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LA FARE cardina., duc et pair de France, né en 1752, se distingua de bonne heure par des études brillantes et par un caractère ferme et altier. A l'âge de vingt-six ans, il fut nommé vicaire général du diocèse de Dijon et doyen de la Sainte-Chapelle du roi, en la même ville. Le clergé des États de Bourgogne le choisit pour son élu général, en 1784, et, trois ans après, Louis XVI l'appela au siége épiscopal de Nancy. Membre de l'assemblée des notables, puis député de son ordre aux états généraux, ce prélat prononça le discours d'usage à la messe du Saint-Esprit, qui eut lieu pour l'ouverture des états. En toute circonstance, il s'éleva avec énergie contre les idées nouvelles, et défendit les prérogatives du clergé et de la couronne. Échappé, comme par miracle, aux persécutions que lui avait suscitées l'exagération de ses principes, il se réfugia à Trèves, puis de là à Vienne en Autriche, où il fut un des agents les plus actifs de Louis XVIII jusqu'en 1814. La duchesse d'Angoulême, dont il avait négocié le mariage, lui conféra, à la Restauration, la charge de son premier aumônier. Au mois de janvier 1816, le roi l'adjoignit à M. de Talleyrand-Périgord, archevêque de Reims, pour l'administration des affaires ecclésiastiques. Cinq ans après, il fut appelé à l'archevêché de Sens, et, la cour continuant à le combler de ses faveurs, il obtint le chapeau de cardinal et la dignité de duc et pair de France. Mais la morgue et l'esprit de despotisme qui avaient fait sa fortune en haut lieu furent loin de lui concilier les cœurs dans son diocèse, où le froid accueil qu'il recevait le porta à ne faire que de courtes apparitions. Au mois de novembre 1829, accablé de douleur de la perte d'une parente, il tomba malade, dans sa terre de Courbéton, près Montereau, et se fit transporter à Paris. Il y mourut, le 10 décembre 1829.

LAFARGE (Caisse), sorte de tontine fondée à Paris, en 1791, par un sieur Lafarge, dont elle a gardé le nom, dirigée d'abord par lui et Mitoufflet, et placée plus tard, en 1809, par décret impérial, sous la surveillance du préfet de la Seine. Les tontines dites d'épargne et des employés et artisans sont régies par trois administrateurs pris dans le conseil municipal de la ville de Paris. Leurs fonctions sont gratuites. Ils ont sous leurs ordres un directeur, un secrétaire et un caissier. L'administration de cette caisse n'en coûte pas moins 47,561 fr. par an. En 1847 la caisse Lafarge possédait en nu-propriété 32 millions de capital, soit en rentes perpétuelles 1,321,000 fr.; 5,239 actionnaires n'avaient qu'une seule action, 4,695 en cumulaient 10, 20 et 30 sur leur tête. Les extinctions profitent aux actionnaires, rangés en série, par des tirages successifs jusqu'au maximum de 6,000 fr. de rente par action. En 1852 on évaluait à 15,000 le nombre des actions. Il a été décidé que les rentes appartenaient à l'État en nu-propriété, et que les actionnaires n'avaient qu'une sorte d'usufruit, de façon qu'à la mort du dernier actionnaire, les rentes seront éteintes. Ces rentes avaient eu à subir la réduction au tiers lors de l'établissement du tiers consolidé, en l'an vi; elles ont eu à subir une nouvelle réduction au mois de mars 1852. Les actionnaires se sont souvent plaints de ce que les frais de surveillance et de direction obèrent gravement leurs revenus. En 1855 le dividende de chacune des actions a été fixé à 17 fr. 20 c. pour la première société, et à 18 fr. 20 c. pour la deuxième. En 1854 ce dividende avait été de 15 fr. 90 et 16 fr. 70. L. LOUVET.

LAFARGE (Marie CAPELLE, femme POUCH-), célèbre empoisonneuse, née à Paris, en 1816, d'une famille riche et considérée, fut recueillie après la mort de son père, le colonel Capelle, et de sa mère, dans la maison de son oncle, le baron Garat, secrétaire général du gouvernement de la Banque de France, où elle reçut l'éducation convenable au rang distingué qu'elle devait un jour occuper dans le monde. En 1834 des relations de campagne et de voisinage s'établirent entre elle et Me Marie de Nicolaï, relations de complète intimité, continuées à Paris, qui lui fournirent l'occasion de compromettre sa jeune amie par quelques espit

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gleries qu'elle l'excita à commettre, à l'insu de ses parents; espiègleries dans lesquelles l'une des deux Marie apportait toute la naïveté et l'irréflexion d'un cœur qui s'ignore luimême, et l'autre toute l'astuce et toute la fourbe d'une imagination déréglée jointe à un esprit évidemment perverti. L'une de ces espiègleries avait consisté à donner des rendezvous à un jeune homme appelé Félix Clavé, fils d'un maître de pension du faubourg du Roule, qui un jour avait remarqué ces dames à la promenade et s'était permis de les suivre. Marie Capelle servait d'intermédiaire à une ridicule correspondance que ce jeune homme, provoqué par sa vanité et dupe d'une mystification, entretenait avec sa belle inconnue, qu'il ne lui était donné d'apercevoir que de loin, tantôt aux Tuileries, tantôt aux Champs-Élysées et quelquefois aussi au parc de Monceaux. Il y dépensait, faute d'esprit et de sensibilité à lui appartenant en propre, de grandes phrases et de grands sentiments pillés sans goût dans les nauséabondes dissertations psychologiques dont les romans contemporains étaient remplis, et il y parlait surtout avec amour de son volume de Poésies qui allait paraître. Sans doute ce volume assurerait l'immortalité à son nom et le rendrait digne d'être porté par l'être enchanteur, aérien, divin, qui daignait s'abaisser jusqu'à lui. Heureusement pour Mile de Nicolai, ses parents en la mariant au vicomte de Léotaud l'arrachèrent aux influences pernicieuses de sa liaison avec Marie Capelle. Toutefois, cette liaison ne fut pas pour cela rompue, et Mme de Léotaud continua à recevoir chez elle la compagne et l'amie de ses jeunes années. Marie Capelle vint même en 1839 passer quelque temps chez elle à la campagne; et durant son séjour un vol mystérieux fut commis dans la maison. Elle avait prié Mme de Léotaud de lui montrer ses diamants; et celle-ci avait satisfait à ce désir. Quelques jours après, ayant eu occasion d'ouvrir son écrin, on peut juger de sa surprise et de sa douleur en le retrouvant vide. Le vol était trop important pour qu'on n'en fit pas la déclaration à la police, qui, soupçonnant un vol domestique, fit entourer les gens de la maison de la surveillance la plus exacte et la plus minutieuse. Mais toutes les mesures prises demeurèrent sans résultat, et les magistrats durent s'informer des personnes appartenant au cercle habituel de M. et de Mme de Léotaud. Frappé de quelques circonstances qui ne lui avaient pas paru parfaitement claires dans les déclarations et l'attitude de Marie Capelle, M. de Léotaud avoua, mais non sans beaucoup d'hésitation, qu'un instant ses soupçons s'étaient arrêtés sur une jeune personne amie d'enfance de sa femme, ajoutant qu'il se les était tout aussitôt reprochés, tant la famille honorable à laquelle appartenait cette jeune personne lui semblait la meilleure garantie de leur manque absolu de fondement. Le directeur de la police insista toutefois pour avoir confidentiellement communication du nom de la jeune personne en question, et en entendant nommer Marie Capelle, nièce de M. Garat, de la Banque de France, il ne put pas s'empêcher d'être frappé d'une singulière coïncidence. En effet, l'année précédente, divers vols de billets de 500 fr. et de pièces d'or avaient été signalés à la police comme ayant été commis dans la maison de Mme Garat, à l'hôtel même de la Banque de France. Cette fois déjà toutes les recherches étaient restées inutiles, ou plutôt avaient abouti à convaincre les magistrats que c'était là un vol domestique, commis par quelqu'un admis non pas seulement dans la familiarité, mais encore dans l'intimité de la famille Garat. Il y avait dans le rapprochement de ces deux faits un indice, mais il était insuffisant; et pour qu'on y donnât suite il eût fallu que le vicomte de Léotaud portât formellement plainte, acte grave, devant lequel on conçoit qu'il recula.

Pendant ce temps-là, Marie Capelle se mariait à son tour. Ne possédant en propre qu'une fortune d'au plus 40,000 fr. de capital, elle se décidait, non sans hésitation, à épouser, vers la fin d'août 1839, un certain Charles Pouch-Lafarge, maltre de forges, assez mal dans ses affaires, que, suivant l'usage, il avait prudemment dissimulées à la famille de sa

LAFARGE fature, homme d'ailleurs rien moins qu'habitué au monde élégant et arrivé depuis quelque temps déjà à la quarantaine. Le mariage fait, Pouch-Lafarge emmena sa jeune femme dans son manoir du Glandier, département de la Lozère. La vie de province, et de quelle province ! une demeure triste et sombre, au milieu d'une nature aride et sauvage! la vie de province avec sa froide monotonie convenait peu à une jeune femme élevée au sein du luxe, dans le tourbillon des plaisirs de Paris.

Son mariage datait de trois mois à peine quand PouchLafarge fut appelé à Paris pour les affaires de son industrie. Il laissa sa femme au Glandier, et vint descendre pour quelques jours dans un hôtel garni de la capitale, où il ne tarda pas à recevoir de chez lui un petit paquet contenant quelques gâteaux et une lettre très-tendre de Mme Lafarge, qui lui apprenait que ces gâteaux, c'était elle-même qui les avait confectionnés de ses propres mains, à son intention, et qui l'engageait avec force câlineries de femme à les manger à une certaine heure de la journée, parce qu'elle comptait de son côté en faire autant, acte qui ne manquerait pas d'établir de doux rapports de sympathie entre leurs âmes... Pouch-Lafarge se conforma à la recommandation un peu enfantine de sa femme; mais au bout de quelques heures il ressentit d'atroces douleurs d'entrailles, sur la nature desquelles le médecin appelé auprès du patient se méprit, car l'idée d'un crime de ce genre est bien rarement celle qui se présente à l'esprit des gens de l'art. Il paraît toutefois que le poison que contenaient les gâteaux y avait été introduit soit à trop forte, soit à trop faible dose. Lafarge, quoique toujours horriblement souffrant, put revenir au Glandier, où sa femme l'entoura des soins en apparence les plus empressés, mais uniquement pour réparer avec une hypocrisie infernale l'erreur qu'elle avait commise et lui administrer cette fois l'arsenic à doses devant nécessairement amener sa mort. Pouch-Lafarge succomba.

Cependant sa mort parut à tous entourée de circonstances assez singulières pour que ses proches crussent devoir réclamer l'intervention de la justice et une autopsie. L'examen des hommes de l'art constata dans le cadavre la présence d'une forte quantité d'arsenic, et ne laissa pas de doutes sur la cause du décès. Lafarge était mort empoisonné. Qui avait pu commettre ce crime? Une foule d'indices se réunirent pour en accuser sa jeune veuve; et la justice locale lança un mandat d'arrestation contre Mme Lafarge. Disons toutefois que les expériences contradictoires provoquées par l'instruction du procès causèrent un vrai scandale scientifique et juridique. A côté d'Orfila retrouvant l'arsenic dans les intestins de Pouch-Lafarge, à l'aide du célèbre appareil de Marsh, il y eut M. Raspail niant non pas la nature arsenicale des taches données par l'instrument, mais soutenant qu'un fait de cette nature ne prouve rien, et se faisant fort de trouver l'arsenic jusque dans le bois du fauteuil de M. le président de la cour d'assises. Une pareille affirination, intrépidement produite par un homme dont il serait impossible de récuser la compétence en cette matière, était de nature à jeter de l'incertitude dans l'esprit des jurés, s'ils n'avaient pas bientôt reconnu que l'acharnement de M. Raspail à nier dans l'espèce les conséquences tirées du résultat donné par l'appareil de Marsh tenait surtout à une haine de savant.

La nouvelle du drame mystérieux qui venait de se passer au Glandier arriva à Paris au moment où la police se livrait encore aux plus actives démarches pour découvrir la vérité sur le vol de diamants commis au préjudice de Mme de Léotaud. Le parquet de Paris n'hésita plus alors à ordonner une perquisition au Glandier, et le résultat de cette perquisition ne laissa plus de doute sur la culpabilité de Mme Lafarge. On retrouva, cousus dans un sac de soie verte, la plupart des diamants dont se composait la parure de Mme de Léotaud. Mine Lafarge, après avoir essayé de donner le change à la justice sur l'origine de ces diamants, soutint, avec une infernale méchanceté, que Mme de Léotaud, ne possédant en propre que

DICT. DE LA CONVERS,

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ses diamants, s'était déterminée à simuler un vol pour en disposer librement au profit du jeune homme qu'elles avaient connu étant jeunes filles. Elle n'avait été à cet égard que son complaisant intermédiaire. Cette fable, fort habilement inventée et soutenue devant la justice avec beaucoup d'audace par l'accusée, ne trompa personne. Le tribunal de police correctionnelle reconnut Mme Lafarge coupable du vol de diamants, et la condamna à deux années d'emprisonnement.

Ce ne fut que trois mois plus tard que s'ouvrirent aux assises de Tulle les débats de l'affaire d'empoisonnement. Marie Lafarge y fit preuve d'une rare présence d'esprit, en même temps que d'une finesse et d'une adresse dont on ne peut se faire une idée qu'en parcourant dans les recueils judiciaires du temps le volumineux récit de ce mémorable procès. L'accusée fut défendue avec tant de passion par un jeune avocat du barreau de Limoges, Me Th. Bac, qu'on assura alors que l'intention de son honorable défenseur, en cas d'acquittement, était d'épouser et ainsi de réhabiliter doublement sa belle cliente, si tant est cependant qu'il fût le préféré entre les nombreux rivaux qui, de tous les points de la France, adressaient à Mme Lafarge, dans sa prison, les protestations de la plus vive admiration, du dévouement le plus absolu et de l'amour le plus passionné. Quoi qu'il en soit, elle fut déclarée, au mois de septembre 1840, coupable du crime d'empoisonnement, avec des circonstances atténuantes, et condamnée à une détention perpétuelle.

Après douze ans de captivité dans une maison centrale du midi, Mme Lafarge, toujours d'une santé chancelante, obtint l'autorisation d'aller dans une maison de santé de Toulouse d'abord, puis aux bains d'Ussat. Elle était accompagnée d'un colonel en retraite, ancien ami de son père, puis d'une cousine. Elle ne put se faire recevoir que dans une pauvre hôtellerie; mais les médecins ne lui manquèrent pas. Le colonel vint bientôt à mourir, et la maladie de la veuve Lafarge s'aggrava de plus en plus. Elle succomba le 7 septembre 1852. On crut d'abord à une léthargie, mais la vie ne revint pas, et Mme Lafarge fut inhumée au cimetière d'Ussat. Après sa condamnation, elle avait fait imprimer ses Mémoires; elle laissa un écrit intitulé: Dix ans de captivité.

LA FARINA (JOSEPH), homme politique, né à Messine en 1815, fut reçu à dix-neuf ans docteur en droit à l'université de Catane et embrassa la profession d'avocat. Compromis en 1837 dans un complot libéral, il quitta la Sicile et lorsqu'il obtint, deux ans plus tard, la permission d'y rentrer, ce fut pour faire une guerre acharnée au gouvernement; deux journaux qu'il fonda furent supprimés, et on finit par lui défendre d'user publiquement de sa plume. La Farina alla s'établir à Florence et y prépara par ses écrits l'unité de l'Italie. La révolution de 1847 le rappela dans sa patrie : il siégea au parlement qui adopta d'urgence la constitution sur sa demande, et fit partie du ministère, où il eut un instant la tâche difficile d'organiser la résistance armée. La révolution vaincue, il se fixa à Turin. En 1860. il débarqua de nouveau en Sicile; mais à la suite de graves dissentiments avec Garibaldi, il fut expulsé de l'île. Dans le parlement italien, il appuya de toutes ses forces la politique de Cavour et fut nommé l'un des vices-présidents. La Farina mourut à Turin le 5 septembre 1863. Ses principaux ouvrages sont : la Révolution de Sicile (1849, 2 vol.), et Histoire de l'Italie depuis 1815 (1852, 6 vol.). LA FAYETTE (MARIE-MADELEINE PIOCHE DE LAVERGNE, comtesse DE), naquit en 1632. Son père, Aymar de Lavergne, était gouverneur du Havre; et sa mère, Marie Pena, appartenait à une ancienne famille de Provence. C'est une des femmes qui ont le plus contribué à donner à la société du dix-septième siècle ce caractère d'élégance et de politesse qui distinguait les cercles de cette époque. Elle eut pour précepteurs le père Rapin et Ménage, qui lui apprirent le latin; elle se maria à vingt-deux ans au comte de La Fayette, qu'elle perdit de bonne heure, et dont elle eut deux fils, l'un militaire, l'autre ecclésiastique. A peine amenée

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LA FAYETTE

à Paris, elle fut admise aux réunions littéraires de l'hôte de Rambouillet; mais elle sut conserver un jugement sûr au milieu des séductions du faux goût. Elle le pouvait, elle, pour qui La Rochefoucault a créé cette expression : Elle est vraie. Elle avait été très-attachée à cette duchesse d'Orléans qui avait brillé à la cour de Louis XIV, avec quelle gráce, vous le savez! et qui, selon Voltaire, avait apporté a première la politesse et le charme des bonnes manières dans l'entourage du grand roi. Elle vit sa mort, et l'a retracée avec beaucoup de vivacité dans son Histoire d'Henriette d'Angleterre. Mme de La Fayette a vécu avec ce qu'il y avait de plus distingué dans les lettres. Elle voyait fréquemment le bon La Fontaine et Segrais; elle était l'amie de Me de Sévigné. Avant de mourir, elle lui écrivit : Croyez, ma chère, que vous êtes celle que j'ai le plus véritablement aimée. » Mme de Sévigné l'aimait aussi; elle en écrit des choses charmantes, mais ne peut faire partager son goût à Mme de Grignan et à Bussi-Rabutin. C'est que Mme de La Fayette avait l'esprit simple et honnête, qu'elle n'était pas cartésienne, et passait pour être un peu prude. Ses romans de Zaide et de La Princesse de Clèves parurent sous le nom de Segrais. Pour apprécier le mérite de ces deux ouvrages, il faut se rappeler qu'alors d'Urfé et La Calprenède étaient à la mode. Il y a plaisir à étudier dans les deux ouvrages de Mme de La Fayette les progrès du vrai et du juste. On voit encore dans Zaïde l'influence du goût régnant: il y a peu de vérité dans les événements; on y trouve encore de grands capitaines qui, tout en saccageant des provinces, ne font que soupirer et mourir d'amour ; mais que de choses bien senties et bien dites! Mme de La Fayette commençait dès lors à être versée dans la science du cœur, et c'est encore pour elle que cette expression a été risquée dans notre langue par Fontenelle. Ce livre eut beaucoup de succès. Les libraires demandaient des Zaide comme plus tard ils devaient demander des Lettres persanes. Ce chien de Barbin ne peut me souffrir, disait Mme de Sévigné, parce que je ne lui fais pas de Zaide. La Princesse de Clèves est une composition charmante et élevée. En la lisant, on sent toute la portée de ce mot de Mme de La Fayette, parlant de La Rochefoucault: « Il m'a donné de l'esprit; mais j'ai réformé

son cœur. »

Mme de La Fayette et La Rochefoucault vécurent unis par les liens d'une amitié qui dura vingt-cinq ans, et qui ne finit qu'à la mort de l'auteur des Maximes. Mme de La Fayette lui survécut dix ans, mais triste, retirée; et elle mourut dans les pratiques d'une austère dévotion, en juin 1693. Elle était célèbre par des mots vifs et spirituels. C'est elle qui comparait les traducteurs à des laquais ignorants qui estropient les noms des grands seigneurs qu'ils annoncent. Rien ne l'avait plus flattée que ce mot de Segrais : « Votre jugement est supérieur à votre esprit. » On a d'elle, outre les deux romans dont nous venons de parler, une Histoire d'Henriette d'Angleterre; La Comtesse de Tende, La Princesse de Montpensier, des Mémoires de la Cour de France de 1688 à 1689, qui sont instructifs et curieux, etc.

Ernest DESCLOZEAUX.

LA FAYETTE (MARIE-JEAN-PAUL-ROCH-YVES-GILBERT MOITIER, marquis DE), naquit le 6 septembre 1757, au château de Chavagnac, près de Brioude (Haute-Loire). Il avait perdu de bonne heure tous ses parents. A seize ans, il épousa Mile de Noailles, fille du duc d'Ayen. Cette alliance lui offrait la plus belle perspective. Il pouvait paraître à la cour de Louis XVI et de Marie-Antoinette : il refusa de courir cette fortune. L'insurrection d'Amérique ayant éclaté, il se sentit d'abord touché de sympathie pour cette cause, et fit connaissance avec Franklin. Cependant, la nouvelle des revers des insurgés parvint en France. La Fayette résolut d'aller combattre avec Washington. Sourd à toutes les représentations, il équipa une frégate à ses frais, et partit pour Georgestown, où il débarqua en avrii 1777. Arrivé à Philadel phie, il demanda la faveur de servir comme volontaire, et sans appointements. Ayant reçu du congrès le grade de

général-major, il n'en combattit pas moins comme volon taire à la bataille de Brandywine, le 11 septembre 1777, et fut blessé grièvement. Sa blessure n'était pas encore cica trisée qu'on le vit voler à de nouveaux dangers. Chef d'u détachement de milices, il défit un corps d'Anglais et d Hessois, qui avait sur ces nouvelles levées l'avantage d nombre et de l'expérience. Bientôt après, le congrès lui vot des remerciments, et il reçut le commandement d'une div sion. Plut tard, il fut élevé au grade de général en chef dan le nord, mais il ne voulut accepter ce nouvel honneur qu' la condition de rester sous les ordres de Washington.

Après avoir défendu avec une poignée d'hommes une vast contrée, La Fayette sauva 2,000 insurgés enveloppés par l'ar mée anglaise, se distingua à la bataille de Monmouth, gagné le 27 juin 1778 par les Américains, et partit aussitôt ave sa division pour aller couvrir la retraite de Sullivan, con traint d'évacuer Rhode-Island. L'importance de ce servic lui valut les remerciments du congrès; et une épée, ornée d figures allégoriques, que Franklin lui remit à Paris, où s'était rendu en 1779, après que la France eut reconn l'indépendance de l'Amérique. Il ne resta dans sa patrie qu le temps nécessaire pour se procurer des secours d'homme et d'argent, et se hâta de mettre à la voile aussitôt qu'il le eut obtenus. Il fut reçu avec enthousiasme à Boston, y ar nonça l'arrivée du général Rochambeau, et partit pour l'ar mée. En 1780, il commanda l'avant-garde de Washington, e échappa aux conséquences de la trahison du géneral Arnold L'année suivante, il fut chargé de la défense de la Virginie et avec 5,000 hommes, sans habits, sans solde, presqu sans vivres, il tint tête pendant cinq mois à toutes les force de Cornwallis. Ce général se trouva même tout à coup bloqu par terre et par mer. Après l'arrivée de Washington et de Ro chambeau, il se distingua à l'assaut de Yorktown, Corn wallis fut contraint de capituler. La Fayette revint alors e France pour hâter l'envoi de nouveaux secours. Il allai metttre à la voile avec le comte d'Estaing, qu'il avait rejoin à Cadix, à la tête de 9,000 hommes, quand la nouvelle de l paix vint empêcher leur départ.

La guerre d'Amérique avait singulièrement popularisé L Fayette en France, et même à la cour, où l'engouement pou les compatriotes de Washington et de Franklin avait gagn tout le monde. Il entreprit un nouveau voyage dans le pay qu'il avait contribué à délivrer, et y fut accueilli avec de transports de reconnaissance, ainsi que son fils ; ils y reçu rent tous deux les droits de citoyen, par une espèce d'adop tion aussi rare qu'honorable. Le vieux Frédéric de Prusse l'empereur Joseph II, en Allemagne, témoignèrent à L Fayette la plus grande estime.

Nommé membre de l'Assemblée des notables, en 1787 La Fayette demanda la suppression des lettres de cachet e des prisons d'État, obtint un disposition favorable à l'éta civil des protestants, et parla le premier de la nécessité de consulter la nation : « Monsieur, s'écria alors le comte d'Ar tois, ce sont donc les états généraux que vous demandez' Mieux que cela, répondit le général, c'est une assemblé nationale. » Ce vœu ne tarda pas à être réalisé. Membre de la Constituante, il proposa la première déclaration des droits de l'homme, et appuya la demande de Mirabeau pour le renvoi des troupes que le gouvernement avait rassemblée: autour de la capitale. Dans les séances des 13 et 14 juille 1789, il présidait l'Assemblée; le 15, envoyé à Paris, après la victoire du peuple, et nommé commandant de la garde nationale, il rendit dans ce poste important des services immenses à la tranquillité publique. Les imprudences de la cour et le repas des gardes du corps amenèrent les journées des 5 et 6 octobre, dans lesquelles la garde nationale, précédée par une troupe de femmes insurgées, ayant à leur tête le fameux Maillard, entraînèrent La Fayette à Versailles. Il avait résisté jusque là; il céda enfin, et donna par cette faiblesse le mauvais exemple d'un chef de la force armée, qui se laisse violenter par ses soldats aussi, dans le trajet de Paris à Versailles, exprimait-il les plus vives alarmes, et se justifiait

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il par la pureté de ses intentions, auprès des deux commissaires de la Commune envoyés avec lui. En paraissant avec eux devant le roi, ses premières paroles furent : « Sire, je ne sais pas comment j'ose me présenter devant Votre Majesté. Que voulez-vous? répondit Louis XVI, vous avez fait tout ce que vous avec pu, je le sais. Sire, reprit le général, j'ai fait prêter à l'armée parisienne le serment d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi; Votre Majesté peut être tranquille, elle sera respectée. » La Fayette croyait ce qu'il disait alors. Après cette conférence, ayant en vain réclamé la garde du château et de tous les postes nécessaires pour pouvoir répondre des jours de la famille royale, il harangue sur la place d'armes, au nom de la patrie et du roi, les différents corps de troupes; la garde nationale de Versailles et celle de Paris répondent au général par des assurances qui portent la conviction dans son esprit et dans celui de LallyTollendal, présent à cette scène. Ce devoir rempli, La Fayette veut rendre compte au roi de toutes les mesures qu'il a prises; on lui dit que, fatigué d'une journée si tumultueuse, ce prince vient de se coucher. Accablé de lassitude luimême, le général se retire pour prendre quelque repos. On l'accuse avec fureur à cet égard. Cependant, il n'a fait qu'imiter tous les serviteurs du roi! Au reste, si l'on trouve que La Fayette n'a pas fait d'abord tout ce que l'on pouvait attendre de lui, on ne peut nier qu'il n'ait été sublime le lendemain. Le roi, la reine, leur famille et leurs gardes lui durent leur salut. Marie-Antoinette, quoique ne pouvant se résoudre à la reconnaissance envers lui, tant sa haine était profonde, n'a jamais nié cet immortel service; Mme Élisabeth embrassa le général comme un libérateur. Dans le trajet de Paris à Versailles, il fit encore les plus grands efforts pour éloigner du roi les outrages qui le menaçaient à tout moment.

La Fayette eut un admirable triomphe à la fédération du 14 juillet 1790. Quand Mirabeau fut mort, La Fayette se laissa surprendre par l'évasion de Varennes. On ne conçoit pas encore aujourd'hui comment il put résister à l'orage qui s'éleva contre lui aux Jacobins, où Danton lui adressa une si terrible apostrophe. Après avoir couru le risque d'être immolé comme un traître par les amis de la révolution, il se trouva réduit à la triste nécessité de faire revenir le roi comme un prisonnier au milieu de la France en armes. Si Louis fût parvenu à reconquérir l'autorité, il n'y aurait pas eu de peine assez sévère pour expier ce second outrage, qui était encore l'une des fatalités de la vie politique du général. Marie-Antoinette rentra dans Paris avec la rage dans le cœur, regardant La Fayette comme le mauvais génie de la couronne. La captivité du roi devint plus rigoureuse que jamais jusqu'à l'acceptation de la constitution, et porta au dernier degré l'inimitié du parti royaliste contre La Fayette. Dans le même temps, il s'amassait d'autres orages dans le parti opposé, qui lui reprochait, ainsi qu'à ses amis, comme un acte de folie et de trahison la pensée de vouloir remettre, avec un accroissement de pouvoir, la constitution entre les mains d'un prince qui avait protesté contre elle, et qui voulait évidemment la détruire. Le décret de l'Assemblée qui maintenait le principe de l'inviolabilité à l'égard de Louis XVI et l'exemptait ainsi de toute recherche sur sa fuite excita ane grande agitation parmi les jacobins; de là naquit la proposition d'aller signer au Champ-de-Mars, sur l'autel de Ja patrie, une pétition tendant à inviter l'Assemblée à suspendre toute décision sur le sort du roi, jusqu'à ce que les départements eussent manifesté leur opinion à ce sujet. Le dimanche 17 juillet un rassemblement considérable a lieu au Champ-de-Mars pour demander la déchéance du chef du | pouvoir exécutif. La Fayette s'y présente à côté de Bailly, avec le drapeau rouge, et, après les sommations légales, il fait tirer sur les mutins. Dès ce jour une division funeste éclata entre le peuple et la garde nationale, qu'il traitait de garde prétorienne. Après l'acceptation fallacieuse de la constitution par Louis XVI, La Fayette quitta le commandement, et se retira dans sa province. Il n'y devait pas res

43 ter longtemps. Les émigrés ayant fait sur la frontière des démonstrations qui annonçaient des hostilités plus sérieuses et l'approche des étrangers, il fut investi d'un commandement supérieur, et repoussa les ennemis sur plusieurs points. Pendant ce temps, profondément convaincu des trahisons de la cour, Paris préparait une insurrection qui ne pouvait tarder à éclater. La Fayette, qui continuait à s'aveugler sur les sentiments du roi, ne paraissait occupé que de combattre la Gironde et les jacobins, auxquels il imputait tous les maux de la France. Tel était le sens d'une lettre écrite par lui le 16 juin, de son camp de Maubeuge, à l'Assemblée nationale. Il y avait plus que de l'aveuglement, il y avait du délire dans cette lettre, où, parlant comme aurait pu le faire un général autrichien de l'époque, il ne disait pas un mot des conspirations ourdies au dedans et au dehors contre la liberté. La lecture de cette inconcevable lettre excita un violent orage dans l'Assemblée, mais surtout au sein de Paris, qui vit le mouvement du 20 juin, dans lequel le peuple envahit le palais du roi, livré durant plusieurs heures à la merci des insurgés. Aussitôt que La Fayette eut appris les événements de cette journée il voulut tenter un dernier effort en faveur de Louis XVI et de la constitution. Le 28 il parut à la barre de l'Assemblée; il demanda la punition des violences commises, enfin la destruction des sociétés de jacobins, des mesures capables de donner la sécurité au roi, et d'empêcher toute atteinte à la constitution. Cette démarche n'eut aucun succès. Le général ne fut pas plus heureux dans ses tentatives pour rallier à lui la garde nationale et l'amener à la mesure décisive de la fermeture des clubs. Une autre lettre de La Fayette à l'Assemblée n'eut pas un meilleur sort; il fut obligé de repartir pour la frontière avec le sentiment de son impuissance, et la conviction que son règne était passé, La garde nationale, en le voyant abandonner la partie, ne laissa paraître que des regrets stériles; la cour prit un plaisir insensé à la chute de la popularité de celui dont elle ne voulait pas accepter les services, malgré le besoin immense qu'elle en avait. Les jacobins, triomphants, brûlèrent le soir même au Palais-Royal un mannequin qui représentait le héros de la fédération. Une horrible catastrophe l'attendait, s'il fût resté à Paris.

Quoique trop certain des mauvaises dispositions de la cour et du roi lui-même, La Fayette s'obstinait à vouloir sauver ce malheureux prince. Sûr du vieux Luckner, qu'il avait su gagner, il espérait que la présence à la fête de la fédération de deux généraux en chef en imposerait au peuple. Le lendemain de la cérémonie, Louis XVI serait sorti de Paris, sous le prétexte d'aller à Compiègne, faire preuve de liberté aux yeux de l'Europe. En cas de résistance, La Fayette se faisait fort d'enlever, avec 50 cavaliers, la famille royale. De Compiègne, des escadrons tout prêts devaient conduire le roi au milieu des armées. C'est de là que le prince aurait manifesté ses véritables intentions. Le projet était de modifier la constitution, d'établir deux chambres et des institutions fortes, mais toutes monarchiques. Dans le cas où aucun des moyens proposés par La Fayette n'aurait pas réussi, il était déterminé à marcher sur Paris. Louis, quoique toujours effrayé à la vue des obstacles, se montrait assez enclin à exécuter le projet de départ proposé par le général; il en fut détourné par une crainte mêlée de répugnance pour La Fayette, mais surtout par Marie-Antoinette, qui rejetait le secours de ce fidèle ami du trône. « Confiezvous à La Fayette, lui disait-on; allez le rejoindre dans so camp; il vous attend, il vous sauvera. Oui, je le crois, reprit la reine, il sauvera le roi; mais il ne sauvera pas la royauté. ».

La Fayette apprit la journée du 10 août dans son camp, assis près de Sedan. Il comptait sur son état-major, sur l'affection des soldats, sur leur serment d'obéissance. Il espérait rallier à la constitution de 1791 75 départements, dont les conseils généraux avaient adhéré à sa lettre du 16 juin, demandant la fermeture des Jacobins ; il osa lever l'étendard contre l'Assemblée législative dans une première

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l'obtenir les victoires d'Italie et la volonté de Bonaparte, qui, averti par Regnault de Saint-Jean-d'Angely, fit de cette délivrance une condition particulière et impérative, lors des négociations qui terminèrent les hostilités. Libre, le prisonnier d'Olmütz ne voulut prendre aucune part à la révolution du 18 fructidor, et fut contraint, pour cette raison, de s'arrêter à Hambourg; mais il y arbora la cocarde tricolore, ainsi que ses amis, et rentra en France à l'époque de la révolution du 18 brumaire. Quoique touché d'une vive reconnaissance pour Bonaparte, il refusa de se mêler en quoi que ce fût des choses du gouvernement, ne voulut point accepter un siége au sénat, et vota contre le consulat à vie; action au moins étrange dans un homme qui avait tout risqué, même sa réputation d'ami de la liberté, pour sauver le principe monarchique; mais, conséquent à l'une de ses doctrines favorites, il demandait à Bonaparte le rétablissement de la liberté de la presse; le consul répondit : « Sí j'accordais à M. de La Fayette ce qu'il sollicite avec tant d'instances, lui et moi nous ne serions plus ici dans trois mois. » Le rôle du prisonnier d'Olmütz sous l'empire n'en fut pas moins très-honorable.

LA FAYETTE proclamation; il fit arrêter par la municipalité de Sedan trois commissaires du Corps législatif, et tenta des efforts inouïs pour soulever son armée en faveur de Louis XVI et de l'Assemblée, qu'il représentait comme asservie par la violence des jacobins et par celle de Pétion, maire de Paris. Infracteurs de la loi salutaire qui défend les délibérations à la force armée, les soldats s'assemblèrent et vinrent déclarer à leur général, que, pénétrés d'indignation pour les crimes dont les factions souillaient la capitale, ils ne reconnaissaient plus l'Assemblée, depuis qu'au mépris de toutes les lois, elle avait renversé la constitution. Ils étaient prêts, disaientils, à marcher partout où leur chef voudrait les conduire; mais ce triomphe de La Fayette fut de courte durée. De nouveaux commissaires envoyés sur les lieux parvinrent à séparer les soldats de leur général. Déjà les canonniers avaient refusé d'adhérer à sa protestation contre les décrets de l'Assemblée; une revue, passée par lui, lui révéla des dispositions plus hostiles encore. D'un autre côté, Dumouriez, dont il avait ordonné l'arrestation dans son camp de Maulde, avait refusé de prêter l'ancien serment, et Dillon, d'abord entraîné dans le parti de la résistance, avait promptement changé d'avis. D'autres défections, l'opposition formelle du département de l'Aisne, qui ordonnait à tous les citoyens d'arrêter le général en chef de l'armée du nord, la nouvelle du décret d'accusation lancé contre lui, la nomination de Dumouriez, son ennemi, au commandement de cette même armée, firent sentir à La Fayette que toute espérance de succès était perdue. D'ailleurs, les clubs de Paris retentissaient d'imprécations contre lui. Il fallait poursuivre, arrêter, fusiller le traître et ses complices, ou plutôt les réserver à un procès solennel en présence du peuple de la capitale, que leur supprice vengerait enfin des massacres du Champ-de-Mars.

Il n'y avait pas à balancer. La Fayette quitte son camp, dans la nuit du 19 au 20 août, suivi de Bureau de Pusy, de Latour-Maubourg et d'Alexandre de Lameth. 11 avait eu soin de prendre, avant son départ, toutes les mesures pour que l'armée, à l'abri des surprises, se trouvât prête à repousser l'ennemi sur les divers points en cas d'attaque. Parvenu à Bouillon, il renvoya son escorte. L'espoir du général, réduit à fuir, était de traverser incognito les postes ennemis, et de gagner le territoire de la république batave; mais il fut arrêté par un lieutenant-colonel, qui envoya prévenir le commandant de Namur. Le 21 on transféra les prisonniers dans cette dernière ville, où La Fayette eut une entrevue avec le prince Charles. Conduits à Nivelle, ils eurent à subir un interrogatoire devant un major autrichien chargé de recevoir le trésor de l'armée, comme si La Fayette avait dû nécessairement l'emporter avec lui. Tout ce que je comprends à cette étrange commission, répondit le général français, c'est qu'à ma place M. le duc de SaxeTeschen aurait volé le coffre-fort de ses troupes. >> Traînés à Luxembourg, les quatre membres de l'Assemblée constituante y restèrent trois semaines. Les émigrés, furieux contre des nobles qui avaient embrassé la cause du peuple, firent une tentative pour immoler à leur vengeance l'auteur de la proclamation des Droits de l'homme et du citoyen. On promena les captifs de Wesel à Magdebourg et à Reisse, et enfin de Reisse à Olmültz. C'est là que d'affreux cachots les attendaient. Tout le génie inquisiteur, toute la froide barbarie de la police autrichienne, épuisèrent leurs dernières ressources à désespérer et torturer La Fayette : il aurait pu voir tomber ses fers en rétractant une seule de ses opinions; il n'en voulut renier aucune, et resta longtemps seul dans son cachot privé du commerce de ses compagnons d'infortune, dont il ignorait la vie ou la mort, privé même de toute correspondance avec la France. Enfin, l'ange de la tendresse conjugale, sous les traits de Mme de La Fayette, descendit dans sa prison.

Cependant, tous les amis de la liberté réclamaient à l'envi la délivrance de l'illustre captif. Les États-Unis eux-mêmes employaient leur intervention en sa faveur. Il fallut pour

Les Bourbons revinrent en 1814, et La Fayette se présenta de nouveau sur la scène politique avec l'imperturbable constance de ses principes. Elle était si connue, que le comte d'Artois, resté fidèle à l'esprit de la contre-révolution, disait : « Il n'y a que M. de La Fayette et moi qui n'ayons pas changé. » Il reparut dans les Cent Jours à la chambre des représentants dirigé par la fixité de ses pincipes, appréciant mal la situation des choses, et confondant l'époque de 1815, à laquelle il fallait avant tout sauver le territoire, avec celle de 1789, où la liberté était à conquérir, il porta, par une proposition, fort belle et salutaire en apparence, mais impolitique et dangereuse au fond, un coup mortel à l'empereur, vaincu à Waterloo. Au lieu de désarmer le grand homme, il fallait le remettre, avec son génie, qui était encore tout entier, à la tête de l'armée, et l'aider à exterminer les Prussiens. Certainement, La Fayette ne suivit alors que l'impulsion de sa conscience, et même jamais il ne se reprocha sa faute; mais il n'en a pas moins causé un mal irréparable au pays. La Fayette n'avait point les lumières de l'homme d'État; son esprit était loin de valoir son cœur de là vient que, malgré l'influence qu'il a obtenue dans plusieurs circonstances de sa vie, il s'est trouvé toujours au-dessous des rôles qu'il a pris, ou que l'opinion lui a imposés ; les grandes choses ont toujours avorté dans ses mains. Il rendit encore un bien mauvais service à la France en pressant l'abdication de Napoléon; mais il montra surtout combien il ignorait sa position personnelle vis à-vis des étrangers, en se faisant nommer l'un des commissaires pour négocier avec eux une suspension d'armes. Personne n'était moins propre que lui à réussir dans une telle mission. Aussi n'obtint-il rien, comme il était facile de le prévoir. A son retour, que l'ennemi différa par tous les moyens possibles, il eut la douleur d'apprendre la capitulation de Paris et la retraite de l'armée sur la Loire. Il dut sentir l'énormité de sa faute en entrant dans cette capitale, que l'ennemi n'avait pas souillée de sa présence depuis la trahison d'Isabeau de Bavière. Un mot heureux sortit pourtant de sa bouche l'ambassadeur anglais ayant eu la bassesse de lui demander que Napoléon fût livré aux alliés : « Je m'étonne, répondit La Fayette, que ce soit au prisonnier d'Olmütz que vous proposiez une pareille lâcheté. » Le 6 juillet il rendit compte à l'Assemblée des conférences d'Haguenau, et assura que les départements qu'il avait parcourus partageaient les sentiments exprimés dans le manifeste de la veille, auquel il adhéra en son nom et en celui de ses collègues D'Argenson et Sébastiani. Le 8 les députés trouvèrent les portes du Corps législatif fermées, et gardées par un poste prussien. Il emmena les députés chez lui, et se rendit, avec une grande partie d'entre eux, chez Lanjuinais, président de la chambre; les membres présents rédigèrent le procès-ver bal qui constate cette violation faite au droit des représen

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