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rité, & celui qui ne les peut fouffrir. Car pourquoi la douleur me fera-t'elle pluftoft confeffer ce qui en eft, qu'elle ne me forcera de dire ce qui n'est pas ? Et au rebours, fi celui qui n'a pas faict ce dequoi on l'accuse, eft affez patient pour supporter ces tourmens, pourquoi ne le fera celui qui l'a faict, un fi beau guerdon que de la vie, lui estant propofé? Je pense que le fondement de cette invention vient de la confideration de l'effort de la conscience. Car au coupable il semble qu'elle aide à la torture pour lui faire confeffer fa faute, & qu'elle l'affoibliffe : & de l'autre part qu'elle fortifie l'innocent contre la torture. Pour dire vrai, c'est un moyen plein d'incertitude, & de danger. Que ne diroit-on,

g Etiam innocentes cogit mentiri dolor. que ne feroit-on pour fuir à fi griesves douleurs? d'où il advient, que celui que le Juge a gehenné pour ne le faire mourir

g. La douleur force à mentir ceux même qui fone innocens. Ex Mimis Publianis,

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innocont, il le faffe mourir & innocent, & gehenné. Mille & mille en ont chargé leur tefte de faulfes confeffions, entre lef quels je loge Philotas 10 confiderant les circonftances du procez qu'Alexandre lui fit, & le progrez de fa gehenne. Mais tant y a que c'eft ( dit-on) le moins mat que l'humaine foibleffe aye peu inventer : bien inhumainement pourtant, & bien inu tilement à mon advis.

Plufieurs nations moins barbares en ce la que la Grecque & la Romaine, qui les appellent ainsi, eftiment horrible & cruel de tourmenter & defrompre un homme, de la faute duquel vous estes encore en doubte. Que peut-il mais de vostre ignorance? Eftes-vous pas injuftes, qui pour ne le tuer fans occafion, lui faites pis que le tuer? Qui foit ainsi, voyez combien de fois il aime mieux mourir fans raison,

Au lieu de je loge, Montagne avoit mis dans l'édition de 1588, Je compte. C'étoit apparemment alors une expreffion hazardée, quoiqu'elle soit trèsufitée aujourd'hui.

10 Voyez Quinte- Curce, L. VI. ç. Z.

que de paffer par cette information plus penible que le fupplice, & qui souvent par fon afpreté devance le fupplice, & l'execute. Je ne fçai d'où je tiens 11 ce conte, mais 12 il rapporte exactement la confcience de noftre Juftice. Une femme de village accufoit devant 13 le General d'armée, grand Jufticier, un foldat, pour avoir arraché à fes petits enfans ce peu de bouillie qui lui restoit à les fubftanter, cette armée ayant tout ravagé. De preuve il n'y en avoit point. Le General 14 après avoir fommé la

11 Il eft dans Froiffart, & c'est-là fans doute que Montagne l'avoit lu, quoiqu'il ne s'en fou-. vint plus, quand il compofa ce chapitre.

12 C'est-à-dire, il représente exactement la justice de notre procédé fur cet article-là.

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13 Bajazet I, que Froiffart nomme l'amorahaquin. Je viens d'apprendre de l'ingénieux'commentateur de Rabelais, Tom. 5. p. 217. que Ba jazet fut ainfi nommé, parce qu'il étoit fils d'Amurat, ce que je remarque en faveur de ceux qui pourroient l'ignorer comme je faifois avant que d'avoir jetté les yeux fur cette page de Rabelais imprimé à Amfterdam, chez Henri Desbordes, en 1711.

14 Tout ceci eft raconté au long, & bien attesté

femme, de regarder bien à ce qu'elle difoit, d'autant qu'elle feroit coupable de fon accufation, fi elle mentoit: & elle perfiftant, il fit ouvrir le ventre au foldat, pour s'efclaircir de la verité du fait : & la femme fe trouva 15 avoir raison. Condamnation inftructive.

CHAPITRE VI.

De l'exercitation.

IL eft malaisé que le discours & l'inf

truction, encore que noftre creance s'y applique volontiers, foyent affez puiffantes pour nous acheminer jufques à l'action, fi outre cela nous n'exerçons & formons noftre ame par experience au

dans l'hiftoire de Meffire Jehan Froiffart, Vol IV. c. 87.

15 Si elle eût été convaincue d'avoir accufé faux, se Général fe feroit trouvé dans le cas d'un Juge qui a fait pendre un homme, à qui la torture a extorqué la confession d'un crime dont il paroît enfuite abfolument innocent.

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train, auquel nous la voulons ranger = autrement quand elle fera au propre des effects, elle s'y trouvera fans doute empeschée. Voilà pourquoi parmi les Philofophes, ceux qui ont voulu atteindre à quelque plus grande excellence, ne fe font pas contentez d'attendre à couvert & en repos les rigueurs de la fortune, de peur qu'elle ne les furprinft inexperimentez & nouveaux au combat ; ains ils lui font allez au devant, & fe font jettez à efcient à la preuve des difficultez. Les uns en ont abandonné les richeffes, pour s'excufer à une pauvreté volontaire : les autres ont recherché le labeur, & une aufterité de vie penible, pour fe durcir au mal & au travail ; d'autres fe font privez des parties du corps les plus cheres, comme de la veue & des membres propres à la generation, de peur que leur fervice trop plaifant & trop mol, ne relachaft & n'attendrift la fermeté de de leur ame.

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Mais à mourir, qui est la plus grande

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