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tomie: tantôt il feint, il exagère, il passe le vrai dans la nature, il en fait le roman.

Ronsard et Balzac ont eu chacun dans leur genre assez de bon et de mauvais pour former après eux de très grands hommes en vers et en prose.

Marot, par son tour et par son style, semble avoir écrit depuis Ronsard: il n'y a guère entre ce premier et nous que la différence de quelques mots.

Ronsard et les auteurs ses contemporains ont plus nui au style qu'ils ne lui ont servi. Ils l'ont retardé dans le chemin de la perfection; ils l'ont exposé à la manquer pour toujours, et à n'y plus revenir. Il est étonnant que les ouvrages de Marot, si naturels et si faciles, n'aient su faire de Ronsard, d'ailleurs plein de verve et d'enthousiasme, un plus grand poëte que Ronsard et que Marot; et, au contraire, que Belleau, Jodelle, et Du Bartas, aient été sitôt suivis d'un Racan et d'un Malherbe; et que notre langue, à peine corrompue, se soit vue réparée.

Marot et Rabelais sont inexcusables d'avoir semé l'ordure dans leurs écrits: tous deux avoient assez de génie et de naturel pour pouvoir s'en passer, même à l'égard de ceux qui cherchent moins à admirer qu'à rire dans un auteur. Rabelais sur-tout est incompréhensible. Son livre est une énigme, quoi qu'on veuille dire, inexplicable: c'est une chimère, c'est le visage d'une belle femme avec des pieds et

une queue de serpent, ou de quelque autre bête plus difforme c'est un monstrueux assemblage d'une morale fine et ingénieuse et d'une sale corruption. Où il est mauvais, il passe bien loin au-delà du pire, c'est le charme de la canaille: où il est bon, il va jusques à l'exquis et à l'excellent, il peut être le mets des plus délicats.

Deux écrivains dans leurs ouvrages ont blâmé Montaigne, que je ne crois pas, aussi bien qu'eux, exempt de toute sorte de blâme: il paroît que tous deux ne l'ont estimé en nulle manière. L'un ne pensoit pas assez pour goûter un auteur qui pense beaucoup; l'autre pense trop subtilement pour s'accommoder des pensées qui sont naturelles.

Un style grave, sérieux, scrupuleux, va fort loin: on lit Amyot et Coeffeteau: lequel lit-on de leurs contemporains? Balzac, pour les termes et pour l'expression, est moins vieux que Voiture: mais si ce dernier, pour le tour, pour l'esprit, et pour le naturel, n'est pas moderne, et ne ressemble en rien à nos écrivains, c'est qu'il leur a été plus facile de le négliger que de l'imiter; et que le petit nombre de ceux qui courent après lui ne peut l'atteindre.

I

Le H. G. 2 est immédiatement au-dessous du rien:

Nicole et le P. Malebranche. Le premier est celui qui ne pense pas assez, et le second celui qui pense trop subtilement.

' LE MERCURE GALANT, par de Visé. C'est par ces initiales H. G., dont la première est fausse, qu'il est désigné dans toutes les édi

il y a bien d'autres ouvrages qui lui ressemblent. Il y a autant d'invention à s'enrichir par un sot livre, qu'il y a de sottise à l'acheter: c'est ignorer le goût du peuple que de ne pas hasarder quelquefois de grandes fadaises.

L'on voit bien que l'opéra est l'ébauche d'un grand spectacle: il en donne l'idée.

Je ne sais pas comment l'opéra, avec une musique si parfaite et une dépense toute royale, a pu réussir à m'ennuyer.

Il y a des endroits dans l'opéra qui laissent en desirer d'autres. Il échappe quelquefois de souhaiter la fin de tout le spectacle : c'est faute de théâtre, d'action, et de choses qui intéressent.

I.

L'opéra jusques à ce jour n'est pas un poëme, ce sont des vers; ni un spectacle, depuis que les machines ont disparu par le bon ménage d'Amphion et de sa race c'est un concert, ou ce sont des voix soutenues par des instruments. C'est prendre le change, et cultiver un mauvais goût, que de dire, comme l'on fait, que la machine n'est qu'un amusement d'enfants, et qui ne convient qu'aux marion

tions des CARACTÈRES, faites du vivant de La Bruyère. Il dit luiméme, dans la préface de son discours de réception à l'académie françoise, qu'il a poussé le soin d'éviter les applications directes jusqu'à employer quelquefois des lettres initiales qui n'ont qu'une signification vaine et incertaine. C'en est ici un exemple.

' Lulli, et son école, sa famille.

nettes: elle augmente et embellit la fiction, soutient dans les spectateurs cette douce illusion qui est tout le plaisir du théâtre, où elle jette encore le merveilleux. Il ne faut point de vols, ni de chars, ni de changements, aux Bérénices' et à Pénélope 2; il en faut aux opéra: et le propre de ce spectacle est de tenir les esprits, les yeux et les oreilles, dans un égal enchantement.

Ils ont fait le théâtre ces empressés, les machines, les ballets, les vers, la musique, tout le spectacle; jusqu'à la salle où s'est donné le spectacle, j'entends le toit et les quatre murs dès leurs fondements: qui doute que la chasse sur l'eau, l'enchantement de la table3, la merveille du labyrinthe, ne soient encore de leur invention? J'en juge par le mouvement qu'ils se donnent, et par l'air content dont ils s'applaudissent sur tout le succès. Si je me trompe, et qu'ils n'aient contribué en rien à cette fète si superbe, si galante, si long-temps soutenue, et où un seul a suffi pour le projet et pour la dépense, j'admire deux choses, la tranquillité et le flegme de celui qui a tout remué, comme l'embarras et l'action de ceux qui n'ont rien fait.

'La BÉRÉNICE de Corneille et celle de Racine.

'La PENELOPE de l'abbé Genest, représentée en 1684.

3 Rendez-vous de chasse de la forêt de Chantilly. Note de La Bruyère.

Collation très ingénieuse donnée dans le labyrinthe de Chantilly. Note de La Bruyère.

Les connoisseurs, ou ceux qui se croient tels, se donnent voix délibérative et décisive sur les spectacles, se cantonnent aussi, et se divisent en des partis contraires, dont chacun, poussé par un tout autre intérêt que par celui du public ou de l'équité, admire un certain poëme ou une certaine musique, et siffle toute autre. Ils nuisent également, par cette chaleur à défendre leurs préventions, et à la faction opposée, et à leur propre cabale: ils découragent par mille contradictions les poëtes et les musiciens, retardent le progrès des sciences et des arts, en leur ôtant le fruit qu'ils pourroient tirer de l'émulation et de la liberté qu'auroient plusieurs excellents maîtres de faire chacun dans leur genre, et selon leur génie, de très beaux ouvrages.

et

D'où vient que l'on rit si librement au théâtre,

que l'on a honte d'y pleurer? Est-il moins dans la nature de s'attendrir sur le pitoyable que d'éclater sur le ridicule? Est-ce l'altération des traits qui nous retient? Elle est plus grande dans un ris immodéré que dans la plus amère douleur; et l'on détourne son visage pour rire comme pour pleurer en la présence des grands, et de tous ceux que l'on respecte. Est-ce une peine que l'on sent à laisser voir que l'on est tendre, et à marquer quelque foiblesse, sur-tout en un sujet faux, et dont il semble que l'on soit la dupe? Mais sans citer les personnes graves ou les esprits forts qui trouvent du foible dans un ris ex

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