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Il faut avoir de l'esprit pour étre homme de cabale: l'on peut cependant en avoir à un certain point que l'on est au-dessus de l'intrigue et de la cabale, et que l'on ne sauroit s'y assujettir; l'on va alors à une grande fortune ou à une haute réputation, par d'autres chemins.

Avec un esprit sublime, une doctrine universelle, une probité à toutes épreuves, et un mérite très accompli, n'appréhendez pas, ô Aristide, de tomber à la cour ou de perdre la faveur des grands pendant tout le temps qu'ils auront besoin de vous.

Qu'un favori s'observe de fort près; car, s'il me fait moins attendre dans son antichambre qu'à l'ordinaire, s'il a le visage plus ouvert, s'il fronce moins le sourcil, s'il m'écoute plus volontiers, et s'il me reconduit un peu plus loin, je penserai qu'il commence à tomber, et je penserai vrai.

L'homme a bien peu de ressources dans soimême, puisqu'il lui faut une disgrace ou une mortification pour le rendre plus humain, plus traitable, moins féroce, plus honnête homme.

L'on contemple dans les cours de certaines gens, et l'on voit bien à leurs discours et à toute leur conduite qu'ils ne songent ni à leurs grands-pères ni à leurs petits-fils: le présent est pour eux; ils n'en jouissent pas, ils en abusent.

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Straton est né sous deux étoiles: malheureux,

1 Ce n'est pas ici un caractère, c'est-à-dire la peinture d'une

heureux dans le même degré. Sa vie est un roman: non, il lui manque le vraisemblable. Il n'a point eu d'aventures, il a eu de beaux songes, il en a eu de mauvais; que dis-je? on ne rêve point comme il a vécu. Personne n'a tiré d'une destinée plus qu'il a fait; l'extrême et le médiocre lui sont connus: il a brillé, il a souffert, il a mené une vie commune; rien ne lui est échappé. Il s'est fait valoir par des vertus qu'il assuroit fort sérieusement qui étoient en lui; il a dit de soi, « J'ai de l'esprit, j'ai du courage; » et tous ont dit après lui, « Il a de l'esprit, il a du « courage. » Il a exercé dans l'une et l'autre fortune le génie du courtisan, qui a dit de lui plus de bien peut-être et plus de mal qu'il n'y en avoit. Le joli, l'aimable, le rare, le merveilleux, l'héroïque, ont été employés à son éloge; et tout le contraire a servi depuis pour le ravaler: caractère équivoque, mêlé, enveloppé; une énigme, une question presque indécise.

La faveur met l'homme au-dessus de ses égaux; et sa chute au-dessous.

Celui qui, un beau jour, sait renoncer fermement ou à un grand nom, ou à une grande autorité, ou

espèce d'hommes; c'est le portrait d'un individu, d'un homme à part; et cet homme est évidemment le duc de Lauzun, dont la destinée, le caractère, et l'esprit, offrirent tous les extrêmes, et réunirent tous les contraires, que La Bruyère a marqués dans cette peinture.

à une grande fortune, se délivre en un moment de bien des peines, de bien des veilles, et quelquefois de bien des crimes.

Dans cent ans le monde subsistera encore en son entier: ce sera le même théâtre et les mêmes décorations; ce ne seront plus les mêmes acteurs. Tout ce qui se réjouit sur une grace reçue, ou ce qui s'attriste et se désespère sur un refus, tous auront disparu de dessus la scène. Il s'avance déja sur le théâtre d'autres hommes qui vont jouer dans une même pièce les mêmes rôles : ils s'évanouiront à leur tour; et ceux qui ne sont pas encore, un jour ne seront plus: de nouveaux acteurs ont pris leur place; quel fond à faire sur un personnage de comédie!

Qui a vu la cour a vu du monde ce qui est le plus beau, le plus spécieux, et le plus orné: qui méprise la cour, après l'avoir vue, méprise le monde.

La ville dégoûte de la province; la cour détrompe de la ville, et guérit de la cour.

Un esprit sain puise à la cour le goût de la solitude et de la retraite.

CHAPITRE IX.

DES GRANDS.

La prévention du peuple en faveur des grands est si aveugle, et l'entêtement pour leur geste, leur visage, leur ton de voix, et leurs manières, si général, que, s'ils s'avisoient d'être bons, cela iroit à l'idolâtrie.

Si vous êtes né vicieux, ô Théagère', je vous plains; si vous le devenez par foiblesse pour ceux qui ont intérêt que vous le soyez, qui ont juré entre eux de vous corrompre, et qui se vantent déja de pouvoir y réussir, souffrez que je vous méprise. Mais, si vous êtes sage, tempérant, modeste, civil, généreux, reconnoissant, laborieux, d'un rang d'ailleurs et d'une naissance à donner des exemples plutôt qu'à les prendre d'autrui, et à faire les règles plutôt qu'à les recevoir, convenez avec cette sorte

de

gens de suivre par complaisance leurs dérégle

Le nom de Théagène est traduit dans les clefs par celui du grand-prieur de Vendôme. Il est certain que ces mots, d'un rang et d'une naissance à donner des exemples plutôt qu'à les prendre d'autrui, s'appliquent assez bien à ce petit-fils légitimé d'Henri IV. Malheureusement les mots de dérèglement, de vices et de folie conviennent encore mieux à la vie plus que voluptueuse que ce prince et ses familiers menoient au Temple.

ments, leurs vices, et leur folie, quand ils auront,

par

la déférence qu'ils vous doivent, exercé toutes les vertus que vous chérissez ironie forte, mais utile, très propre à mettre vos moeurs en sûreté, à renverser tous leurs projets, et à les jeter dans le parti de continuer d'être ce qu'ils sont, et de vous laisser tel que vous êtes.

L'avantage des grands sur les autres hommes est immense par un endroit. Je leur cède leur bonne chère, leurs riches ameublements, leurs chiens, leurs chevaux, leurs singes, leurs nains, leurs fous, et leurs flatteurs; mais je leur envie le bonheur d'avoir à leur service des gens qui les égalent par le cœur et par l'esprit, et qui les passent quelquefois.

Les grands se piquent d'ouvrir une allée dans une forêt, de soutenir des terres par de longues murailles, de dorer des plafonds, de faire venir dix pouces d'eau, de meubler une orangerie; mais de rendre un cœur content, de combler une ame de joie, de prévenir d'extrêmes besoins ou d'y remédier, leur curiosité ne s'étend point jusque-là.

On demande si, en comparant ensemble les différentes conditions des hommes, leurs peines, leurs avantages, on n'y remarqueroit pas un mélange ou une espèce de compensation de bien et de mal qui établiroit entre elles l'égalité, ou qui feroit du moins que l'une ne seroit guère plus desirable que l'autre. Celui qui est puissant, riche, et à qui il ne

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