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A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie;

Et, pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le renard s'en saisit, et dit: Mon bon monsieur,
Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l'écoute:
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.
Le corbeau, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendroit plus.

en son espece dans le temps
qu'on dit qu'il a paru, et si
rare (**) qu'il n'est pas trop
sûr qu'il ait jamais existé.
Mais
que cet oiseau soit une
pure fiction dont les Grecs
ont osé frelater leur histoire,
la beauté merveilleuse qu'ils
lui ont attribuée, enrichie par
les descriptions des poëtes et
par le pinceau des peintres,
a été si fort autorisée dans le
monde, que le mot de phénix
est entré dans notre langue
pour signifier des choses et
des personnes d'une excel-
ence extraordinaire. C'est

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nix de la poésie chantante; que Boileau parlant d'un son net parfait, nous dit,

Que cet heureux phénix est encore à trouver;

et qu'ici le renard voyant le corbeau, qui, perché sur un arbre, tenoit en son bec un fromage, s'avise, pour l'étour dir et lui faire oublier son fromage, de lui dire que s'il a la voix aussi charmante que le plumage, il est le phénix des hôtes de ces bois éloge flatteur, qui ne manqua pas de produire l'effet qu'en attendoit le renard.

:

(**) Nonnulli falsum hunc phoenicem credidere, nihilque usurpa isse ex his quæ vetus memoria firmavit. (Tacit. An. 1. VI, p. 204.)

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III. La Grenouille qui se veut faire aussi

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grosse que le Bœuf.

N E grenouille vit un boeuf

Qui lui sembla de belle taille.

Elle, qui n'étoit pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,
Pour égaler l'animal en grosseur;

Disant: Regardez bien, ma sœur,

Est-ce assez? dites-moi, n'y suis-je point encore?
Nenni. M'y voici donc? Point du tout. M'y voilà?
Vous n'en approchez point. La chétive pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages:
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs;
Tout petit prince a des ambassadeurs;
Tout marquis veut avoir des pages.

IV. Les deux Mulets.

DEUX mulets cheminoient, l'un d'aveine chargé,
L'autre portant l'argent de la gabelle.
Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.
Il marchoit d'un pas relevé,

Et faisoit sonner sa sonnette:
Quand l'ennemi se présentant,
Comme il en vouloit à l'argent,
Sur le mulet du fisc une troupe se jette,
Le saisit au frein, et l'arrête.

Le mulet, en se défendant,

Se sent percer de coups: il gémit, il soupire.
Est-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avoit promis?
Ce mulet qui me suit du danger se retire;
Et moi, j'y tombe, et je péris!

Ami, lui dit son camarade,

Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi: Si tu n'avois servi qu'un meûnier, comme moi, Tu ne serois pas si malade.

UN

V. Le Loup et le Chien.

N loup n'avoit que les os et la peau,

Tant les chiens faisoient bonne garde:

Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau, Gras, poli, qui s'étoit fourvoyé par mégarde. L'attaquer, le mettre en quartiers,

Sire loup l'eût fait volontiers:

Mais il falloit livrer bataille;
Et le mâtin étoit de taille

A se défendre hardiment.

Le loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint qu'il admire.
Il ne tiendra qu'à vous, beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le chien.
Quittez les bois, vous ferez bien:

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