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27.

Quelle diffé

ligne infinie est infinie, et si le nombre infini est pair ou non pair, et autres choses semblables, à cause qu'il n'y a que ceux qui s'imaginent que leur esprit est infini qui semblent devoir examiner telles difficultés. Et pour nous, en voyant des choses dans lesquelles, selon certains sens, nous ne remarquons point de limites, nous n'assurerons pas pour cela qu'elles soient infinies, mais nous les estimerons seulement indéfinies. Ainsi, parceque nous ne saurions imaginer une étendue si grande que nous ne concevions en même temps qu'il y en peut avoir une plus grande, nous dirons que l'étendue des choses possibles est indéfinie; et parcequ'on ne sauroit diviser un corps en des parties si petites que chacune de ces parties ne puisse être divisée en d'autres plus petites, nous penserons que la quantité peut être divisée en des parties dont le nombre est indéfini; et parceque nous ne saurions imaginer tant d'étoiles que Dieu n'en puisse créer davantage, nous supposerons que leur nombre est indéfini, et ainsi du reste.

Et nous appellerons ces choses indéfinies plutôt rence il y a qu'infinies, afin de réserver à Dieu seul le nom entre indéfini et infini. d'infini; tant à cause que nous ne remarquons point de bornes en ses perfections, comme aussi à cause que nous sommes très assurés qu'il n'y en peut avoir. Pour ce qui est des autres choses, nous savons qu'elles ne sont pas ainsi absolument par

faites, parcequ'encore que nous y remarquions quelquefois des propriétés qui nous semblent n'avoir point de limites, nous ne laissons pas de connoître que cela procède du défaut de notre entendement, et non point de leur nature.

de

28.

Qu'il ne faut

ner pour quelle fin

Dieu a fait

chaque chose, mais seulement par quel moyen il a

voulu qu'elle fût produite.

Nous ne nous arrêterons pas aussi à examiner les fins que Dieu s'est proposées en créant le monde, point examiet nous rejetterons entièrement de notre philosophie la recherche des causes finales; car nous ne devons pas tant présumer de nous-mêmes que croire que Dieu nous ait voulu faire part de ses conseils mais, le considérant comme l'auteur de toutes choses, nous tâcherons seulement de trouver, par la faculté de raisonner qu'il a mise en nous, comment celles que nous apercevons par l'entremise de nos sens ont pu être produites; et nous serons assurés, par ceux de ses attributs dont il a voulu que nous ayons quelque connoissance, que ce que nous aurons une fois aperçu clairement et distinctement appartenir à la nature de ces choses, a la perfection d'être vrai.

29.

Que Dieu

cause de nos

erreurs.

Et le premier de ses attributs qui semble devoir être ici considéré, consiste en ce qu'il est très vé- n'est point la ritable et la source de toute lumière, de sorte qu'il n'est pas possible qu'il nous trompe, c'est-à-dire qu'il soit directement la cause des erreurs auxquelles nous sommes sujets, et que nous expérimentons en nous-mêmes; car, encore que l'adresse à pouvoir

30.

Et que par

tout cela est

vrai que nous connoissons clairement

être vrai, ce

qui nous déli

vre des doutes

ci-dessus proposés.

tromper semble être une marque de subtilité d'esprit entre les hommes, néanmoins jamais la volonté de tromper ne procède que de malice ou de crainte et de foiblesse, et par conséquent ne peut être attribuée à Dieu.

D'où il suit que la faculté de connoître qu'il nous conséquent a donnée, que nous appelons lumière naturelle, n'aperçoit jamais aucun objet qui ne soit vrai en ce qu'elle l'aperçoit, c'est-à-dire en ce qu'elle connoît clairement et distinctement; parceque nous aurions sujet de croire que Dieu seroit trompeur, s'il nous l'avoit donnée telle que nous prissions le faux pour le vrai lorsque nous en usons bien. Et cette considération seule nous doit délivrer de ce doute hyperbolique où nous avons été pendant que nous ne savions pas encore si celui qui nous a créés avoit pris plaisir à nous faire tels, que nous fussions trompés en toutes les choses qui nous semblent très claires. Elle nous doit servir aussi contre toutes les autres raisons que nous avions de douter, et que j'ai alléguées ci-dessus, même les vérités de mathématique ne nous seront plus suspectes, à cause qu'elles sont très évidentes; et si nous apercevons quelque chose par nos sens, soit en veillant, soit en dormant, pourvu que nous séparions ce qu'il y aura de clair et de distinct en la notion que nous aurons de cette chose de ce qui sera obscur et confus, nous pourrons facilement nous assurer de

ce qui sera vrai. Je ne m'étends pas ici davantage sur ce sujet, parceque j'en ai amplement traité dans les Méditations de ma métaphysique, et ce qui suivra tantôt servira encore à l'expliquer mieux.

Mais parcequ'il arrive que nous nous méprenons souvent, quoique Dieu ne soit pas trompeur, si nous désirons rechercher la cause de nos erreurs, et en découvrir la source, afin de les corriger, il faut que nous prenions garde qu'elles ne dépendent pas tant de notre entendement comme de notre volonté, et qu'elles ne sont pas des choses ou des substances qui aient besoin du concours actuel de Dieu pour être produites; en sorte qu'elles ne sont à son égard que des négations, c'est-à-dire qu'il ne nous a pas donné tout ce qu'il pouvoit nous donner, et que nous voyons par même moyen qu'il n'étoit point tenu de nous donner; au lieu qu'à notre égard elles sont des défauts et des imperfections.

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32.

Qu'il n'y a en nous que deux sortes de pensées, à

Car toutes les façons de penser que nous remarquons en nous peuvent être rapportées à deux générales, dont l'une consiste à apercevoir par l'entendement, et l'autre à se déterminer par la volonté. savoir la perAinsi sentir, imaginer et même concevoir des choses purement intelligibles, ne sont que des façons différentes d'apercevoir; mais désirer, avoir de l'aversion, assurer, nier, douter, sont des façons différentes de vouloir.

ception de l'entendement et l'action de la volonté.

33.

Lorsque nous apercevons quelque chose, nous Que nous ne

- nous trom

pons que lors

que nous ja

geons de quel

que chose qui

ne nous est pas assez

connue.

34. Que la volonté aussi bien que l'en

tendement est

ne sommes point en danger de nous méprendre si nous n'en jugeons en aucune façon; et quand même nous en jugerions, pourvu que nous ne donnions notre consentement qu'à ce que nous connoissons clairement et distinctement devoir être compris en ce dont nous jugeons, nous ne saurions non plus faillir; mais ce qui fait que nous nous trompons ordinairement est que nous jugeons bien souvent, encore que nous n'ayons pas une connoissance bien exacte de ce dont nous jugeons.

J'avoue que nous ne saurions juger de rien, si notre entendement n'y intervient, parcequ'il n'y a pas d'apparence que notre volonté se détermine requise pour sur ce que notre entendement n'aperçoit en aucune façon; mais comme la volonté est absolument nécessaire, afin que nous donnions notre consentement à ce que nous avons aucunement aperçu, et

juger.

35.

Qu'elle a plus

d'étendue que

lui, et que de

là viennent

nos erreurs.

qu'il n'est pas nécessaire pour faire un jugement tel quel que nous ayons une connoissance entière et parfaite; de là vient que bien souvent nous donnons notre consentement à des choses dont nous n'avons jamais eu qu'une connoissance fort confuse.

De plus, l'entendement ne s'étend qu'à ce peu d'objets qui se présentent à lui, et sa connoissance est toujours fort limitée : au lieu que la volonté en quelque sens peut sembler infinie, parceque nous n'apercevons rien qui puisse être l'objet de quelque autre volonté, même de cette immense qui est en

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