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nous accommoderoit point. Ils ont mis leur repos, leur santé, leur honneur, et leur conscience, pour les avoir: cela est trop cher; et il n'y a rien à gagner à un tel marché.

I

Les P. T. S. nous font sentir toutes les passions l'une après l'autre. L'on commence par le mépris, à cause de leur obscurité. On les envie ensuite, on les hait, on les craint; on les estime quelquefois, et on les respecte. L'on vit assez pour finir à leur égard par la compassion.

Sosie, de la livrée, a passé, par une petite recette, à une sous-ferme; et, par les concussions, la violence, et l'abus qu'il a fait de ses pouvoirs, il s'est enfin, sur les ruines de plusieurs familles, élevé à quelque grade: devenu noble par une charge, il ne lui manquoit que d'être homme de bien; une place de marguillier a fait ce prodige.

Arfure cheminoit seule et à pied vers le grand portique de Saint **, entendoit de loin le sermon d'un carme ou d'un docteur qu'elle ne voyoit qu'obliquement, et dont elle perdoit bien des paroles. Sa vertu étoit obscure, et sa dévotion connue

'C'est sous le voile assez transparent de ces trois lettres que La Bruyère avoit jugé à propos de cacher le nom de partisans, que les éditeurs venus après lui ont écrit en entier. On ne peut pas croire que ce fût de sa part un ménagement pour les partisans de son temps, puisque ailleurs il les nomme en toutes lettres. Il ne vouloit peut-être que procurer à ses lecteurs le petit plaisir de deviner cette espèce d'énigme.

comme sa personne. Son mari est entré dans le huitième denier: quelle monstrueuse fortune en moins de six années! Elle n'arrive à l'église que dans un char; on lui porte une lourde queue; l'orateur s'interrompt pendant qu'elle se place; elle le voit de front, n'en perd pas une seule parole ni le moindre geste : il y a une brigue entre les prêtres pour la confesser, tous veulent l'absoudre, et le curé l'emporte.

L'on porte Crésus au cimetière: de toutes ses immenses richesses, que le vol et la concussion lui avoient acquises, et qu'il a épuisées par le luxe et par la bonne chère, il ne lui est pas demeuré de quoi se faire enterrer; il est mort insolvable, sans biens, et ainsi privé de tous les secours : l'on n'a vu chez lui ni julep, ni cordiaux, ni médecins, ni le moindre docteur qui l'ait assuré de son salut.

Champagne, au sortir d'un long dîner qui lui enfle l'estomac, et dans les douces fumées d'un vin d'Avenay ou de Sillery, signe un ordre qu'on lui présente, qui ôteroit le pain à toute une province si l'on n'y remédioit: il est excusable; quel moyen de comprendre dans la première heure de la digestion qu'on puisse quelque part mourir de faim?

Sylvain de ses deniers a acquis de la naissance et un autre nom. Il est seigneur de la paroisse où ses aïeux payoient la taille: il n'auroit pu autrefois entrer page chez Cléobule; et il est son gendre.

Dorus passe en litière par la voie Appienne, précédé de ses affranchis et de ses esclaves, qui détournent le peuple et font faire place: il ne lui manque que des licteurs. Il entre à Rome avec ce cortège, où il semble triompher de la bassesse et de la pauvreté de son père Sanga.

On ne peut mieux user de sa fortune que fait Périandre: elle lui donne du rang, du crédit, de l'autorité; déja on ne le prie plus d'accorder son amitié, on implore sa protection. Il a commencé par dire de soi-même, un homme de ma sorte; il passe à dire, un homme de ma qualité: il se donne pour tel; et il n'y a personne de ceux à qui il prête de l'argent, ou qu'il reçoit à sa table, qui est délicate, qui veuille s'y opposer. Sa demeure est superbe, un dorique règne dans tous ses dehors; ce n'est pas une porte, c'est un portique: est-ce la maison d'un particulier? est-ce un temple? le peuple s'y trompe. Il est le seigneur dominant de tout le quartier: c'est lui que l'on envie, et dont on voudroit voir la chute; c'est lui dont la femme, par son collier de perles, s'est fait des ennemies de toutes les dames du voisinage. Tout se soutient dans cet homme; rien encore ne se dément dans cette grandeur qu'il a acquise, dont il ne doit rien, qu'il a payée. Que son père, si vieux et si caduc, n'est-il mort il y a vingt ans et avant qu'il se fît dans le monde aucune mention de Périandre! Comment

pourra-t-il soutenir ces odieuses pancartes' qui déchiffrent les conditions, et qui souvent font rougir la veuve et les héritiers? les supprimera-t-il aux yeux de toute une ville jalouse, maligne, clairvoyante, et aux dépens de mille gens qui veulent absolument aller tenir leur rang à des obsèques? veut-on d'ailleurs qu'il fasse de son père un Noble homme, et peut-être un Honorable homme, lui qui est Messire?

Combien d'hommes ressemblent à ces arbres déja forts et avancés que l'on transplante dans les jardins, où ils surprennent les yeux de ceux qui les voient placés dans de beaux endroits où ils ne les ont point vus croître, et qui ne connoissent ni leurs commencements ni leurs progrès!

Si certains morts revenoient au monde, et s'ils voyoient leurs grands noms portés, et leurs terres les mieux titrées, avec leurs châteaux et leurs maisons antiques, possédées par des gens dont les pères étoient peut-être leurs métayers, quelle opinion pourroient-ils avoir de notre siècle?

que

Rien ne fait mieux comprendre le peu de chose Dieu croit donner aux hommes, en leur abandonnant les richesses, l'argent, les grands établissements, et les autres biens, que la dispensation qu'il en fait, et le genre d'hommes qui en sont le mieux pourvus.

' Billets d'enterrement. (La Bruyère.)

Si vous entrez dans les cuisines, où l'on voit ré duit en art et en méthode le secret de flatter votre goût et de vous faire manger au-delà du nécessaire; si vous examinez en détail tous les apprêts des viandes qui doivent composer le festin que l'on vous prépare; si vous regardez par quelles mains elles passent, et toutes les formes différentes qu'elles prennent avant de devenir un mets exquis, et d'arriver à cette propreté et à cette élégance qui charment vos yeux, vous font hésiter sur le choix, et prendre le parti d'essayer de tout; si vous voyez tout le repas ailleurs que sur une table bien servie, quelles saletés! quel dégoût! Si vous allez derrière un théâtre, et si vous nombrez les poids, les roues, les cordages, qui font les vols et les machines; si vous considérez combien de gens entrent dans l'exécution de ces mouvements, quelle force de bras, et quelle extension de nerfs ils y emploient, vous direz Sont-ce là les principes et les ressorts de ce spectacle si beau, si naturel, qui paroît animé et agir de soi-même? vous vous récrierez, Quels efforts! quelle violence! De même n'approfondissez pas la fortune des partisans.

Ce garçon si frais, si fleuri, et d'une si belle santé, est seigneur d'une abbaye et de dix autres bénéfices: tous ensemble lui rapportent six-vingt mille livres de revenu, dont il n'est payé qu'en médailles d'or. Il y a ailleurs six-vingts familles indi

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