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que notre ju- rions être assurés de l'avoir rencontrée, et ne saugement puisse

être vrai, et rions savoir certainement que nous ne nous trom

que c'est sou

nous trompe.

vent notre pons point. J'avoue qu'il arrive rarement que nous mémoire qui jugions d'une chose en même temps que nous remarquons que nous ne la connoissons pas assez distinctement; à cause que la raison naturellement nous dicte que nous ne devons jamais juger de rien que de ce que nous connoissons distinctement auparavant que de juger. Mais nous nous trompons souvent, parceque nous présumons avoir autrefois connu plusieurs choses, et que tout aussitôt qu'il nous en souvient nous y donnons notre consentement, de même que si nous les avions suffisamment examinées, bien qu'en effet nous n'en ayons jamais eu une connoissance bien exacte. Il y a même des personnes qui en toute leur vie qu'une per- n'aperçoivent rien comme il faut pour en bien juet distincte. ger; car la connoissance sur laquelle on peut éta

45. Ce que c'est

ception claire

blir un jugement indubitable doit être non seulement claire, mais aussi distincte. J'appelle claire celle qui est présente et manifeste à un esprit attentif; de même que nous disons voir clairement les objets, lorsqu'étant présents à nos yeux ils agissent assez fort sur eux, et qu'ils sont disposés à les regarder; et distincte, celle qui est tellement précise et différente de toutes les autres, qu'elle ne comprend en soi que ce qui paroît manifestement à celui qui la considère comme il faut.

Par exemple, lorsque quelqu'un sent une douleur cuisante, la connoissance qu'il a de cette douleur est claire à son égard, et n'est pas pour cela toujours distincte, parcequ'il la confond ordinairement avec le faux jugement qu'il fait sur la nature de ce qu'il pense être en la partie blessée, qu'il croit être semblable à l'idée ou au sentiment de la douleur qui est en sa pensée, encore qu'il n'aperçoive rien clairement que le sentiment ou la pensée confuse qui est en lui. Ainsi la connoissance peut quelquefois être claire sans être distincte; mais elle ne peut jamais être distincte qu'elle ne soit claire par même moyen.

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47. Que pour ôter les préjugés

de

tre en

fance il faut

considérer ce

qu'il y a de

clair en cha

cune de nos

notions.

Or, pendant nos premières années, notre âme ou notre pensée étoit si fort offusquée du corps, qu'elle ne connoissoit rien distinctement, bien qu'elle aperçût plusieurs choses assez clairement; et parcequ'elle ne laissoit pas de faire cependant une réflexion telle quelle sur les choses qui se pré- premières sentoient, et d'en juger témérairement, nous avons rempli notre mémoire de beaucoup de préjugés, dont nous n'entreprenons presque jamais de nous délivrer, encore qu'il soit très certain que nous ne saurions autrement les bien examiner. Mais, afin que nous puissions maintenant nous en délivrer sans beaucoup de peine, je ferai ici un dénombrement de toutes les notions simples qui composent nos pensées, et séparerai ce qu'il y a de clair en

48.

Que tout ce

dont nous avons quelque notion

est considéré

comme une

chose ou

comme une

dénombre

ment des

choses.

chacune d'elles, et ce qu'il y a d'obscur, ou en quoi nous pouvons faillir.

Je distingue tout ce qui tombe sous notre connoissance en deux genres: le premier contient toutes les choses qui ont quelque existence, et l'autre toutes les vérités qui ne sont rien hors de notre pensée. Touchant les choses, nous avons premièrevérité et le ment certaines notions générales qui se peuvent rapporter à toutes, à savoir celles que nous avons de la substance, de la durée, de l'ordre et du nombre, et peut-être aussi quelques autres: puis nous en avons aussi de plus particulières, qui servent à les distinguer. Et la principale distinction que je remarque entre toutes les choses créées est que les unes sont intellectuelles, c'est-à-dire sont des substances intelligentes, ou bien des propriétés qui appartiennent à ces substances; et les autres sont corporelles, c'est-à-dire sont des corps, ou bien des propriétés qui appartiennent au corps. Ainsi l'entendement, la volonté, et toutes les façons de connoître et de vouloir, appartiennent à la substance qui pense; la grandeur, ou l'étendue en longueur, largeur et profondeur, la figure, le mouvement, la situation des parties, et la disposition qu'elles ont à être divisées, et telles autres propriétés, se rapportent au corps. Il y a encore outre cela certaines choses que nous expérimentons en nous-mêmes qui ne doivent point être

attribuées à l'âme seule, ni aussi au corps seul, mais à l'étroite union qui est entre eux, ainsi que j'expliquerai ci-après tels sont les appétits de boire et de manger, etc., comme aussi les émotions ou les passions de l'âme qui ne dépendent pas de la pensée seule, comme l'émotion à la colère, à la joie, à la tristesse, à l'amour, etc.; tels sont, enfin, tous les sentiments, comme la douleur, le chatouillement, la lumière, les couleurs, les sons, les odeurs, le goût, la chaleur, la dureté, et toutes les autres qualités qui ne tombent que sous le sens de l'attouchement..

49.

tés ne peu

vent ainsi être dénom

n'en est pas

besoin.

Jusques ici j'ai dénombré tout ce que nous connoissons comme des choses, il reste à parler de ce que les vérique nous connoissons comme des vérités. Par exemple, lorsque nous pensons qu'on ne sauroit brées, et qu'il faire quelque chose de rien, nous ne croyons point que cette proposition soit une chose qui existe ou la propriété de quelque chose, mais nous la prenons pour une certaine vérité éternelle qui a son siége en notre pensée, et que l'on nomme une no-tion commune ou une maxime : tout de même quand on dit qu'il est impossible qu'une même chose soit et ne soit pas en même temps, que ce qui a été fait ne peut n'être pas fait, que celui qui pense ne peut manquer d'être ou d'exister pendant qu'il pense, et quantité d'autres semblables, ce sont seulement des vérités, et non pas des choses qui

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50.

Que toutes

peuvent être

aperçues,

mais non pas de tous, à

jugés.

soient hors de notre pensée, et il y en a un si grand nombre de telles qu'il seroit malaisé de les dénombrer; mais aussi n'est-il pas nécessaire, parceque nous ne saurions manquer de les savoir lorsque l'occasion se présente de penser à elles, et que nous n'avons point de préjugés qui nous aveuglent.

Pour ce qui est des vérités qu'on nomme des ces vérités notions communes, il est certain qu'elles peuvent clairement être connues de plusieurs très clairement et très distinctement; car autrement elles ne mériteroient cause des pré. pas d'avoir ce nom : mais il est vrai aussi qu'il y en a qui le méritent au regard de quelques personnes, et qui ne le méritent point au regard des autres, à cause qu'elles ne leur sont pas assez évidentes. Non pas que je croie que la faculté de connoître, qui est en quelques hommes, s'étende plus loin que celle qui est communément en tous; mais c'est plutôt qu'il y a des personnes qui ont imprimé de longue main des opinions en leur créance, qui étant contraires à quelques unes de ces vérités, empêchent qu'ils ne les puissent apercevoir, bien qu'elles soient fort manifestes à ceux qui ne sont point ainsi préoccupés.

Ce

51.

que c'est

Pour ce qui est des choses que nous considérons que la sub- comme ayant quelque existence, il est besoin que c'est un nom nous les examinions ici l'une après l'autre, afin de qu'on ne peut distinguer ce qui est obscur d'avec ce qui est évi

stance; et que

attribuer à

Dieu et aux dent en la notion que nous avons de chacune.

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