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un an avant la mort de La Fontaine; car ces pieces y ayant été introduites quelque temps après, sans la moindre formalité qui tendît à en autoriser l'introduction, l'on n'auroit pas dû les insérer parmi les fables de La Fontaine, supposé même qu'elles eussent été aussi dignes de leur être associées, qu'elles en sont visiblement indignes, comme il seroit aisé de le prouver, si c'en étoit ici le lieu.

A Paris, le 10 janvier 1746.

COSTE.

APPROBATION.

J'ai lu, par ordre de monseigneur le chantelier, les fables choisies, mises en vers par M. de La Fontaine, avec un commentaire par. M. Coste. Je n'y ai rien trouvé qui ne soutienne parfaitement la réputation que M. Coste, ce célebre écrivain, s'est acquise dans la république des lettres, par ses savantes traductions, et par les judicieuses remarques dont il les a accompagnées. A Paris, ce 2 octobre 1742.

DANCHET.

L'INDULGENCE que l'on a eue pour quelques unes de mes fables me donne lieu d'espérer la même grace pour ce recueil. Ce n'est pas qu'un des maîtres de notre éloquence 1 n'ait désapprouvé le dessein de les mettre en vers. Il a cru que leur prin cipal ornement est de n'en avoir aucun; que d'ailleurs la contrainte de la poésie, jointe à la sévérité de notre langue, m'embarrasseroit en beaucoup d'endroits, et banniroit de la plupart de ces récits la briéveté, qu'on peut fort bien appeller l'ame du conte, puisque sans elle il faut nécessairement qu'il languisse. Cette opinion ne sauroit partir que d'un homme d'excellent goût : je demanderois seulement qu'il en relâchât quelque peu, et qu'il crût que les graces lacédémoniennes ne sont pas tellement ennemies des muses françoises, que l'on ne puisse souvent les faire marcher de compagnie.

Après tout, je n'ai entrepris la chose que sur l'exemple, je ne veux pas dire des anciens, qui ne tire point à conséquence pour moi, mais sur celui des modernes. C'est de tout temps, et chez tous les peuples qui font profession de poésie, que le Parnasse a jugé ceci de son apanage. A peine les fables qu'on attribue à Ésope virent le jour, que Socrate trouva à propos de les habiller des livrées des muses. Ce que Platon en rapporte est si agréable, que je ne puis m'empêcher d'en faire un des orne

(1) PATRU, célebre avocat au parlement de Paris, et membre de l'académie françoise.

ments de cette préface. Il dit que Socrate étant con damné au dernier supplice, l'on remit l'exécution de l'arrêt à cause de certaines fêtes. Cébès l'alla voir

le jour de sa mort. Socrate lui dit que les dieux l'avoient averti plusieurs fois pendant son sommeil, qu'il devoit s'appliquer à la musique avant qu'il mourût. Il n'avoit pas entendu d'abord ce que ce songe signifioit: car comme la musique ne rend pas l'homme meilleur, à quoi bon s'y attacher? Il falloit qu'il y eût du mystere là-dessous, d'autant plus que les dieux ne se lassoient point de lui envoyer la même inspiration. Elle lui étoit encore venue une de ces fêtes; si bien qu'en songeant aux choses que le ciel pouvoit exiger de lui, il s'étoit avisé que la musique et la poésie ont tant de rapport, que possi ble étoit-ce de la derniere qu'il s'agissoit. Il n'y a point de bonne poésie sans harmonie, mais il n'y en a point non plus sans fictions; et Socrate ne savoit que dire la vérité. Enfin il avoit trouvé un tem pérament. C'étoit de choisir des fables qui continssent quelque chose de véritable, telles que sont celles d'Esope. Il employa donc à les mettre en vers les derniers moments de sa vie.

Socrate n'est pas le seul qui ait considéré comme soeurs la poésie et nos fables. Phedre a témoigné qu'il étoit de ce sentiment; et par l'excellence de son ouvrage, nous pouvons juger de celui du prince des philosophes. Après Phedre, Aviénus a traité le même sujet, Enfin, les modernes les ont suivis. Nous en avons des exemples non seulement chez les étrangers, mais chez nous. Il est vrai que lors

que nos gens y ont travaillé, la langue étoit si différente de ce qu'elle est, qu'on ne les doit considérer que comme étrangers. Cela ne m'a point détourné de mon entreprise; au contraire, je me suis flatté de l'espérance que si je ne courois dans cette carriere avec succès, on me donneroit au moins la gloire de l'avoir ouverte.

Il arrivera possible que mon travail fera naître à d'autres personnes l'envie de porter la chose plus loin. Tant s'en faut que cette matiere soit épuisée, qu'il reste encore plus de fables à mettre en vers, que je n'en ai mis. J'ai choisi véritablement les meilleures,' c'est-à-dire celles qui m'ont semblé telles: mais outre que je puis m'être trompé dans mon choix, il ne sera pas bien difficile de donner un autre tour à celles-là même que j'ai choisies; et si ce tour est moins long, il sera sans doute plus approuvé. Quoi qu'il en arrive, on m'aura toujours obligation, soit que ma témérité ait été heureuse et que je ne me sois point trop écarté du chemin qu'il falloit tenir, soit que j'aie seulement excité les autres à mieux faire.

Je pense avoir justifié suffisamment mon dessein: quant à l'exécution, le public en sera juge. On nè trouvera pas ici l'élégance ni l'extrême briéveté qui rendent Phedre recommandable; ce sont qualités au-dessus de ma portée. Comme il m'étoit impossi ble de l'imiter en cela, j'ai cru qu'il falloit en récompense égayer l'ouvrage plus qu'il n'a fait. Non que je le blâme d'en être demeuré dans ces termes la langue latine n'en demandoit pas davantage; et,

si l'on y veut prendre garde, on reconnoîtra dans cet auteur le vrai caractere et le vrai génie de Térence. La simplicité est magnifique chez ces grands hommes: moi qui n'ai pas les perfections du langage comme ils les ont eues, je ne la puis élever à un si haut point. Il a donc fallu se récompenser d'ailleurs; c'est ce que j'ai fait avec d'autant plus de hardiesse, que Quintilien dit qu'on ne sauroit trop égayer les narrations. Il ne s'agit pas ici d'en apporter une raison: c'est assez que Quintilien l'ait dit. J'ai pourtant considéré que ces fables étant sues de tout le monde, je ne ferois rien si je ne les rendois nouvelles par quelques traits qui en relevassent le goût. C'est ce qu'on demande aujourd'hui : on veut de la nouveauté et de la gaieté. Je n'appelle pas gaieté ce qui excite le rire, mais un certain charme, un air agréable qu'on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux.

Mais ce n'est pas tant par la forme que j'ai donnée à cet ouvrage qu'on en doit mesurer le prix, que par son utilité et par sa matiere. Car qu'y a-t-il de recommandable dans les productions de l'esprit, qui ne se rencontre dans l'apologue? C'est quelque chose de si divin, que plusieurs personnages de l'antiquité ont attribué la plus grande partie de ces fables à Socrate, choisissant, pour leur servir de pere, celui des mortels qui avoit le plus de communication avec les dieux. Je ne sais comme ils n'ont point fait descendre du ciel ces mêmes fables, et comme ils ne leur ont point assigné un dieu qui en eût la direction, ainsi qu'à la poésie et à l'éloquence. Ce que

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