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gure qui arrive au corps, lequel est raréfié ou condensé; c'est-à-dire que toutes fois et quantes que nous voyons qu'un corps est raréfié, nous devons penser qu'il y a plusieurs intervalles entre ses parties, lesquels sont remplis de quelque autre corps, et que lorsqu'il est condensé, ses mêmes parties sont plus proches les unes des autres, qu'elles n'étoient, soit qu'on ait rendu les intervalles qui étoient entre elles plus petits, ou qu'on les ait entièrement ôtés, auquel cas on ne sauroit concevoir qu'un corps puisse être davantage condensé; et toutefois il ne laisse pas d'avoir tout autant d'extension que lorsque ces mêmes parties étant éloignées les unes des autres, et comme éparses en plusieurs branches, embrassoient un plus grand espace. Car nous ne devons point lui attribuer l'étendue qui est dans les pores ou intervalles que ses parties n'occupent point lorsqu'il est raréfié, mais aux autres corps qui remplissent ces intervalles; tout de même que voyant une éponge pleine d'eau où de quelque autre liqueur, nous n'entendons point que chaque partie de cette éponge ait pour cela plus d'étendue, mais seulement qu'il y a des pores ou intervalles entre ses parties qui sont plus grands que lorsqu'elle est sèche et plus serrée.

Je ne sais pourquoi, lorsqu'on a voulu expliquer comment un corps est raréfié, on a mieux aimé dire que c'étoit par l'augmentation de sa

7.

Qu'elle ne peut être in

telligiblement expliquée

ici proposée.

qu'en la façon quantité, que de se servir de l'exemple de cette éponge. Car bien que nous ne voyions point, lorsque l'air ou l'eau sont raréfiés, les pores qui sont entre les parties de ces corps, ni comment ils sont devenus plus grands, ni même le corps qui les remplit, il est toutefois beaucoup moins raisonnable de feindre je ne sais quoi qui n'est pas intelligible, pour expliquer seulement en apparence, et par des termes qui n'ont aucun sens, la façon dont un corps est raréfié, que de conclure, en conséquence de ce qu'il est raréfié, qu'il y a des pores ou intervalles entre ses parties qui sont devenus plus grands, et qui sont pleins de quelque autre corps. Et nous ne devons pas faire difficulté de croire que la raréfaction ne se fasse ainsi que je dis, bien que nous n'apercevions par aucun de nos sens le corps qui les remplit, parcequ'il n'y a point de raison qui nous oblige à croire que nous devions apercevoir par nos sens tous les corps qui sont autour de nous, et que nous voyons qu'il est très aisé de l'expliquer en cette sorte, et qu'il est impossible de la concevoir autrement; car, enfin, il y auroit, ce me semble, une contradiction manifeste qu'une chose fut augmentée d'une granfût deur ou d'une extension qu'elle n'avoit point, et qu'elle ne fût pas accrue par même moyen d'une nouvelle substance étendue ou bien d'un nouveau corps, à cause qu'il n'est pas possible de conce

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8.

voir qu'on puisse ajouter de la grandeur ou de l'extension à une chose par aucun autre moyen qu'en y ajoutant une chose grande et étendue, comme il paroîtra encore plus clairement par ce qui suit. Dont la raison est que la grandeur ne diffère de ce qui est grand, et le nombre de ce qui est nom- deur ne diffèbré, que par notre pensée : c'est-à-dire qu'encore que nous puissions penser à ce qui est de la nature d'une chose étendue qui est comprise en un espace brées, que par

Que la gran

re de ce qui est grand, ni le nombre des choses nom

notre pensée.

de dix pieds, sans prendre garde à cette mesure de
dix pieds, à cause que cette chose est de même na-
ture en chacune de ses parties comme dans le tout;
et que nous puissions penser à un nombre de dix,
ou bien à une grandeur continue de dix pieds, sans
penser à une telle chose, à cause que l'idée que nous
avons du nombre de dix est la même, soit que nous
considérions un nombre de dix pieds, ou quelque
autre dizaine; et que nous puissions même conce-
voir une grandeur continue de dix pieds, sans faire
réflexion sur telle ou telle chose, bien que nous ne
puissions la concevoir sans quelque chose d'étendu:
toutefois il est évident qu'on ne sauroit ôter au-
cune partie d'une telle grandeur, ou d'une telle ex-
tension, qu'on ne retranche
par même
moyen tout
autant de la chose; et réciproquement, qu'on ne sau-
roit retrancher de la chose, qu'on n'ôte par même
moyen tout autant de la grandeur ou de l'extension. 9.

Que la sub

Si quelques uns s'expliquent autrement sur ce stance corpo

être claire

sans son ex

tension.

relle ne peut sujet, je ne pense pourtant pas qu'ils conçoivent aument conçue tre chose que ce que je viens de dire; car lorsqu'ils distinguent la substance corporelle ou matérielle d'avec l'extension et la grandeur, ou ils n'entendent rien par le mot de substance corporelle, ou ils forment seulement en leuresprit une idée confuse de la substance immatérielle, qu'ils attribuent faussement à la substance corporelle, et laissent à l'extension la véritable idée de cette substance corporelle; laquelle extension ils nomment un accident, mais si improprement qu'il est aisé de connoître que leurs paroles n'ont point de rapport avec leurs pensées.

10.

Ce que c'est

ou le lieu in

térieur.

L'espace, ou le lieu intérieur, et le corps qui est que l'espace compris en cet espace, ne sont différents aussi que par notre pensée. Car, en effet, la même étendue en longueur, largeur et profondeur qui constitue l'espace, constitue le corps; et la différence qui est entre eux ne consiste qu'en ce que nous attribuons au corps une étendue particulière, que nous concevons changer de place avec lui toutes fois et quantes qu'il est transporté, et que nous en attribuons à l'espace une si générale et si vague, qu'après avoir ôté d'un certain espace corps qui l'occupoit, nous ne pensons pas avoir aussi transporté l'étendue de cet espace, à cause qu'il nous semble que la même étendue y demeure toujours pendant qu'il est de même grandeur et de même figure, et qu'il n'a point changé de situation au regard des

le

corps de dehors par lesquels nous le déterminons. Mais il sera aisé de connoître que la même éten

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II.

En quel sens

qu'il n'est point différent du corps

qu'il contient.

due qui constitue la nature du corps constitue on peut dire aussi la nature de l'espace, en sorte qu'ils ne diffèrent entre eux que comme la nature du genre ou de l'espèce diffère de la nature de l'individu, si, pour mieux discerner quelle est la véritable idée que nous avons du corps, nous prenons pour exemple une pierre et en ôtons tout ce que nous saurons ne point appartenir à la nature du corps. Otons-en donc premièrement la dureté, parceque, si on réduisoit cette pierre en poudre, elle n'auroit plus de dureté, et ne laisseroit pas pour cela d'être un corps; ôtons-en aussi la couleur, parceque nous avons pu voir quelquefois des pierres si transparentes qu'elles n'avoient point de couleur; ôtons-en la pesanteur, parceque nous voyons que le feu, quoiqu'il soit très léger, ne laisse pas d'être un corps; ôtons-en le froid, la chaleur, et toutes les autres qualités de ce genre, parceque nous ne pensons point qu'elles soient dans la pierre, ou bien que cette pierre change de nature parcequ'elle nous semble tantôt chaude et tantôt froide. Après avoir ainsi examiné cette pierre, nous trouverons que la véritable idée qui nous fait concevoir qu'elle est un corps consiste en cela seul que nous apercevons distinctement qu'elle est une substance étendue en longueur, largeur et pro

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