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pas une autre règle pour juger l'ouvrage1; il est bon, et fait de main d'ouvrier. (ÉD. 8.)

Capys, qui s'érige en juge du beau style et qui croit écrire comme ВOUHOURS et RABUTIN résiste à la voix du peuple, et dit tout seul que Damis n'est pas un bon auteur. Damis cède à la multitude, et dit ingénument avec le public que Capys est froid écrivain*. (ÉD. 4.)

Le devoir du nouvelliste est de dire: « Il y a un tel livre qui court, et qui est imprimé chez Cramoisy en tel caractère, il est bien relié et en beau papier, il se vend tant; » il doit savoir jusques à l'enseigne du libraire qui le débite sa folie est d'en vouloir faire la critique'. (ED. 4.)

Le sublime du nouvelliste est le raisonnement creux sur la politique. (ÉD. 4).

1. « Tout ce qui est véritablement sublime a cela de propre, quand on l'écoute, qu'il élève l'âme. » (Longin, Traité du sublime, chapitre v, traduction de Boileau.)

2. VAR. (édit. 4): et qui croit écrire comme Bussi. C'est dans la 5e édition (1690) que la Bruyère ajouta le nom du P. Bouhours à celui de Bussy Rabutin; en 1689 avaient paru les Pensées ingénieuses des anciens et des modernes, dans lesquelles le P. Bouhours citait souvent les Caractères avec éloge.

3. VAR. (édit. 4): que Damis n'est pas un bon écrivain.

4. VAR. (édit. 4): que Capys est un froid auteur.

5. Nom d'une famille célèbre dans l'histoire de la librairie. Le seul de ses membres qui fût imprimeur à cette époque se nommait André Cramoisy. Une de ses tantes, veuve de Sébastien Mabre Cramoisy, dirigeait aussi une imprimerie, mais c'était l'imprimerie du Roi.

6. Les livres, même dans leur nouveauté, ne s'achetaient presque jamais que reliés au dix-septième siècle.

7. Il semble qu'ici le mot nouvelliste doive être appliqué aux rédacteurs des recueils mensuels du temps, particulièrement à ceux du Mercure galant; ci-après les nouvellistes seront les colporteurs de nouvelles qui s'assemblaient dans les jardins publics ou ailleurs.

Le nouvelliste se couche le soir tranquillement sur une nouvelle qui se corrompt la nuit, et qu'il est obligé d'abandonner le matin à son réveil. (Éd. 4.)

Le philosophe consume sa vie à observer les hommes, 34. et il use ses esprits à en démêler les vices et le ridicule; s'il donne quelque tour à ses pensées, c'est moins par une vanité d'auteur, que pour mettre une vérité qu'il a trouvée dans tout le jour nécessaire pour faire l'impression qui doit servir à son dessein. Quelques lecteurs croient néanmoins le payer avec usure, s'ils disent magistralement qu'ils ont lu son livre, et qu'il y a de l'esprit; mais il leur renvoie tous leurs éloges, qu'il n'a pas cherchés par son travail et par ses veilles. Il porte plus haut ses projets et agit pour une fin plus relevée: il demande des hommes un plus grand et un plus rare succès que les louanges, et même que les récompenses, qui est de les rendre meilleurs. (ÉD. 4.)

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Les sots lisent un livre, et ne l'entendent point; 35. les esprits médiocres croient l'entendre parfaitement ; les grands esprits ne l'entendent quelquefois pas tout entier: ils trouvent obscur ce qui est obscur, comme ils trouvent clair ce qui est clair; les beaux esprits veulent trouver obscur ce qui ne l'est point, et ne pas entendre ce qui est fort intelligible. (ÉD. 4.)

Un auteur cherche vainement à se faire admirer 36. par son ouvrage. Les sots admirent quelquefois, mais ce sont des sots. Les personnes d'esprit ont en eux les semences de toutes les vérités et de tous les senti

1. VAR. (édit. 4): Quelques lecteurs néanmoins croient.

2. Dans toutes les éditions du dix-septième siècle, le participe cherché est sans accord.

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ments, rien ne leur est nouveau; ils admirent peu, ils approuvent. (Ed. 4.)

Je ne sais si l'on pourra jamais mettre dans des lettres plus d'esprit, plus de tour, plus d'agrément et plus de style que l'on voit dans celles de BALZAC et de VOITURE; elles sont vides de sentiments qui n'ont régné que depuis leur temps, et qui doivent aux femmes leur naisssance. Ce sexe va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire. Elles trouvent sous leur plume des tours et des expressions qui souvent en nous ne sont l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche; elles sont heureuses dans le choix des termes, qu'elles placent si juste, que tout connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveauté, et semblent être faits seulement pour l'usage où elles les mettent; il n'appartient qu'à elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre délicatement une pensée qui est délicate; elles ont un enchaînement de discours inimitable, qui se suit naturellement, et qui n'est lié que par le sens. Si les femmes étoient toujours correctes, j'oserois dire que les lettres de quelques-unes d'entre elles seroient peutêtre ce que nous avons dans notre langue de mieux écrit. (ÉD. 4.)

Il n'a manqué à TÉRENCE que d'être moins froid: quelle pureté, quelle exactitude, quelle politesse, quelle élégance, quels caractères ! Il n'a manqué à MOLIÈRE que d'éviter le jargon et le barbarisme, et d'écrire " pure

1. VAR. (édit. 4-6): que l'on n'en voit.

2. Vuides, ici et ailleurs, dans les éditions du dix-septième siècle.

3. VAR. (édit. 4 et 5: que tous connus qu'ils sont.

4. VAR. (édit. 4-7): elles ont surtout un enchaînement.

5. VAR. (édit. 4-8): que d'éviter le jargon et d'écrire, etc. Sur cette réflexion, voyez l'Appendice, p. 331.

ment: quel feu, quelle naïveté, quelle source de la bonne plaisanterie, quelle imitation des mœurs, quelles images, et quel fléau du ridicule ! Mais quel homme on auroit pu faire de ces deux comiques! (ÉD. 4.)

J'ai lu MALHERBE et THÉOPHILE'. Ils ont tous deux 39. connu la nature, avec cette différence que le premier, d'un style plein et uniforme, montre tout à la fois ce qu'elle a de plus beau et de plus noble, de plus naïf et de plus simple; il en fait la peinture ou l'histoire. L'autre, sans choix, sans exactitude, d'une plume libre et inégale, tantôt charge ses descriptions, s'appesantit sur les détails :

1. Théophile de Viau, né à Bouxières en 1590, mort à Paris en 1626. Il a composé des tragédies, des élégies, des odes, des sonnets, etc. Il est l'auteur de ces vers que Boileau devait rendre célèbres en les citant en 1701 dans la préface de ses OEuvres :

Ah! voici le poignard qui du sang de son maître
S'est souillé làchement ! Il en rougit, le traître !

Malherbe et Théophile ont vécu à la même époque de là cette com-
paraison qui a surpris les critiques. Boileau l'avait faite plus sommai-
rement dans sa neuvième satire (vers 173-175):

Tous les jours à la cour un sot de qualité
Peut juger de travers avec impunité,

A Malherbe, à Racan, préférer Théophile....

Théophile, au surplus, avait du talent, et plus d'un contemporain de Boileau parlait de ses ouvrages avec une certaine estime. L'Académie française l'avait placé en 1638 parmi les poëtes qu'elle devait consulter pour la préparation de son Dictionnaire: voyez Pellisson, Histoire de l'Académie françoise, tome I, p. 105, édition Livet. Il est superflu de nous étendre sur la plupart des écrivains qu'a nommés la Bruyère dans ses jugements littéraires, et il nous suffira, pour le plus grand nombre, de rappeler dès maintenant, suivant l'ordre chronologique, la date de leur naissance et celle de leur mort: Clément Marot a vécu de 1495 à 1544; Rabelais, de 1483 à 1553; Ronsard, de 1525 à 1585; Montaigne, de 1533 à 1592; Amyot, de 1513 à 1593; Malherbe, de 1555 à 1628; Voiture, de 1598 à 1648; Balzac, de 1594 à 1654; Racan, de 1589 à 1670; Molière, de 1622 à 1673; Corneille, de 1606 à 1684; Racine, de 1639 à 1699.

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il fait une anatomie; tantôt il feint, il exagère, il passe le vrai dans la nature : il en fait le roman. (ÉD. 5.)

RONSARD et BALZAC ont eu, chacun dans leur genre, assez de bon et de mauvais pour former après eux de très-grands hommes en vers et en prose. (ÉD. 5.)

MAROT, par son tour et par son style, semble avoir écrit depuis RONSARD: il n'y a guère, entre ce premier et nous, que la différence de quelques mots. (ÉD. 5.)

RONSARD et les auteurs ses contemporains ont plus nui au style qu'ils ne lui ont servi : ils l'ont retardé dans le chemin de la perfection; ils l'ont exposé à la manquer pour toujours et à n'y plus revenir. Il est étonnant que les ouvrages de MAROT, si naturels et si faciles, n'aient su faire de Ronsard, d'ailleurs plein de verve et d'enthousiasme, un plus grand poëte que Ronsard et que Marot; et, au contraire, que Belleau, Jodelle, et du Bartas', aient été sitôt suivis d'un RACAN et d'un Malherbe, et que notre langue, à peine corrompue, se soit vue réparée*. (ÉD. 5.)

1. VAR. (édit. 5-8): que Belleau, Jodelle et Saint-Gelais. - Remi Belleau (1528-1577), l'un des poëtes de la Pléiade, a traduit les odes d'Anacréon, les Phénomènes d'Aratus, l'Ecclésiaste, etc. Il est l'auteur d'une jolie pièce, Avril, qui est souvent citée. — Jodelle (1532-1573), poëte dramatique, a composé des tragédies imitées des tragédies grecques. Du Bartas (1544-1590), poëte sans goût qui exagéra le faste pédantesque de Ronsard, est l'auteur d'un poëme, jadis trèsadmiré, qui a pour titre : la Semaine ou les Sept jours de la création. C'est à la ge édition que le nom de du Bartas a pris la place de celui de Saint-Gelais. On avait sans doute fait remarquer à la Bruyère que Mellin de Saint-Gelais était de l'école de Marot, et non de celle de Ronsard. Il a vécu de 1491 à 1558.

2. C'est, à peu de chose près, le jugement de Boileau (Art poétique, I, vers 123 et suivants). « Ronsard, avait-il dit,

Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode,

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