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Valère.

Il est vrai, cela ferme la bouche à tout. Sans dot! Le moyen de résister à une raison comme 615 celle-là!

Harpagon (à part, regardant du côté du jardin).

Ouais! il me semble que j'entends un chien qui aboie. N'est-ce point qu'on en voudrait à mon argent? (à Valère) Ne bougez, je reviens tout à l'heure.

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SCÈNE VIII.

ÉLISE, VALÈRE.

Elise.

Vous moquez-vous, Valère, de lui parler comme vous faites?

Valère.

C'est pour ne point l'aigrir, et pour en venir mieux à bout. Heurter de front ses sentiments est le moyen de tout gâter, et il y a de certains esprits 025 qu'il ne faut prendre qu'en biaisant, des tempéraments ennemis de toute résistance, des naturels rétifs que la vérité fait cabrer, qui toujours se roidissent contre le droit chemin de la raison, et qu'on ne mène qu'en tournant où l'on veut les conduire. Faites 63c semblant de consentir à ce qu'il veut, vous en viendrez mieux à vos fins, et

Elise.

Mais ce mariage, Valère ?

Valère.

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On cherchera des biais pour le rompre.

Elise.

Mais quelle invention trouver, s'il se doit conclure

635 ce soir ?

640

645

Valère.

Il faut demander un délai, et feindre quelque maladie.

Elise.

Mais on découvrira la feinte, si l'on appelle des médecins.

Valère.

Vous moquez-vous? Y connaissent-ils quelque chose? Allez, allez, vous pourrez avec eux avoir quel mal il vous plaira; ils vous trouveront des raisons pour vous dire d'où cela vient.

SCÈNE IX.

HARPAGON, ÉLISE, VALÈRE.

Harpagon (à part, dans le fond du théâtre).
Ce n'est rien, Dieu merci.

Valère (sans voir Harpagon).

Enfin notre dernier recours, c'est que la fuite nous peut mettre à couvert de tout; et si votre amour, belle Élise, est capable d'une fermeté . . . (apercevant Harpagon) Oui, il faut qu'une fille obéisse à son père. Il ne faut point qu'elle regarde comme 65 un mari est fait; et lorsque la grande raison de sans dot" s'y rencontre, elle doit être prête à prendre tout ce qu'on lui donne.

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Harpagon.

Bon! Voilà bien parlé cela!

Valère.

Monsieur, je vous demande pardon si je m'emporte 655 un peu, et prends la hardiesse de lui parler comme je fais.

Harpagon.

Comment! j'en suis ravi, et je veux que tu prennes sur elle un pouvoir absolu (à Elise). Oui, tu as

beau faire, je lui donne l'autorité que le ciel me 66 donne sur toi, et j'entends que tu fasses tout ce qu'il

te dira.

Valère (à Élise).

Après cela, résistez à mes remontrances !

665

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SCÈNE X.

HARPAGON, VALÈRE.

Valère.

Monsieur, je vais la suivre, pour lui continuer les leçons que je lui faisais.

Harpagon.

Oui; tu m'obligeras, certes.

Valère.

Il est bon de lui tenir un peu la bride haute.

Harpagon.

Cela est vrai. Il faut

Valère.

Ne vous mettez pas en peine. Je crois que j'en viendrai à bout.

Harpagon.

Fais, fais. Je m'en vais faire un petit tour en ville, et reviens tout à l'heure.

Valère (adressant la parole à Élise en s'en allant du côté par où elle est sortie).

Oui, l'argent est plus précieux que toutes les choses du monde, et vous devez rendre grâces au ciel de l'honnête homme de père qu'il vous a donné. Il 675 sait ce que c'est que de vivre. Lorsqu'on s'offre de prendre une fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout est renfermé là-dedans; et, sans dot tient lieu de beauté, de jeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse et de probité.

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Harpagon (seul).

Ah! le brave garçon! voilà parler comme un oracle! Heureux, qui peut avoir un domestique de la sorte!

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ACTE DEUXIÈME.

SCÈNE I.

CLEANTE, LA FLÈCHE.

Cléante.

Ah! traître que tu es, où t'es-tu donc allé fourrer ? Ne t'avais-je pas donné ordre

La Flèche.

Oui, monsieur, je m'étais rendu ici pour vous attendre de pied ferme; mais monsieur votre père, le plus malgracieux des hommes, m'a chassé dehors malgré moi, et j'ai couru risque d'être battu

Cléante.

Comment va notre affaire ?

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Les choses pressent

690 plus que jamais. Depuis que je t'ai vu, j'ai décou

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vert que mon père est mon rival.

La Flèche.

Votre père amoureux ?

Cléante.

Oui; et j'ai eu toutes les peines du monde à lui cacher le trouble où cette nouvelle m'a mis.

La Flèche.

Lui, se mêler d'aimer! De quoi diable s'avise-t-il ? Se moque-t-il du monde? et l'amour a-t-il été fait pour des gens bâtis comme lui?

Cléante.

(Il a fallu pour mes péchés que cette passion lui soit venue en tête.

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La Flèche.

Mais par quelle raison lui faire un mystère de votre amour?

Cléante.

Pour lui donner moins de soupçon, et me conserver, au besoin, des ouvertures plus aisées pour détourner ce mariage., Quelle réponse t'a-t-on faite? La Flèche.

705 Ma foi, monsieur, ceux qui empruntent sont bien malheureux; et il faut essuyer d'étranges choses lorsqu'on est réduit à passer, comme vous, par les mains des fesse-matthieu.

10

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Cléante.

L'affaire ne se fera point?

La Flèche,

Pardonnez-moi. Notre maître Simon, le courtier qu'on nous a donné, homme agissant et plein de zèle, dit qu'il a fait rage pour vous, et il assure que votre seule physionomie lui a gagné le cœur.

Cléante.

J'aurai les quinze mille francs que je demande ?
La Flèche.

Oui, mais à quelques petites conditions qu'il faudra que vous acceptiez, si vous avez dessein que les choses se fassent.

Cléante.

T'a-t-il fait parler à celui qui doit prêter l'argent ?
La Flèche.

Ah! vraiment, cela ne va pas de la sorte. II 720 apporte encore plus de soin à se cacher que vous; et ce sont des mystères bien plus grands que vous ne pensez. On ne veut point du tout dire son nom, et l'on doit aujourd'hui l'aboucher avec vous dans une maison empruntée, pour être instruit par votre 725 bouche de votre bien et de votre famille; et je ne

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