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le secret de la Bruyère. Nul examen, nulle critique. A-t-on plusieurs clefs sous les yeux, on réunit dans sa copie les noms divers que donne chacune d'elles: rarement on choisit; plus rarement encore l'on substitue à une interprétation sans vraisemblance une interprétation meilleure.

Vers 1692 commença le déluge des clefs manuscrites. La réception de la Bruyère à l'Académie multiplia rapidement les copies des «< longues listes » dont il se plaint: des exemplaires de la 7° édition (1692) nous sont parvenus avec des annotations manuscrites, annotations que l'on répéta sur un plus grand nombre d'exemplaires encore des 8° et 9° éditions.

Peut-être quelques libraires, désireux de stimuler la curiosité du public, ont-il mis en vente des volumes annotés à la main. L'écriture des clefs marginales semble parfois en effet celle d'un copiste inexpérimenté, d'un jeune commis de librairie, par exemple. On pourrait encore en attribuer quelquesunes, sans trop de témérité, à des valets de chambre que leurs maîtres, suivant le conseil qu'en donne l'abbé Fleury1, auraient employés pendant les heures de loisir à faire des copies.

Nous nous servirons peu des clefs manuscrites qui se trouvent sur les marges des exemplaires: elles se reproduisent presque toujours exactement, et la plupart des variantes en sont dues à l'inintelligence des copistes. Quelques volumes annotés méritent cependant qu'on les consulte avec soin. Nous citerons quelquefois le volume de la 7o édition qui est placé dans la Réserve de la Bibliothèque nationale sous le numéro R 2810,7, un exemplaire annoté par Félibien des Avaux, naguère dans la bibliothèque d'Edouard Fournier et un volume de la 8 édition, qui, après avoir fait partie de la

I. Voyez le Traité des Devoirs des Maîtres et des Domestiques, publié en 1688. Un assez grand nombre de laquais savaient écrire à cette époque, ainsi qu'on peut le constater par les signatures qui accompagnent les inventaires après décès. Sur quatre laquais toutefois que nous voyons au service des membres de la famille la Bruyère, deux seulement savent écrire (du moins signent-ils très régulièrement); le domestique qu'avait la Bruyère au moment de sa mort ne signe pas, en revanche sa servante signe fort bien ; et de même le cocher qui le servit quelque temps, après avoir été le cocher de son oncle, et que nous n'avons pas compté parmi les laquais de la famille.

bibliothéque de J. d'Ortigue, a passé dans celle du docteur Danyau.

Les marges des volumes ne pouvaient guère recevoir que des noms, et c'est sur les listes écrites à part qu'il faut chercher les commentaires étendus. Comme ces dernières listes sont les sources auxquelles ont été puisées les annotations marginales des volumes, et tout aussi bien celles des clefs imprimées, il serait intéressant d'en consulter un certain nombre; mais nous n'avons pu en trouver que quatre, dont trois appartiennent à la bibliothèque de l'Arsenal.

La plus ancienne nous a été jadis communiquée par M. Paul Lacroix, conservateur de la bibliothèque, bien qu'elle fit partie d'une collection qui n'était pas encore classée, la collection Tralage. Aujourd'hui elle se trouve dans le tome IV du Recueil Tralage, folio 39. Elle se compose de quatre pages cotées 55 à 58, et elle a pour titre : « Clef des Caractères de Théophraste, 7 édition, Michallet, 1692. » L'annotation suivante la termine: « Ces remarques ont été faites snr le livre intitulé les Caractères de Théophraste, traduits du grec, avec les Caractères ou les mœurs de ce siècle, 7o édition, revue et corrigée, imprimée à Paris, 1692, in-12. Ce livre est de M. de la Bruyère. » Cette clef a été copiée, ou écrite sous une dictée, par un scribe peu lettré; mais le titre et la note finale sont d'une main plus savante, qui a corrigé la plupart des fautes, rectifié les noms et ajouté quelques mots. Postérieure à la 7° édition, qui a paru en 1692 (ainsi qu'au troisième volume des Parallèles des anciens et des modernes, imprimé au mois de septembre de la même année), antérieure, selon toute vraisemblance, à la 8o, qui a été publiée dans le courant de 1694, elle a été faite dans les trois derniers mois de 1692 au plus tôt, et sans doute dans les premiers de 1694 au plus tard. Nous pourrons donc lui assigner dans les notes qui suivent la date de 1693.

La seconde clef de l'Arsenal, que nous avons connue et lue alors que s'imprimait notre seconde édition, fait partie du tome 39 de la collection de l'abbé Drouyn, inscrit sous le numéro 7116 (feuillets 269 à 286). Elle se réfère aux exemplaires de la neuvième édition et porte, au bas du feuillet 279 qui en termine la principale partie, la note suivante: « Monsieur Jean de la Bruyère étoit gentilhomme de M. le Prince

et l'un des quarantes de l'Académie françoise; il mourut subitement le jeudi 10 may 1696 à 10 heures du soir, aagé de 57 ans. On croit qu'il a esté empoisoné, à la sollicitation de quelques grands qui luy en vouloient à cause de ses Caractères. » Suivent trois feuillets qui forment un appendicə contenant des noms recueillis sur une autre clef. A peu de chose près, celle-ci est la répétition de la clef manuscrite d'après laquelle a été imprimée la clef de 1697: aussi ne lui ferons-nous que de très rares emprunts, les variantes en étant le plus souvent négligeables. Nous y relèverons les quatre annotations suivantes. Le compilateur de la clef est le seul qui ait commenté le deuxième alinéa de la réflexion 57 des Ouvrages de l'Esprit (tome II, p. 58). <<< Si l'on jette quelque profondeur dans certains écrits, si l'on affecte une finesse de tour et quelquefois une trop grande délicatesse, ce n'est que par la bonne opinion qu'on a de ses lecteurs. >> <«< L'auteur, est-il dit dans la clef, veut ici parler de son livre. >> Ces lignes en effet, insérées dans la quatrième édition, semblent un retour que fait la Bruyère sur son propre ouvrage, une réponse qu'il adresse à quelques critiques. D'autre part, tandis que le compilateur n'hésite point à écrire en toutes lettres, à côté du caractère de Messaline et d'autres caractères du même genre, des noms de femmes de la cour ou de la ville, sa plume s'arrête devant celui de Villeroy, à côté du caractère de Ménippe n° 40 du Mérite personnel (tome II, p. 79 et 362) et devant celui de madame de Pontchartrain à côté du caractère de Zélie, no 25 du chapitre de la Mode (tome III, p. 159 et 372): il écrit discrètement M. L. M. D. V. et Madame de Pont. En marge du caractère 21 du chapitre des Grands (tome II, p. 256), il inscrit le nom de Barbezieux. Enfin l'énigmatique Arténice, qui a été, dans cette édition et ailleurs, l'objet de longues dissertations, est, pour l'auteur de la clef et pour lui seul, Mlle d'Estissac.

La troisième clef manuscrite, plus étendue et plus importante, forme un cahier relié de soixante et un feuillets in-4°; classée naguère dans la section Sciences et arts de la bibliothèque de l'Arsenal, sous le numéro 7, elle a reçu récemment la cote 2313. Ce manuscrit appartenait, dans la seconde partie du dix-huitième siècle, au fondateur de l'hôpital Cochin,

c'est-à-dire à Denis-Jean Cochin, curé de la paroisse de SaintJacques du Haut-Pas de 1756 à 1783. En tête se lit cette note:

« Clef des Caractères de Théophraste, par Mre Jean de la Bruyère, mort subitement à Versailles l'onzième mai 1696, à une heure après minuit, non sine suspicione veneni, garçon, âgé de cinquante-cinq ans ou environ, gentilhomme de S. A. Mgr le Prince, de l'Académie françoise. Huitième édition. La neuvième a paru trois semaines ou un mois après sa mort. Il est enterré en la paroisse de Versailles. »

A la fin, au folio 58, se trouve la note qui suit : « Cette clef fut dressée sur la 8e édition des Caractères de Théophraste, par le sieur de la Bruyère, qui mourut peu de temps après, comme il se voit au commencement de cette clef; mais comme il a paru depuis ce temps deux nouvelles éditions desdits Caractères, l'on a ajusté cette clef de manière à s'en pouvoir servir sur toutes les trois, de sorte que les premiers chiffres qui sont en marge servent pour la huitième, les seconds au-dessous des dictions pour la dixième1, et ceux qui seront entre les articles serviront pour la neuvième 2. >>>

A lire le titre et l'avis que nous venons de reproduire, on pourrait croire que le texte est la simple reproduction d'une liste composée sur l'édition de 1694. Il n'en est rien. Le copiste avait sous les yeux des listes de dates différentes, et il a entremêlé les emprunts qu'il a faits à chacune d'elles. Une annotation est datée du mois de décembre 1696 (voyez ci-après, p. 418, note XXXIX); d'autres lui sont de beaucoup postérieures (voyez, par exemple, p. 425 et suivantes, la note VI). Comme nous ignorons l'époque de la dernière des augmentations qu'a reçues cette clef, nous ne pourrons la désigner par une date, même approximative; le nom du dépôt où elle se trouve ne peut non plus nous servir à la distinguer des précédentes, qui appartiennent à la même bibliothèque : nous lui donnerons le nom de l'abbé Cochin, qui l'a marquée de ses armes et de son ex libris. Au surplus, nous ne la citerons pas souvent; car elle a été publiée, d'après une autre copie et avec quelques variantes, dans des éditions du dix-huitième siècle, auxquelles nous renverrons.

1. Le copiste, par une erreur manifeste, a écrit deuxième. 2. Les renvois à la ge édition n'ont pas été faits.

La quatrième clef manuscrite, longtemps égarée, vient d'être retrouvée à la Bibliothèque Mazarine, où elle est inscrite sous le n° 3941 (2961 A). Elle provient de la bibliothèque des Minimes de Chaillot et comprend 110 pages in-4°. Ayant pu la consulter au moment où commençait l'impression de notre seconde édition, nous avons tenu compte, dans les pages qui suivent, des indications qu'il pouvait être intéressant d'y relever, au milieu des noms empruntés aux autres clefs. L'une de celles qu'a utilisées le compilateur avait pour auteur un lettré dont la curiosité ne se portait pas exclusivement, comme chez tant d'autres annotateurs, sur les portraits satiriques. Il est le seul qui ait placé quelques mots à côté de l'allusion à la critique du Cid publiée par l'Académie1 et le seul qui se soit demandé si Damis, dans la réflexion 32 des Ouvrages de l'Esprit n'était point la Bruyère lui-même, plutôt que Boileau. Il a, de plus, introduit sur la liste des noms auxquels personne n'avait pensé, tels que celui de Dacier qu'il a substitué à celui du Père Pezron, inscrit dans toutes les clefs à côté du caractère 74 du chapitre de la Société et de la Conversation (tome II, p. 152 et 386). La Bruyère professant une grande estime pour Dacier, l'interprétation de la clef de la Bibliothèque Mazarine est vraisemblable.

La première clef imprimée parut après la mort de la Bruyère, si la première est bien, comme nous le pensons, un petit cahier in-8° de 22 pages qui a pour titre : « Clef du livre intitulé les Caractères ou les Mœurs de ce siècle, ge et dernière édition, par Mr. de la Bruyère, de l'Académie françoise2. >>

Publié pour faire suite aux ges éditions de Paris et de Lyon,

1. « Le cardinal de Richelieu se déclare et s'anime contre Corneille comme contre un criminel de lèse-majesté. » Placée dans la clef à la suite d'un blanc assez étendu, cette phrase paraît être la fin d'une note que le copiste n'a point su transcrire. Sur d'autres pages, il y a de même des blancs qu'il a ménagés en vue d'additions qu'il a oublié d'écrire.

2. La clef est suivie de cette note, p. 22 : « Monsieur JEAN DE « LA BRUYÈRE étoit gentilhomme de Monsieur le Prince, et l'un << des quarante de l'Académie françoise. Il mourut subitement le « 10 mai 1696, à dix heures du soir, âgé de cinquante-sept ans. » Un exemplaire de cette clef, inconnue de Walckenaer, est conservé à la Bibliothèque nationale (R 2813, 3).

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