Page images
PDF
EPUB

XVIII. L'Aigle et le Hibou.

L'AIGLE et le chat-huant leurs querelles cesse-
Et firent tant qu'ils s'embrasserent. (rent,

L'un jura foi de roi, l'autre foi de hibou,
Qu'ils ne se goberoient leurs petits peu ni prou.
Connoissez-vous les miens? dit l'oiseau de Minerve.
Non, dit l'aigle. Tant pis, reprit le triste oiseau.
Je crains en ce cas pour leur peau :

C'est hasard si je les conserve.

Comme vous êtes roi, vous ne considérez

Qui ni quoi: rois et dieux mettent, quoi qu'on leur Tout en même catégorie '.

(die,

Adieu mes nourrissons si vous les rencontrez. Peignez-les moi, dit l'aigle, ou bien me les monJe n'y toucherai de ma vie.

(trez;

(1) Au même rang, sans faire la moindre distinction.

Le hibou repartit: Mes petits sont mignons,
Beaux, bien faits, et jolis sur tous leurs compagnons:
Vous les reconnoîtrez sans peine à cette marque.
N'allez pas l'oublier: retenez-la si bien
Que chez moi la maudite parque

N'entre point par votre moyen.
Il avint qu'au hibou Dieu donna géniture.
De façon qu'un beau soir qu'il étoit en pâture,
Notre aigle apperçut, d'aventure,

Dans les coins d'une roche dure,
Ou dans les trous d'une masure,
(Je ne sais pas lequel des deux)
De petits monstres fort hideux,

Rechignés, un air triste, une voix de Mégere.
Ces enfants ne sont pas, dit l'aigle, à notre ami:
Croquons-les. Le galant n'en fit pas à demi:
Ses repas ne sont point repas à la légere.
Le hibou, de retour, ne trouve que les pieds
De ses chers nourrissons, hélas! pour toute chose.
Il se plaint; et les dieux sont par lui suppliés
De punir le brigand qui de son deuil est cause.
Quelqu'un lui dit alors: N'en accuse que toi,
Ou plutôt la commune loi

Qui veut qu'on trouve son semblable
Beau, bien fait, et sur tous aimable.
Tu fis de tes enfants à l'aigle ce portrait:
En avoient-ils le moindre trait?

[graphic]

E

XIX. Le Lion s'en allant en guerre.

Le lion dans sa tête avoit une entreprise:
Il tint conseil de guerre, envoya ses prévôts,
Fit avertir les animaux.

Tous furent du dessein, chacun selon sa guise:
L'éléphant devoit sur son dos
Porter l'attirail nécessaire,

Et combattre à son ordinaire;
L'ours s'apprêter pour les assauts;

Le renard ménager de secretes pratiques;
Et le singe amuser l'ennemi par ses tours,
Renvoyez, dit quelqu'un, les ânes, qui sont lourds,
Et les lievres, sujets à des terreurs paniques.
Point du tout, dit le roi, je les veux employer:
Notre troupe sans eux ne seroit pas complete.

L'âne effraiera les gens, nous servant de trompette; Et le lievre pourra nous servir de courier.

Le monarque prudent et sage

De ses moindres sujets sait tirer quelque usage, Et connoît les divers talents.

Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens,

[graphic][merged small]

DE

EUX compagnons, pressés d'argent,

A leur voisin fourreur vendirent

La

peau d'un ours encor vivant, (dirent.

Mais qu'ils tueroient bientôt, du moins à ce qu'ils C'étoit le roi des ours: au compte

de ces gens, Le marchand à sa peau devoit faire fortune; Elle garantiroit des froids les plus cuisants; On en pourroit fourrer plutôt deux robes qu'une. Dindenaut' prisoit moins ses moutons, qu'eux leur

ours;

Leur, à leur compte, et non à celui de la bête. S'offrant de la livrer au plus tard dans deux jours,

(1) Marchand de moutons, nommé Dindenaut, sévèrement puni pour avoir insulté Panurge, et mis à trop haut

prix sa marchandise, comme Rabelais le raconte plaisamment à sa maniere. Voy. Pantagruel, 1. IX, c. 6, 7 et 8.

« PreviousContinue »