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n'a jamais vu Versailles; il ne le verra point: il a presque vu la tour de Babel; il en compte les degrés; il sait combien d'architectes ont présidé à cet ouvrage; il sait le nom des architectes. Dirai-je qu'il croit Henri IV fils de Henri III? Il néglige du moins de rien connoître aux maisons de France, d'Autriche, de Bavière: quelles minuties! dit-il, pendant qu'il récite de mémoire toute une liste des rois des Medes ou de Babylone, et que les noms d'Apronal, d'Hérigebal, de Noesnemordach, de Mardokempad, lui sont aussi familiers qu'à nous ceux de Valois et de Bourbon. Il demande si l'empereur a jamais été marié; mais personne ne lui apprendra que Ninus a eu deux femmes. On lui

dit que le roi jouit d'une santé parfaite; et il se souvient que Thetmosis, un roi d'Égypte, étoit valétudinaire, et qu'il tenoit cette complexion de son aïeul Alipharmutosis. Que ne sait-il point? quelle chose lui est cachée de la vénérable antiquité? Il vous dira que Sémiramis, ou, selon quelques uns, Sérimaris, parloit comme son fils Ninyas; qu'on ne les distinguoit pas à la parole: si c'étoit parceque la mère avoit une voix mâle comme son fils, ou le fils une voix efféminée comme sa mère, qu'il n'ose pas le décider. Il vous révélera que Nembrot étoit gaucher, et Sésostris ambidextre; que c'est une erreur de s'imaginer qu'un Artaxerxe ait été 'Henri-le-Grand. (La Bruyère.)

appelé Longuemain, parceque les bras lui tomboient jusqu'aux genoux, et non à cause qu'il avoit une main plus longue que l'autre; et il ajoute qu'il des auteurs graves qui affirment que c'étoit la droite, qu'il croit néanmoins être bien fondé à soutenir que c'est la gauche.

Y a

Ascagne est statuaire, Hégion fondeur, Eschine foulon, et Cydias bel esprit; c'est sa profession. Il a une enseigne, un atelier, des ouvrages de commande, et des compagnons qui travaillent sous lui; il ne vous sauroit rendre de plus d'un mois les stances qu'il vous a promises, s'il ne manque de parole à Dosithée qui l'a engagé à faire une élégie: une idylle est sur le métier; c'est pour Crantor qui le presse, et qui lui laisse espérer un riche salaire. Prose, vers, que voulez-vous? il réussit également en l'un et en l'autre. Demandez-lui des lettres de consolation, ou sur une absence, il les entreprendra; prenez-les toutes faites et entrez dans son magasin, il y a à choisir. Il a un ami qui n'a point d'autre fonction sur la terre que de le promettre long-temps à un certain monde, et de le présenter enfin dans les maisons comme homme rare et d'une exquise conversation; et là, ainsi que le musicien chante et que le joueur de luth touche son luth devant les personnes à qui il a été promis, Cydias, après avoir toussé, relevé sa manchette, étendu la main et ouvert les doigts, débite

gravement ses pensées quintessenciées et ses raisonnements sophistiques. Différent de ceux qui, convenant de principes, et connoissant la raison ou la vérité qui est une, s'arrachent la parole l'un à l'autre pour s'accorder sur leurs sentiments, il n'ouvre la bouche que pour contredire: «Il me << semble, dit-il gracieusement, que c'est tout le « contraire de ce que vous dites»; ou, «je ne sau« rois être de votre opinion »; ou bien, « c'a été au<«<trefois mon entêtement, comme il est le vôtre; « mais... il y a trois choses, ajoute-t-il, à considé«rer»... et il en ajoute une quatrième: fade discoureur qui n'a pas mis plus tôt le pied dans une assemblée, qu'il cherche quelques femmes auprès de qui il puisse s'insinuer, se parer de son bel esprit ou de sa philosophie, et mettre en œuvre ses rares conceptions; car, soit qu'il parle ou qu'il écrive, il ne doit pas être soupçonné d'avoir en vue ni le vrai ni le faux, ni le raisonnable ni le ridicule; il évite uniquement de donner dans le sens des autres, et d'être de l'avis de quelqu'un : aussi attendil dans un cercle que chacun se soit expliqué sur le sujet qui s'est offert, ou souvent qu'il a amené luimême, pour dire dogmatiquement des choses toutes nouvelles, mais à son gré décisives et sans réplique. Cydias s'égale à Lucien et à Sénéque', se met au-dessus de Platon, de Virgile, et de Théo

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crite; et son flatteur a soin de le confirmer tous les matins dans cette opinion. Uni de goût et d'intérêt avec les contempteurs d'Homère, il attend paisiblement que les hommes détrompés lui préfèrent les poëtes modernes ; il se met en ce cas à la tête de ces derniers, et il sait à qui il adjuge la seconde place. C'est, en un mot, un composé du pédant et du précieux, fait pour être admiré de la bourgeoisie et de la province, en qui néanmoins on n'aperçoit rien de grand que l'opinion qu'il a de lui-même.

C'est la profonde ignorance qui inspire le ton dogmatique. Celui qui ne sait rien croit enseigner aux autres ce qu'il vient d'apprendre lui-même; celui qui sait beaucoup pense à peine que ce qu'il dit puisse être ignoré, et parle plus indifférem

ment.

d'être

Les plus grandes choses n'ont besoin que dites simplement; elles se gâtent par l'emphase : il faut dire noblement les plus petites; elles ne se soutiennent que par l'expression, le ton, et la ma

nière.

Il me semble que l'on dit les choses encore plus finement qu'on ne peut les écrire.

Il n'y a guère qu'une naissance honnête, ou une bonne éducation, qui rende les hommes capables de secret.

Toute confiance est dangereuse, si elle n'est entière: il y a peu de conjonctures où il ne faille

tout dire ou tout cacher. On a déja trop dit de son secret à celui à qui on croit devoir en dérober une circonstance.

Des gens vous promettent le secret, et ils le révélent eux-mêmes, et à leur insu; ils ne remuent pas les lèvres, et on les entend: on lit sur leur front et dans leurs yeux; on voit au travers de leur poitrine; ils sont transparents: d'autres ne disent pas précisément une chose qui leur a été confiée; mais ils parlent et agissent de manière qu'on la découvre de soi-même: enfin quelques uns méprisent votre secret, de quelque conséquence qu'il puisse être : « C'est un mystère; un tel m'en a fait part, « et m'a défendu de le dire; » et ils le disent.

Toute révélation d'un secret est la faute de celui qui l'a confié.

Nicandre s'entretient avec Élise de la manière douce et complaisante dont il a vécu avec sa femme, depuis le jour qu'il en fit le choix jusques à sa mort : il a déja dit qu'il regrette qu'elle ne lui ait pas laissé des enfants, et il le répéte; il parle des maisons qu'il a à la ville, et bientôt d'une terre qu'il a à la campagne; il calcule le revenu qu'elle lui rapporte; il fait le plan des bâtiments, en décrit la situation, exagère la commodité des appartements, ainsi que la richesse et la propreté des meubles. Il assure qu'il aime la bonne chère, les équipages: il se plaint que sa femme n'aimoit point

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