p. 94, a, 21, p. 97, a, 19, et mon mémoire sur la Logique, t. 1, p. 53.

$ 5. Nètre ni vraies ni fausses, En tant qu'elles n'impliquent ni l'affirmation ni la négation d'un

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