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mais de celles - mefmes que la fortune m'euft faict pafer par les mains. Et fais confcience fi mes yeux defrobent par mefgarde, quelque cognoiffance des lettres d'importance qu'il lit, quand je fuis à cofté d'un Grand. Jamais homme ne s'enquit moins, & ne fureta moins ès affaires d'autrui.

Du temps de nos peres, Monfieur de Boutieres cuida perdre Turin, pour eftant en bonne compagnie à souper, 4 avoir remis à lire un advertiffement qu'on lui donnoit des trahifons qui fe dreffoient contre cette ville, où il commandoit. Et ce mefme Plutarque m'a appris 5 que Julius Cefar fe fuft fauvé, fi allant au Senat, le jour qu'il y fut tué par les conjurez, il euft leu un memoire qu'on lui prefenta. Et fait auffi le conte d'Archias Tyran de Thebes, 6 que le foir avant l'execution

4 Mémoire de Guillaume du Bellay, L. IX, fol. 451, 452.

s Dans la Vie de Julius Cefar, ch. 17. 6 Dans fon Traité, de l'Esprit familier de Sa crates, ch. 27.

de l'entreprinse que Pelopidas avoit faicte de le tuer, pcur remettre fon païs en liberté, il lui fuft efcrit par un autre Archias Athenien de poinct en poinct, ce qu'on lui preparoit : & que ce pacquet lui: ayant efté rendu pendant fon foupper, il remit à l'ouvrir, difant ce mot, qui depuis paffa en proverbe en Grece: A demain les affaires. Un fage homme peut à mon opinion pour l'intereft d'autrui, com me pout ne rompre indecemment compagnie ainsi que Rufticus, ou pour ne difcontinuer un'autre affaire d'importance, remettre à entendre ce qu'on lui apporte de nouveau: mais pour fon intereft ou plaifir particulier, mefme s'il eft homme ayant charge publique, pour ne rompre fon diner, voire ni fon fommeil, il eft inexcufable de le faire.

Et anciennement eftoit à Rome la place Confulaire, qu'ils appelloient, la plus honorable à table, pour eftre 7 plus à deli

7 Plus dégagée de tout embarras. Nous fommes,

vre, & plus accessible à ceux qui surviendroient, pour entretenir celui qui y seroit affis: Telmoignage que, pour eftre à table, ils ne fe departoient pas de l'en-, treprise d'autres affaires & furvenances. Mais quand tout eft dict, il eft malaisé ès actions humaines, de donner reigle fi jufte par difcours de raison, que la fortunę n'y maintienne son droićt.

CHAPITRE V.

De la Confcience.

VOYAGEANT un jour, mon frere

Sieur de la Bouffe & moi durant nos Guerres civiles, nous rencontrafmes un Gentil-homme de bonne façon : il eftoit du parti contraire au noftre, mais je n'en fçavois rien, car il fe contrefaifoit autre: Et le pis de ces guerres, c'eft, que les cartes font fi meflées, voftre ennemi n'ef

dit Nicot, detant plus à délivre que, &c. Hoc libe rtores & folutiores fumus, quòd, &c.

tant distingué d'avec vous d'aucune marque apparente, ni de langage, ni de port, nourri en mefme Loix, mœurs & mefme air, qu'il eft mal-aifé d'y éviter confufion & defordre. Cela me faifoit craindre à moi-mesine de rencontrer nos troupes, en lieu où je ne fuffe cogneu, pour n'eftre en peine de dire mon nom, & de pis à l'adventure, comme il m'eftoit autrefois advenu: car en un tel mefcompte, je perdis & hommes & chevaux, & m'y tua l'on miferablement, entre autres, un Page Gentil-homme Italien, que je nourriffois foigneufement; & fut efteinte en lui une très-belle enfance, & pleine de grande efperance. Mais cettuy-cy en avoit une frayeur fi efperduë, & je le voyois fi moit à chaque rencontre à homme à cheval, & paffage de villes, qui tenoient pour le Roi, que je devinai enfin que c'eftoient alarmes que fa confcience Jui donnoit. Il fembloit à ce pauvre homme qu'aux travers de fon mafque & des croix de fa cafaque on iroit lire jufques

dans fon cœur, fes fecrettes intentions. Tant eft merveilleux l'effort de la confcience: Elle nous fait trahir, accufer, & combattre nous-mesmes & à faute de tefmoing eftranger, elle nous produit

contre nous,

neaux,

a Occultum quatiens animo tortore flagellnm.. Ce conte eft en la bouche des enfans: Beffus Poonien I reproché d'avoir de gayeté de cœur abbatu un nid de moi& les avoir tuez, difoit avoir eu raison, parceque ces oyfillons ne ceffoient de l'accufer fauffement du meurtre de fon pere. Ce parricide jufques lors avoit efté occulte & inconnu : mais les Furies vengereffes de la confcience, le firent mettre hors à celui-mefme qui en devoit porter la penitence.

Hefiode corrige 2 le dire de Platon,

a Nous tourmentant fecrétement, & nous fervant elle-même de bourreau. Juvenal. Sat. XIII. vf. 195.

1 Voyez le Traité de Plutarque, intitulé ; Pourquoi la Juftice divine differe quelquefois la punition des maléfices, ch. 8.%

2 Cette réflexion eft tirée du même Traité de

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