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ambitieux; ou on ne l'est point, ou on l'est toujours: mais le temps vient où l'on avoue que l'on a aimé.

Les hommes commencent par l'amour, finissent par l'ambition, et ne se trouvent souvent dans une assiette plus tranquille que lorsqu'ils meurent.

Rien ne coûte moins à la passion que de se mettre au-dessus de la raison: son grand triomphe est de l'emporter sur l'intérêt.

L'on est plus sociable et d'un meilleur commerce par le cœur que par l'esprit.

Il y a de certains grands sentiments, de certaines actions nobles et élevées, que nous devons moins à la force de notre esprit qu'à la bonté de notre naturel.

Il n'y a guère au monde un plus bel excès que celui de la reconnoissance.

Il faut être bien dénué d'esprit, si l'amour, la malignité, la nécessité, n'en font pas trouver.

Il y a des lieux que l'on admire ; il y en a d'autres qui touchent, et où l'on aimeroit à vivre.

Il me semble que l'on dépend des lieux pour l'esprit, l'humeur, la passion, le goût, et les senti

ments.

Ceux qui font bien mériteroient seuls d'être enviés, s'il n'y avoit encore un meilleur parti à prendre, qui est de faire mieux : c'est une douce vengeance contre ceux qui nous donnent cette jalousie.

Quelques uns se défendent d'aimer et de faire des vers, comme de deux foibles qu'ils n'osent avouer, l'un du cœur, l'autre de l'esprit.

Il y a quelquefois dans le cours de la vie de si chers plaisirs et de si tendres engagements que l'on nous défend, qu'il est naturel de desirer du moins qu'ils fussent permis: de si grands charmes ne peuvent être surpassés que par celui de savoir y renoncer par vertu.

CHAPITRE V.

DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION.

UN

N caractère bien fade est celui de n'en avoir

aucun.

C'est le rôle d'un sot d'être importun: un homme habile sent s'il convient ou s'il ennuie; il sait disparoître le moment qui précéde celui où il seroit de trop quelque part.

L'on marche sur les mauvais plaisants, et il pleut par tout pays de cette sorte d'insectes. Un bon plaisant est une pièce rare: à un homme qui est né tel, il est encore fort délicat d'en soutenir longtemps le personnage; il n'est pas ordinaire que celui qui fait rire se fasse estimer.

Il y a beaucoup d'esprits obscènes, encore plus de médisants ou de satiriques, peu de délicats. Pour badiner avec grace, et rencontrer heureusement sur les plus petits sujets, il faut trop de manières, trop de politesse, et même trop de fécondité: c'est créer que de railler ainsi, et faire quelque chose de rien.

Si l'on faisoit une sérieuse attention à tout ce qui se dit de froid, de vain, et de puéril dans les entretiens ordinaires, l'on auroit honte de parler

ou d'écouter; et l'on se condamneroit peut-être à un silence perpétuel, qui seroit une chose pire dans le commerce que les discours inutiles. Il faut donc s'accommoder à tous les esprits, permettre comme un mal nécessaire le récit des fausses nouvelles, les vagues réflexions sur le gouvernement présent ou sur l'intérêt des princes, le débit des beaux sentiments, et qui reviennent toujours les mêmes: il faut laisser Aronce parler proverbe, et Mélinde parler de soi, de ses vapeurs, de ses migraines, et de ses insomnies.

L'on voit des gens qui, dans les conversations ou dans le peu de commerce que l'on a avec eux, vous dégoûtent par leurs ridicules expressions, par la nouveauté, et j'ose dire par l'impropriété des termes dont ils se servent, comme par l'alliance de certains mots qui ne se rencontrent ensemble que dans leur bouche, et à qui ils font signifier des choses que leurs premiers inventeurs n'ont jamais eu intention de leur faire dire. Ils ne suivent en parlant ni la raison ni l'usage, mais leur bizarre génie, que l'envie de toujours plaisanter, et peutêtre de briller, tourne insensiblement à un jargon qui leur est propre, et qui devient enfin leur idiome naturel; ils accompagnent un langage si extravagant d'un geste affecté et d'une prononciation qui est contrefaite. Tous sont contents d'eux-mêmes et de l'agrément de leur esprit; et l'on ne peut pas

dire qu'ils en soient entièrement dénués: mais on les plaint de ce peu qu'ils en ont; et, ce qui est pire, on en souffre.

Que dites-vous? comment? je n'y suis pas vous plairoit-il de recommencer? j'y suis encore moins; je devine enfin: vous voulez, Acis, me dire qu'il fait froid; que ne disiez-vous, il fait froid: vous voulez m'apprendre qu'il pleut ou qu'il neige; dites, il pleut, il neige: vous me trouvez bon visage, et vous desirez de m'en féliciter; dites, je vous trouve bon visage. Mais, répondez-vous, cela est bien uni et bien clair; et d'ailleurs, qui ne pourroit pas en dire autant? Qu'importe, Acis? est-ce un si grand mal d'être entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde? Une chose vous manque, Acis, à vous et à vos semblables les diseurs de phébus, vous ne vous en défiez point, et je vais vous jeter dans l'étonnement; une chose vous manc'est l'esprit: ce n'est pas tout; il y a en vous une chose de trop, qui est l'opinion d'en avoir plus que les autres: voilà la source de votre pompeux galimatias, de vos phrases embrouillées, et de vos grands mots qui ne signifient rien. Vous abordez cet homme, ou vous entrez dans cette chambre, je vous tire par votre habit, et vous dis à l'oreille: Ne songez point à avoir de l'esprit, n'en ayez point; c'est votre rôle: ayez, si vous pouvez, un langage simple, et tel que l'ont ceux en l'ont ceux en qulvous ne trouvez

que,

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