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865 et votre logis. Mais, à mon avis, il n'y a pas grand mal à cela; ce sont des personnes discrètes, et vous pouvez ici vous expliquer ensemble.

Comment!

Harpagon.

Maître Simon (montrant Cléante).

Monsieur est la personne qui veut vous emprunter 870 les quinze mille livres dont je vous ai parlé.

Harpagon.

Comment, pendard! c'est toi qui t'abandonnes à ces coupables extrémités!

Cléante.

Comment, mon père! c'est vous qui vous portez à ces honteuses actions!

(Maître Simon s'enfuit, et la Flèche va se cacher.)

SCÈNE III.

HARPAGON, CLÉANTE.

Harpagon.

875 C'est toi qui te veux ruiner par des emprunts si condamnables!

885

Cléante.

C'est vous qui cherchez à vous enrichir par des usures si criminelles !

Harpagon.

Oses-tu bien, après cela, paraître devant moi?

Cléante.

Osez-vous bien, après cela, vous présenter aux yeux du monde ?

Harpagon.

N'as-tu point de honte, dis-moi, d'en venir à ces débauches-là, de te précipiter dans des dépenses effroyables, et de faire une honteuse dissipation du 885 bien que tes parents t'ont amassé avec tant de sueurs ?

Cléante.

Ne rougissez-vous point de déshonorer votre con dition par les commerces que vous faites, de sacrifier gloire et réputation au désir insatiable d'entasser écu sur écu, et de renchérir, en fait d'intérêt, sur 890 les plus infâmes subtilités qu'aient jamais inventées les plus célèbres usuriers? Ww the matter

Harpagon.

Ote-toi de mes yeux, coquin, ôte-toi de mes yeux.

Cléante.

Qui est plus criminel, à votre avis, ou celui qui achète un argent dont il a besoin, ou bien celui qui 895 vole un argent dont il n'a que faire ?

Harpagon.

Retire-toi, te dis-je, et ne m'échauffe pas les oreilles. (seul) Je ne suis pas fâché de cette aventure; et ce m'est un avis de tenir l'œil plus que jamais sur toutes ses actions.

SCÈNE IV.

FROSINE, HARPAGON.

900

Monsieur

Frosine.

Harpagon.

Attendez un moment, je vais revenir vous parler (à part). Il est à propos que je fasse un petit tour à mon argent.

SCÈNE V.

LA FLÈCHE, FROSINE.

La Flèche (sans voir Frosine).
L'aventure est tout à fait drôle.

Il faut bien qu'il

905 ait quelque part un ample magasin de hardes; car nous n'avons rien reconnu au mémoire que nous

avens.

910

Frosine

He! c'est toi, mon pauvre la Flèche! D'où vient cette rencontre ?

La Flèche.

Ah! ah! c'est toi, Frosine! Que viens-tu faire ici ?

Frosine.

Ce que je fais partout ailleurs; m'entremettre d'affaires, me rendre serviable aux gens et profiter, du mieux qu'il m'est possible, des petits talents que 915 je puis avoir. Tu sais que, dans ce monde, il faut vivre d'adresse, et qu'aux personnes comme moi le ciel n'a donné d'autres rentes que l'intrigue et que l'industrie.

1920

925

La Flèche.

As-tu quelque négoce avec le patron du logis?

Frosine.

Oui; je traite pour lui quelque petite affaire dont j'espère une récompense.

La Flèche.

De lui ? Ah! ma foi, tu seras bien fine, si tu en tires quelque chose; et je te donne avis que l'argent céans est fort cher.

Frosine.

Il y a de certains services qui touchent merveilleusement.

La Flèche.

Je suis votre valet, et tu ne connais pas encore le seigneur Harpagon. Le seigneur Harpagon est de tous les humains l'humain le moins humain, le mortel 930 de tous les mortels le plus dur et le plus serré. Il n'est point de service qui pousse sa reconnaissance jusqu'à lui faire ouvrir les mains. De la louange, de l'estime, de la bienveillance en paroles, et de l'amitié, tant qu'il vous plaira; mais de l'argent,

935 point d'affaires. Il n'est rien de plus sec et de plus aride que ses bonnes grâces et ses caresses; et donner est un mot pour qui il a tant d'aversion, qu'il ne dit jamais je vous donne, mais je vous prête le bon jour. Frosine.

Mon Dieu! je sais l'art de traire les hommes ; 940 j'ai le secret de m'ouvrir leur tendresse, de chatouiller leurs cœurs, de trouver les endroits par où ils sont sensibles.

La Flèche.

Bagatelles ici! Je te défie d'attendrir, du côté de l'argent, l'homme dont il est question. Il est 945 Turc là-dessus, mais d'une turquerie à désespérer tout le monde; et l'on pourrait crever, qu'il n'en branlerait pas. En un mot, il aime l'argent plus que réputation, qu'honneur et que vertu; et la vue d'un demandeur lui donne des convulsions: c'est le frap950 per par son endroit mortel, c'est lui percer le cœur, c'est lui arracher les entrailles; et si . . . Mais il revient, je me retire.

955

SCÈNE VI.

HARPAGON, FROSINE.

Harpagon (bas).

Tout va comme il faut. (haut) Hé bien! qu'est-ce, Frosine ?

Frosine.

Ah! mon Dieu! que vous vous portez bien! et que vous avez là un vrai visage de santé!

Qui? moi?

Harpagon.

Frosine.

Jamais je ne vous vis un teint si frais et si gaillard

Tout de bon ?

Harpagon.

965

Frosine.

Comment! vous n'avez de votre vie été si jeune que vous êtes, et je vois des gens de vingt-cinq ans qui sont plus vieux que vous.

Harpagon.

Cependant, Frosine, j'en ai soixante bien comptés.
Frosine.

Hé bien ! qu'est-ce que cela ? soixante ans ? voilà 965 bien de quoi! C'est la fleur de l'âge, cela; et vous entrez maintenant dans la belle saison de l'homme.

Harpagon.

Il est vrai; mais vingt années de moins pourtant ne me feraient point de mal, que je crois.

Frosine.

Vous moquez-vous? Vous n'avez pas besoin de 970 cela, et vous êtes d'une pâte à vivre jusqu'à cent

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Assurément; vous en avez toutes les marques. Tenez-vous un peu. Oh! que voilà bien, entre vos 975 deux yeux, un signe de longue vie!

Harpagon.

Tu te connais à cela?

Frosine.

Sans doute. Montrez-moi votre main. Ah! mor Dieu! quelle ligne de vie!

980

Comment ?

Harpagon.

Frosine.

Ne voyez-vous pas jusqu'où va cette ligne-là ?

Harpagon.

Hé bien? qu'est-ce que cela veut dire ?

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