Page images
PDF
EPUB

XIII. Le Cheval s'étant voulu venger du Cerf.

De tout temps les chevaux ne sont nés pour les

hommes.

Lorsque le genre humain de glands se contentoit,
Ane, cheval, et mule, aux forêts habitoit:
Et l'on ne voyoit point, comme au siecle où nous
Tant de selles et tant de bâts,

(sommes,

Tant de harnois pour les combats,
Tant de chaises, tant de carrosses;
Comme aussi ne voyoit-on pas
Tant de festins et tant de noces.
Or un cheval eut alors différend

Avec un cerf plein de vitesse;
Et ne pouvant l'attraper en courant,

Il eut recours à l'homme, implora son adresse.
L'homme lui mit un frein, lui sauta sur le dos,

Ne lui donna point de repos.

Que le cerf ne fût pris, et n'y laissât la vie.

Et cela fait, le cheval remercie

L'homme son bienfaiteur, disant: Je suis à vous:
Adieu ; je m'en retourne en mon séjour sauvage.
Non pas cela, dit l'homme; il fait meilleur chez
Je vois trop quel est votre usage.. (nous
Demeurez donc, vous serez bien traité,
Et jusqu'au ventre en la litiere..

Hélas! que sert la bonne chere,
Quand on n'a pas la liberté !

Le cheval s'apperçut qu'il avoit fait folie :
Mais il n'étoit plus temps; déja son écurie
Étoit prête et toute bâtie.

[ocr errors]

y mourut en traînant son lien : Sage s'il eût remis une légere offense.

Quel que soit le plaisir que cause la vengeance, C'est l'acheter trop cher, que l'acheter d'un bien Sans qui les autres ne sont rien.

(1) La liberté, préférable aux métaux les plus précieux, lit Horace en appliquant la fable du cheval à toute personne qui, pour vivre plus commodément, devient esclave d'un grand, qui, l'ayant admise chez lui et à sa table, la rend insensiblement le jouet de ses humeurs et de ses plus bizarres fantaisies. Pour La Fontaine, comme il n'a pas trouvé à propos de sortir ouvertement de son sujet,

ne pouvoit peindre la liber

té qu'en termes généraux; ce qu'il a fait d'une maniere fort délicate, mais peut-être moins propre à toucher et instruire tous ses lecteurs, que l'idée qu'en donne Horace: d'où je ne vois pourtant pas qu'on puisse rien conclure en faveur d'Horace au désavanta

ge

de La Fontaine, qui n'auroit pu s'écarter ici de son sujet comme a fait Horace, sans nous faire perdre une sage instruction, directement fondée sur cette fable.

[graphic][merged small]

(tre;

Les-grands, pour la plupart, sont masques de théâ-
Leur apparence impose au vulgaire idolâtre.
L'âne n'en sait juger que par ce qu'il en voit:
Le renard, au contraire, à fond les examine,
Les tourne de tous sens; et, quand il s'apperçoit
Que leur fait n'est que bonne mine,

Il leur applique un mot qu'un buste de héros '
Lui fit dire fort à propos.

1

C'étoit an buste creux, et plus grand que nature. Le renard, en louant l'effort de la sculpture: << Belle tête! dit-il, mais de cervelle point. ».

Combien de grands seigneurs sont bustes en ce point! (1) Figure d'une personne à demi-corps, en plein relief.

XV. Le Loup, la Chevre, et le Chevreau. LA bique allant remplir sa traînante mamelle, Et paître l'herbe nouvelle, Ferma sa porte au loquet, Non sans dire à son biquet: Gardez-vous, sur votre vie, D'ouvrir, que l'on ne vous die, Pour enseigne et mot du guet, Foin du loup et de sa race. Comme, elle disoit ces mots Le loup, de fortune, passe: Il les recueille à propos, Et les garde en sa mémoire. La bique, comme on peut croire,

N'avoit pas vu le glouton.

Dès qu'il la voit partie, il contrefait son ton,

Et, d'une voix papelarde',

Il demande qu'on ouvre, en disant, Foin du loup!
Et croyant entrer tout-d'un-coup.
Le biquet soupçonneux par la fente regarde:
Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point,
S'écria-t-il d'abord. Pátte blanche est un point
Chez les loups, comme on sait, rarement en usage.
Celui-ci, fort surpris d'entendre ce langage
Comme il étoit venu s'en retourna chez soi.
Où seroit le biquet, s'il eût ajouté foi
Au mot du guet, que, de fortune,
Notre loup avoit entendu?

Deux sûretés valent mieux qu'une;
Et le trop en cela ne fut jamais perdu.
(1) Douce et contrefaite

« PreviousContinue »