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Vos pareils y sont misérables,

Cancres, heres, et pauvres diables

Dont la condition est de mourir de faim.

Car, quoi! rien d'assuré! point de franche lipée !
Tout à la pointe de l'épée!

Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin,
Le loup reprit Que me faudra-t-il faire?
Presque rien, dit le chien: donner la chasse aux gens
Portant bâtons, et mendiants;

Flatter ceux du logis, à son maître complaire;
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs 3 de toutes les façons,
Os de poulets, os de pigeons;
Sans parler de mainte caresse, #

Le loup déja se forge une félicité

Qui le fait pleurer de tendresse.

Chemin faisant, il vit le cou du chien pelé:
Qu'est-ce là? lui dit-il. Rien. Quoi! rien ! Peu de chose,
Mais encor? Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché! dit le loup: vous ne courez donc pas

Où vous voulez? Pas toujours: mais qu'importe? Il importe si bien, que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte,

Et ne voudrois pas même à ce prix un trésor.
Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encor.

(1) Malingres, décharnés. (2) Repas qui ne coûte rien à des impudents qui vont y

prendre part sans avoir été in-
vités.

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(3) Les restes d'un repas.

VI. La Génisse, la Chevre et la Brebis, en société avec le Lion.

LA

A génisse, la chevre, et leur sœur la brebis,
Avec un fier lion, seigneur du voisinage,
Firent société, dit-on, au temps jadis,

Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs de la chevre un cerf se trouva pris.
Vers ses associés aussitôt elle envoie.

Eux venus, le lion par ses ongles compta;
Et dit: Nous sommes quatre à partager la proie.
Puis en autant de parts le cerf il dépeça;
Prit pour lui la premiere en qualité de sire':
Elle doit être à moi, dit-il; et la raison,

C'est que je m'appelle lion:

(1) Seigneur ou roi, le lion étant réputé roi des animaux, comme l'aigle celui des oiseaux.

A cela l'on n'a rien à dire.

La seconde, par droit, me doit échoir encor:
Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant, je prétends la troisieme.
Si quelqu'une de vous touche à la quatrieme,
Je l'étranglerai tout d'abord.

VII. La Besace,

JUPITER
UPITER dit un jour : Que tout ce qui respire
S'en vienne comparoître aux pieds de ma grandeur:
Si dans son composé quelqu'un trouve à redire,
Il peut le déclarer sans peur;

Je mettrai remede à la chose.

Venez, singe, parlez le premier, et pour cause:
Voyez ces animaux; faites comparaison

De leurs beautés avec les vôtres.

Êtes-vous satisfait? Moi! dit-il, pourquoi non?
N'ai-je pas quatre pieds aussi-bien que les autres?
Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché :
Mais pour mon frere l'ours, on ne l'a qu'ébauché1;
Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre.
L'ours venant là-dessus, on crut qu'il s'alloit plaindre.
(1) Vu son extrême laideur.

Tant s'en faut: de sa forme il se loua très fort,
Glosa sur l'éléphant, dit qu'on pourroit encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;

Que c'étoit une masse informe et sans beauté.
L'éléphant étant écouté,

Tout sage qu'il étoit, dit des choses pareilles:
Il jugea qu'à son appétit

Dame baleine étoit trop grosse.

Dame fourmi trouva le ciron trop petit,
Se croyant, pour elle, un colosse.

Jupin les renvoya, s'étant censurés tous,
Du reste, contents d'eux. Mais parmi les plus fous
Notre espece excella; car tout ce que nous sommes
Lynx3 envers nos pareils, et taupes envers nous,

4

Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres

hommes:

On se voit d'un autre ceil qu'on ne voit son prochain. Le fabricateur souverain

Nous créa besaciers tous de même maniere, Tant ceux du temps passé que du temps d'aujour d'hui.

'Il fit pour nos défauts la poche de derriere,

Et celle de devant pour les défauts d'autrui.

(2) Très petit animal, qu'on ne peut voir que par le moyen d'un microscope.

(3) Animál aux yeux très

perçants.

(4) On croit communé. ment que les taupes n'ont

point d'yeux.

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