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Harpagon.

Les voilà bien malades! ils ne font rien.

Maître Facques.

Et pour ne faire rien, monsieur, est-ce qu'il ne 1360 faut rien manger? Il leur vaudrait bien mieux, les

pauvres animaux, de travailler beaucoup, et de manger de même. Cela me fend le cœur, de les voir ainsi exténués; car enfin j'ai une tendresse pour mes chevaux, qu'il me semble que c'est moi1365 même, quand je les vois pâtir; je m'ôte tous les jours pour eux les choses de la bouche: et c'est être, monsieur, d'un naturel trop dur, que de n'avoir nulle pitié de son prochain.

Harpagon.

Le travail ne sera pas grand d'aller jusqu'à la 1370 foire.

Maître Facques.

Non, monsieur, je n'ai point le courage de les mener, et je ferais conscience de leur donner des coups de fouet en l'état où ils sont. Comment

voudriez-vous qu'ils traînassent un carrosse ? ils ne 1375 peuvent pas se traîner eux-mêmes.

Valère.

Monsieur, j'obligerai le voisin Picard à se charger de les conduire; aussi bien nous fera-t-il ici besoin pour apprêter le souper.

Maître Facques.

Soit. J'aime mieux encore qu'ils meurent sour

1380 la main d'un autre que sous la mienne.

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Maître Facques.

Monsieur, je ne saurais souffrir les flatteurs; et je 1385 vois que ce qu'il en fait, que ses contrôles perpétuels sur le pain et le vin, le bois, le sel et la chandelle, ne sont rien que pour vous gratter et vous faire sa cour. J'enrage de cela, et je suis fâché tous les jours d'entendre ce qu'on dit de vous: car enfin je 1390 me sens pour vous de la tendresse, en dépit que j'en aie; et après mes chevaux, vous êtes la personne que j'aime le plus.

1395

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Harpagon.

Pourrais-je savoir de vous, maître Jacques, ce que l'on dit de moi?

Maître Facques.

Oui, monsieur, si j'étais assuré que cela ne vous fâchât point.

Harpagon.

Non, en aucune façon.

Maître Facques.

Pardonnez-moi; je sais fort bien que je vous mettrais en colère.

Harpagon.

Point du tout; au contraire, c'est me faire plaisir, et je suis bien aise d'apprendre comme on parle de moi.

Maître Facques.

Monsieur, puisque vous le voulez, je vous dirai franchement qu'on se moque partout de vous, qu'on 1405 nous jette de tous côtés cent brocards à votre sujet; et que l'on n'est point plus ravi que de vous tenir au cul et aux chausses, et de faire sans cesse des contes de votre lésine. L'un dit que vous faites doubler les quatre-temps et les vigiles, afin de profiter des 1410 jeûnes où vous obligez votre monde; l'autre, que vous avez toujours une querelle toute prête à faire à

vos valets dans le temps des étrennes, ou de leur sortie d'avec vous, pour vous trouver une raison de ne leur donner rien. Celui-là conte qu'une fois vous 1415 fîtes assigner le chat d'un de vos voisins, pour vous avoir mangé un reste de gigot de mouton; celui-ci, que l'on vous surprit une nuit en venant dérober vous-même l'avoine de vos chevaux, et que votre cocher, qui était celui d'avant moi, vous donna dans 1420 l'obscurité je ne sais combien de coups de bâton, dont vous ne voulûtes rien dire. Enfin, voulez-vous que je vous dise? on ne saurait aller nulle part où l'on ne vous entende accommoder de toutes pièces; vous êtes la fable et la risée de tout le monde; et 1425 jamais on ne parle de vous que sous les noms d'avare, de ladre, de vilain et de fesse-matthieu.

Harpagon (en battant maître Facques).

Vous êtes un sot, un maraud, un coquin, et un impudent.

Maître Facques.

Hé bien! ne l'avais-je pas deviné? Vous ne 1430 m'avez pas voulu croire. Je vous avais bien dit que je vous fâcherais de vous dire la vérité.

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Harpagon.

Apprenez à parler.

SCÈNE VI.

VALÈRE, Maître JACQUES.

Valère (riant).

A ce que je puis voir, maître Jacques, on paie mal votre franchise.

Maître Facques.

Morbleu! monsieur le nouveau venu, qui faites l'homme d'importance, ce n'est pas votre affaire. Riez de vos coups de bâton quand on vous en donnera, et ne venez point rire des miens.

Valère.

Ah! monsieur maître Jacques, ne vous fâchez pas, 1440 je vous prie.

Maître Facques (à part).

Il file doux. Je veux faire le brave, et, s'il est assez sot pour me craindre, le frotter quelque peu. (Haut.) Savez-vous bien, monsieur le rieur, que je ne ris pas, moi, et que, si vous m'échauffez la tête, 1445 je vous ferai rire d'une autre sorte ?

(Maître Facques pousse Valère jusqu'au fond du théâtre en le menaçant.) Valère.

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1455

Hé! doucement.

Maître Facques.

Comment, doucement! Il ne me plaît pas, moi.

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Il n'y a point de monsieur maître Jacques pour un double. Si je prends un bâton, je vous rosserai d'importance.

Valère.

Comment! un bâton!

(Valère fait reculer maître Facques à son tour.)

Maître Facques.

Hé ! je ne parle pas de cela.

Valère.

Savez-vous bien, monsieur le fat, que je suis

homme à vous rosser vous-même ?

Maître Facques.

Je n'en doute pas.

Valère.

Que vous n'êtes, pour tout potage, qu'un faquin

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Et que vous ne me connaissez pas encore?
Maître Facques.

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Et moi je ne prends point de goût à votre raillerie.
(Donnant des coups de bâton à maître Facques.)
Apprenez que vous êtes un mauvais railleur.
Maître Facques (seul).

Peste soit de la sincérité! c'est un mauvais métier: 1470 désormais j'y renonce, et je ne veux plus dire vrai. Passe encore pour mon maître, il a quelque droit de me battre; mais pour ce monsieur l'intendant, je m'en vengerai si je puis.

SCÈNE VII.

MARIANE, FROSINE, Maître JACQUES.

Frosine.

Savez-vous, maître Jacques, si votre maître est au

1475 logis?

Maître Facques.

Oui, vraiment, il y est; je ne le sais que trop.

Frosine.

Dites-lui, je vous prie, que nous sommes ici.

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