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12.

Et en quel

différent.

fondeur: or cela même est compris en l'idée que nous avons de l'espace, non seulement de celui qui 'est plein de corps, mais encore de celui qu'on appelle vide.

Il est vrai qu'il y a de la différence en notre fasens il en est çon de penser; car si on a ôté une pierre de l'espace ou du lieu où elle étoit, nous entendons qu'on en a ôté l'étendue de cette pierre, parceque nous les jugeons inséparables l'une de l'autre: et toutefois nous pensons que la même étendue du lieu où étoit cette pierre est demeurée, nonobstant que le lieu qu'elle occupoit auparavant ait été rempli de bois, ou d'eau, ou d'air, ou de quelque autre corps, ou que même il paroisse vide, parceque nous prenons l'étendue en général, et qu'il nous semble que la même peut être commune aux pierres, au bois, à l'eau, à l'air, et à tous les autres corps, et aussi au vide s'il y en a, pourvu qu'elle soit de même grandeur et de même figure qu'auparavant, et qu'elle conserve une même situation à l'égard des corps de dehors qui déterminent cet espace.

13.

Ce que c'est

térieur.

Dont la raison est que les mots de lieu et d'esque le lien ex- pace ne signifient rien qui diffère véritablement du corps que nous disons être en quelque lieu, et nous marquent seulement sa grandeur, sa figure, et comment il est situé entre les autres corps. Car il faut, pour déterminer cette situation, en remarquer quelques autres que nous considérions comme

poupe

immobiles; mais, selon que ceux que nous considérons ainsi sont divers, nous pouvons dire qu'une même chose en même temps change de lieu et n'en change point. Par exemple, si nous considérons un homme assis à la d'un vaisseau que le vent emporte hors du port, et ne prenons garde qu'à ce vaisseau, il nous semblera que cet homme ne change point de lieu, parceque nous voyons qu'il demeure toujours en une même situation à l'égard des parties du vaisseau sur lequel il est; et si nous prenons garde aux terres voisines, il nous semblera aussi que cet homme change incessamment de lieu, parcequ'il s'éloigne de celles-ci, et qu'il approche de quelques autres; si outre cela nous supposons que la terre tourne sur son essieu, et qu'elle fait précisément autant de chemin. du couchant au levant comme ce vaisseau en fait du levant au couchant, il nous semblera derechef que celui qui est assis à la poupe ne change point de lieu, parceque nous déterminerons ce lieu par quelques points immobiles que nous imaginerons être au ciel. Mais si nous pensons qu'on ne sauroit rencontrer en tout l'univers aucun point qui soit véritablement immobile,comme on connoîtra par ce qui suit que cela peut être démontré, nous conclurons qu'il n'y a point de lieu d'aucune chose au monde qui soit ferme et arrêté, sinon en tant que nous l'arrêtons en notre pensée.

14. Quelle diffé

rence il y a et l'espace.

entre le lieu

Comment la

environne un

corps peut être prise

Toutefois le lieu et l'espace sont différents en leurs noms, parceque le lieu nous marque plus expressément la situation que la grandeur ou la figure, et qu'au contraire nous pensons plutôt à celles-ci lorsqu'on nous parle de l'espace; car nous disons qu'une chose est entrée en la place d'une autre, bien qu'elle n'en ait exactement ni la grandeur ni la figure, et n'entendons point qu'elle occupe pour cela le même espace qu'occupoit cette autre chose; et lorsque la situation est changée, nous disons que le lieu est aussi changé, quoiqu'il soit de même grandeur et de même figure qu'auparavant : de sorte que si nous disons qu'une chose est en un tel lieu, nous entendons seulement qu'elle est située de telle façon à l'égard de quelques autres choses; mais si nous ajoutons qu'elle occupe un tel espace, ou un tel lieu, nous entendons outre cela qu'elle est de telle grandeur et de telle figure qu'elle peut le remplir tout justement.

15. Ainsi nous ne distinguons jamais l'espace d'avec superficie qui l'étendue en longueur, largeur et profondeur; mais nous considérons quelquefois le lieu comme s'il étoit en la chose qui est placée, et quelquefois aussi comme s'il en étoit dehors. L'intérieur ne diffère en aucune façon de l'espace; mais nous prenons quelquefois l'extérieur ou pour la superficie qui environne immédiatement la chose qui est pla

pour son lieu extérieur.

cée (et il est à remarquer que par la superficie on ne doit entendre aucune partie du corps qui environne, mais seulement l'extrémité qui est entre le corps qui environne et celui qui est environné, qui n'est rien qu'un mode ou une façon), ou bien pour la superficie en général, qui n'est point partie d'un corps plutôt que d'un autre, et qui semble toujours la même, tant qu'elle est de même grandeur et de même figure; car, encore que nous voyions que le corps qui environne un autre corps passe ailleurs avec sa superficie, nous n'avons pas coutume de dire que celui qui en étoit environné ait pour cela changé de place lorsqu'il demeure en la même situation à l'égard des autres corps que nous considérons comme immobiles. Ainsi nous disons qu'un bateau qui est emporté par le cours d'une rivière, et qui en même temps est repoussé par le vent d'une force si égale qu'il ne change point de situation à l'égard des rivages, demeure en même lieu, bien que nous voyions que toute la superficie qui l'environne change incessamment.

Pour ce qui est du vide, au sens que les philosophes prennent ce mot, à savoir pour un espace où il n'y a point de substance, il est évident qu'il n'y a point d'espace en l'univers qui soit tel, parceque l'extension de l'espace ou du lieu intérieur n'est point différente de l'extension du corps. Et, comme de cela seul qu'un corps est étendu en

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17.

Que le mot de

lon l'usage or

toute sorte de

longueur, largeur et profondeur, nous avons raison de conclure qu'il est une substance, à cause que nous concevons qu'il n'est pas possible que ce qui n'est rien ait de l'extension, nous devons conclure le même de l'espace qu'on suppose vide, à savoir que puisqu'il y a en lui de l'extension il y a nécessairement aussi de la substance.

Mais lorsque nous prenons ce mot selon l'usage vide pris se- ordinaire, et que nous disons qu'un lieu est vide, dinaire n'ex-il est constant que nous ne voulons pas dire qu'il clut point n'y a rien du tout en ce lieu ou en cet espace, mais corps. seulement qu'il n'y a rien de ce que a rien de ce que nous présumons y devoir être. Ainsi, parcequ'une cruche est faite pour tenir de l'eau, nous disons qu'elle est vide lorsqu'elle ne contient que de l'air; et s'il n'y a point de poisson dans un vivier, nous disons qu'il n'y a rien dedans, quoiqu'il soit plein d'eau; ainsi nous disons qu'un vaisseau est vide, lorsqu'au lieu des marchandises dont on le charge d'ordinaire on ne l'a chargé que de sable, afin qu'il pût résister à l'impétuosité du vent: et c'est en ce même sens que nous disons qu'un espace est vide lorsqu'il ne contient rien qui nous soit sensible, encore qu'il contienne une matière créée et une substance étendue. Car nous ne considérons ordinairement les corps qui sont proches de nous qu'en tant qu'ils causent dans les organes de nos sens des impressions si fortes que nous les pouvons

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