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un peu plus à une même chose; mais il est égal, soutenu, toujours le même partout, soit pour le dessein et la conduite de ses pièces, qui sont justes, régulières, prises dans le bon sens et dans la nature, soit pour versification', qui est correcte, riche dans ses rimes, élégante, nombreuse, harmonieuse exact imitateur des anciens, dont il a suivi scrupuleusement la netteté et la simplicité de l'action; à qui le grand et le merveilleux n'ont pas même manqué, ainsi qu'à Corneille ni le touchant ni le pathétique. Quelle plus grande tendresse que celle qui est répandue dans tout le Cid, dans Polyeucte et dans les Horaces 2? Quelle grandeur ne se remarque point en Mithridate, en Porus et en Burrhus 3? Ces passions encore favorites des anciens, que les tragiques aimoient à exciter sur les théâtres, et qu'on nomme la terreur et la pitié, ont été connues de ces deux poëtes. Oreste, dans l'Andromaque de Racine, et Phèdre du même auteur, comme l'OEdipe et les Horaces *

1. VAR. (édit. 1-3): soit pour sa versification.

2. Le vrai titre de la pièce est Horace, au singulier; mais Corneille lui-même a employé le pluriel, les Horaces, dans l'avis au Lecteur de sa Sophonisbe (1663). Voyez le Corneille de Marty-Laveaux, tome VI, 464, note 1.

P.

3. Porus, dans l'Alexandre de Racine; Burrhus, dans son Britannicus. 4. « C'est une chose étrange, a écrit Voltaire, que le difficile et concis la Bruyère, dans son parallèle de Corneille et de Racine, ait dit les Horaces et OEdipe; mais il dit aussi Phèdre et Pénélope (il faut lire: Bérénice et Pénélope; voyez ci-dessus, p. 46) : voilà comme l'or et le plomb sont confondus souvent. » (Remarques sur OEdipe, pièces préliminaires.) La Bruyère cite la tragédie d'OEdipe comme l'une des plus pathétiques de Corneille, et non comme l'une de ses meilleures ; mais elle avait obtenu le plus grand succès auprès du public, et les contemporains la plaçaient parmi les chefs-d'œuvre de l'art dramatique (voyez au tome VI, p. 126 et 129, du Corneille de MartyLaveaux l'avis au Lecteur et l'Examen en tête d'OEdipe, la Gazette de France du 15 février 1659, la Muse historique, de Loret, des 25 janvier et 8 février 1659, Saint-Évremond, OEuvres, tome IV, p. 31, etc.).

de Corneille, en sont la preuve. Si cependant il est permis de faire entre eux quelque comparaison, et les marquer l'un et l'autre par ce qu'ils ont eu de plus propre et par ce qui éclate le plus ordinairement dans leurs ouvrages, peut-être qu'on pourroit parler ainsi : « Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées, Racine se conforme aux nôtres1; celui-là peint les hommes comme ils devroient être, celui-ci les peint tels qu'ils sont. Il y a plus dans le premier de ce que l'on admire, et de ce que l'on doit même imiter; il y a plus dans le second. de ce que l'on reconnoit dans les autres, ou de ce que l'on éprouve dans soi-même. L'un élève, étonne, maîtrise, instruit; l'autre plaît, remue, touche, pénètre. Ce qu'il y a de plus beau, de plus noble et de plus impérieux dans la raison, est manié par le premier; et par l'autre, ce qu'il y a de plus flatteur et de plus délicat dans la passion. Ce sont dans celui-là des maximes, des règles, des préceptes; et dans celui-ci, du goût et des sentiments. L'on est plus occupé aux pièces de Corneille; l'on est plus ébranlé et plus attendri à celles de Racine. Corneille est plus moral, Racine plus naturel. Il semble que l'un imite SOPHOCLE, et que l'autre doit plus à EURIPIDE. >>

Au surplus, quels que fussent, au moment où il écrivait ce parallèle (1687), les sentiments de la Bruyère sur OEdipe, nous le verrons protester dans son Discours à l'Académie françoise (1693) contre l'enthousiasme que cette pièce avait tout d'abord excité.

1. Var. (édit. 1-3): Racine descend jusques aux nôtres.

2. Le même rapprochement avait déjà été fait, en 1686, dans le Parallèle de M. Corneille et de M. Racine, composé par Longepierre à la demande d'Adrien Baillet. « Et pour les comparer aux plus grands hommes que l'antiquité ait produits en ce genre d'écrire pour la tragédie, écrivait Longepierre dans le dernier paragraphe de son Parallèle, disons que M. Corneille approche davantage de Sophocle, et que M. Racine ressemble plus à Euripide. » (Jugements des savants, par Adrien Baillet, tome V, p 438). — Voyez, ci-après, l'Appendice, page 338.

Le peuple appelle éloquence la facilité que quelques- 55. uns ont de parler seuls et longtemps, jointe à l'emportement du geste, à l'éclat de la voix, et à la force des poumons. Les pédants ne l'admettent aussi que dans le discours oratoire, et ne la distinguent pas de l'entassesement des figures, de l'usage des grands mots, et de la rondeur des périodes.

Il semble que la logique est l'art de convaincre de quelque vérité; et l'éloquence un don de l'âme, lequel nous rend maîtres du cœur et de l'esprit des autres; qui fait que nous leur inspirons ou que nous leur persuadons tout ce qui nous plaît1.

L'éloquence peut se trouver dans les entretiens et dans tout genre d'écrire. Elle est rarement où on la cherche, et elle est quelquefois où on ne la cherche point.

L'éloquence est au sublime ce que le tout est à sa partie. (ÉD. 4.)

Qu'est-ce que le sublime? Il ne paroît pas qu'on l'ait défini 2. Est-ce une figure? Naît-il des figures, ou du

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I. <«< Neque vero mihi quidquam.... præstabilius videtur quam posse dicendo tenere hominum cœtus, mentes allicere, voluntates << impellere quo velit, unde autem velit deducere. » (Cicéron, de Oratore, livre I, chapitre VIII.)

2. Boileau avait publié en 1674 le Traité du sublime ou du merveilleux dans le discours, traduit du grec de Longin. La critique de la Bruyère s'adressait à la fois sans doute à l'auteur du traité et à son interprète, qui, dans la préface de sa traduction, avait plutôt décrit que défini le sublime. Boileau ne fit aucune allusion à cette remarque dans ce qu'il ajouta en 1701 à sa préface, ni dans les Réflexions critiques sur quelques passages du rhéteur Longin, qu'il y joignit en 1713. « Il faut savoir, avait dit Boileau, que par sublime Longin n'entend pas ce que les orateurs appellent le style sublime, mais cet extraordinaire et ce merveilleux qui frappe dans le discours, et qui fait qu'un ouvrage enlève, ravit, transporte. Le style sublime veut toujours de grands mots; mais le sublime se peut trouver dans une seule pensée, dans une seule figure, dans un seul tour de paroles........ Il faut entendre par sublime, dans Longin, l'extraordinaire, le sur

moins de quelques figures'? Tout genre d'écrire reçoit-il le sublime, ou s'il n'y a que les grands sujets qui en soient capables? Peut-il briller autre chose dans l'églogue qu'un beau naturel, et dans les lettres familières comme dans les conversations qu'une grande délicatesse ? ou plutôt le naturel et le délicat ne sont-ils pas le sublime des ouvrages dont ils font la perfection? Qu'est-ce que le sublime ? Où entre le sublime? (Éd. 4.)

Les synonymes sont plusieurs dictions ou plusieurs phrases différentes, qui signifient une même chose. L'antithèse est une opposition de deux vérités qui se donnent du jour l'une à l'autre3. La métaphore ou la comparai

- « ....

prenant, et, comme je l'ai traduit, le merveilleux dans le discours. >> Je ne m'arrêterai point, dit Longin, traduit par Boileau, sur beaucoup de choses qu'il m'eût fallu établir avant que d'entrer en matière, pour montrer que le sublime est en effet ce qui forme l'excellence et la souveraine perfection du discours.... » (Chapitre 1.) — « La marque infaillible du sublime, c'est quand nous sentons qu'un discours nous laisse beaucoup à penser ; qu'il fait d'abord un effet sur nous auquel il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de résister; et qu'ensuite le souvenir nous en dure et ne s'efface qu'avec peine. En un mot, figurez-vous qu'une chose est véritablement sublime quand vous voyez qu'elle plaît universellement et dans toutes ses parties. » (Chapitre v.) — Voyez encore ci-dessus, p. 38', note 1.

1. « Il y a, pour ainsi dire, cinq sources principales du sublime.... La troisième n'est autre chose que les figures tournées d'une certaine manière.» (Longin, Traité du sublime, traduction de Boileau, chapitre vi.) - « Il faut maintenant parler des figures,... car, comme j'ai dit, elles ne font pas une des moindres parties du sublime lorsqu'on leur donne le tour qu'elles doivent avoir. Mais ce seroit un ouvrage de trop longue haleine, pour ne pas dire infini, si nous voulions faire ici une exacte recherche de toutes les figures qui peuvent avoir place dans le discours. C'est pourquoi nous nous contenterons d'en parcourir quelques-unes des principales, je veux dire celles qui contribuent le plus au sublime, seulement afin de faire voir que nous n'avançons rien que de vrai........ » (Ibidem, chapitre xiv.)

2. VAR. (édit. 4-6): ou plutôt le naïf et le délicat.

3. « Ceux qui font les antithèses en forçant les mots sont comme

son emprunte d'une chose étrangère une image sensible et naturelle d'une vérité. L'hyperbole exprime au delà de la vérité pour ramener l'esprit à la mieux connoître. Le sublime ne peint que la vérité, mais en un sujet noble; il la peint toute entière, dans sa cause et dans son effet; il est l'expression ou l'image la plus digne de cette vérité. Les esprits médiocres ne trouvent point l'unique expression, et usent de synonymes. Les jeunes gens sont éblouis de l'éclat de l'antithèse, et s'en servent. Les esprits justes, et qui aiment à faire des images qui soient précises, donnent naturellement dans la comparaison et la métaphore. Les esprits vifs, pleins de feu, et qu'une vaste imagination emporte hors des règles et de la justesse, ne peuvent s'assouvir de l'hyperbole. Pour le sublime, il n'y a, même entre les grands génies 1, que les plus élevés qui en soient capables2. (ÉD. 4.)

Tout écrivain, pour écrire nettement, doit se mettre 56. à la place de ses lecteurs, examiner son propre ouvrage comme quelque chose qui lui est nouveau, qu'il lit pour la première fois, où il n'a nulle part, et que l'auteur auroit soumis à sa critique; et se persuader ensuite qu'on n'est pas entendu seulement à cause que l'on s'entend soi-même, mais parce qu'on est en effet intelligible. (ÉD. 7.)

L'on n'écrit que pour être entendu; mais il faut du 57.

ceux qui font de fausses fenêtres pour la symétrie. » (Pascal, Pensées, p. 110, édition Havet.)

1. VAR. (édit. 6): même entre les plus grands génies.

2. « Il n'y a vraisemblablement que ceux qui ont de hautes et de solides pensées qui puissent faire des discours élevés; et c'est particulièrement aux grands hommes qu'il échappe de dire des choses extraordinaires. » (Longin, Traité du sublime, chapitre VII.)

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