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même sens.

Lorsque nous concevons la substance, nous con- créatures en cevons seulement une chose qui existe en telle façon qu'elle n'a besoin que de soi-même pour exister. En quoi il peut y avoir de l'obscurité touchant l'explication de ce mot, n'avoir besoin que de soimême ; car, à proprement parler, il n'y a que Dieu qui soit tel, et il n'y a aucune chose créée qui puisse exister un seul moment sans être soutenue et conservée par sa puissance. C'est pourquoi on a raison dans l'école de dire que le nom de substance n'est pas univoque au regard de Dieu et des créatures, c'est-à-dire qu'il n'y a aucune signification de ce mot que nous concevions distinctement, laquelle convienne en même sens à lui et à elles: mais, parcequ'entre les choses créées, quelques unes sont de telle nature qu'elles ne peuvent exister sans quelques autres, nous les distinguons d'avec celles qui n'ont besoin que du concours ordinaire de Dieu, en nommant celles-ci des substances, et celles-là des qualités ou des attributs de ces sub

stances.

Et la notion que nous avons ainsi de la substance créée se rapporte en même façon à toutes, c'est-àdire à celles qui sont immatérielles comme à celles qui sont matérielles ou corporelles; car, pour en tendre que ce sont des substances, il faut seulement que nous apercevions qu'elles peuvent exister sans l'aide d'aucune chose créée. Mais lorsqu'il est

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53.

Que chaque substance a un attribut

que celui de

l'âme est la

pensée, com

me l'exten

du corps.

question de savoir si quelqu'une de ces substances existe véritablement, c'est-à-dire si elle est à présent dans le monde, ce n'est pas assez qu'elle existe en cette façon pour faire que nous l'apercevions: car cela seul ne nous découvre rien qui excite quelque connoissance particulière en notre pensée, il faut outre cela qu'elle ait quelques attributs que nous puissions remarquer; et il n'y en a aucun qui ne suffise pour cet effet, à cause que l'une de nos notions communes est que le néant ne peut avoir aucuns attributs, ni propriétés ou qualités; c'est pourquoi, lorsqu'on en rencontre quelqu'un, on a raison de conclure qu'il est l'attribut de quelque substance, et que cette substance existe.

Mais encore que tout attribut soit suffisant pour faire connoître la substance, il y en a toutefois un principal, et en chacune qui constitue sa nature et son essence, et de qui tous les autres dépendent. A savoir l'étendue en longueur, largeur et profondeur, consion est celui stitue la nature de la substance corporelle; et la pensée constitue la nature de la substance qui pense. Car tout ce que d'ailleurs on peut attribuer au corps présuppose de l'étendue, et n'est qu'une dépendance de ce qui est étendu; de même, toutes les propriétés que nous trouvons en la chose qui pense ne sont que des façons différentes de penser. Ainsi nous ne saurions concevoir par exemple de figure, si ce n'est en une chose étendue, ni de mou

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vement qu'en un espace qui est étendu, ainsi l'imagination, le sentiment et la volonté dépendent tellement d'une chose qui pense que nous ne les pouvons concevoir sans elle. Mais, au contraire, nous pouvons concevoir l'étendue sans figure ou sans mouvement; et la chose qui pense sans imagination ou sans sentiment, et ainsi du reste.

Nous pouvons donc avoir deux notions ou idées claires et distinctes, l'une d'une substance créée qui pense, et l'autre d'une substance étendue, pourvu que nous séparions soigneusement tous les attributs de la pensée d'avec les attributs de l'étendue. Nous pouvons avoir aussi une idée claire et distincte d'une substance incréée qui pense et qui est indépendante, c'est-à-dire d'un Dieu, pourvu que nous ne pensions pas que cette idée nous représente tout ce qui est en lui, et que nous n'y mêlions rien par une fiction de notre entendement; mais que nous prenions garde seulement à ce qui est compris véritablement en la notion distincte que nous avons de lui et que nous savons appartenir à la nature d'un être tout parfait. Car il n'y a personne qui puisse nier qu'une telle idée de Dieu soit en nous, s'il ne veut croire sans raison que l'entendement humain ne sauroit avoir aucune connoissance de la Divinité.

54.

Comment

ces distinctes de la substan

nous pouvons avoir des pen

de celle qui

ce qui pense,

est corporelle, et de Dieu.

55. Comment

Nous concevons aussi très distinctement ce que c'est que la durée, l'ordre et le nombre, si, au lieu nous en pou

3.

avoir de la du

et du nombre.

vons aussi de mêler dans l'idée que nous en avons ce qui rée, de l'ordre appartient proprement à l'idée de la substance, nous pensons seulement que la durée de chaque chose est un mode ou une façon dont nous considérons cette chose en tant qu'elle continue d'être; et que pareillement l'ordre et le nombre ne diffèrent pas en effet des choses ordonnées et nombrées, mais que ce sont seulement des façons sous lesquelles nous considérons diversement ces choses.

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Lorsque je dis ici façon ou mode, je n'entends rien que ce que je nomme ailleurs attribut ou qualité. Mais lorsque je considère que la substance en est autrement disposée ou diversifiée, je me sers particulièrement du nom de mode ou façon; et lorsque, de cette disposition ou changement, elle peut être appelée telle, je nomme qualités les diverses façons qui font qu'elle est ainsi nommée; enfin, lorsque je pense plus généralement que ces modes ou qualités sont en la substance, sans les considérer autrement que comme les dépendances de cette substance, je les nomme attributs. Et, parceque je ne dois concevoir en Dieu aucune variété ni changement, je ne dis pas qu'il y ait en lui des modes ou des qualités, mais plutôt des attributs; et même dans les choses créées, ce qui se trouve en elles toujours de même sorte, comme l'existence et la durée en la chose qui existe et qui dure, je le nomme attribut, et non pas mode ou qualité.

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De ces qualités ou attributs, il y en a quelques uns qui sont dans les choses mêmes, et d'autres qui ne sont qu'en notre pensée; ainsi, par exemple, le temps, que nous distinguons de la durée prise en général, et que nous disons être le nombre du mouvement, n'est rien qu'une certaine façon dont nous pensons à cette durée, car nous ne concevons point que la durée des choses qui sont mues soit autre que celle des choses qui ne le sont point: comme il est évident de ce que si deux corps sont mus pendant une heure, l'un vite et l'autre lentement, nous ne comptons pas plus de temps en l'un qu'en l'autre, encore que nous supposions plus de mouvement en l'un de ces deux corps. Mais afin de comprendre la durée de toutes les choses sous une même mesure, nous nous servons ordinairement de la durée de certains mouvements réguliers qui font les jours et les années, et la nommons temps, après l'avoir ainsi comparée; bien qu'en effet ce que nous nommons ainsi ne soit rien hors de la véritable durée des choses qu'une façon de penser.

De même le nombre que nous considérons en général, sans faire réflexion sur aucune chose créée, n'est point hors de notre pensée, non plus que toutes ces autres idées générales que dans l'école on comprend sous le nom d'universaux.

Qui se font de cela seul que nous nous servons

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