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que nous n'étions pas capables de bien juger, et par
conséquent qu'ils pouvoient être plutôt faux que
vrais, nous les avons reçus pour aussi certains que
si nous en avions eu une connoissance distincte
par
l'entremise de nos sens, et n'en avons non
plus douté que s'ils eussent été des notions com-

munes.

à

Enfin, lorsque nous avons atteint l'usage entier de notre raison, et que notre âme n'étant plus si sujette au corps, tâche à bien juger des choses, et connoître leur nature, bien que nous remarquions que les jugements que nous avons faits lorsque nous étions encore enfants sont pleins d'erreur, nous avons toutefois assez de peine à nous en délivrer entièrement, et néanmoins il est certain que si nous ne nous en délivrons et ne les considérons comme faux ou incertains, nous serons toujours en danger de retomber en quelque fausse prévention. Cela est tellement vrai, qu'à cause que dès notre enfance nous avons imaginé, par exemple, les étoiles fort petites, nous ne saurions nous défaire encore de cette imagination, bien que nous connoissions par les raisons de l'astronomie qu'elles sont fort grandes: tant a de pouvoir sur nous une opinion déjà reçue!

De plus, comme notre âme ne sauroit s'arrêter à considérer long-temps une même chose avec attention sans se peiner et même sans se fatiguer,

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à toutes les

rend attentif et qu'elle ne s'applique à rien avec tant de peine choses dont qu'aux choses purement intelligibles, qui ne sont nous jugeons. présentes ni aux sens ni à l'imagination, soit que naturellement elle ait été faite ainsi, à cause qu'elle est unie au corps, ou que pendant les premières années de notre vie nous nous soyons si fort accoutumés à sentir et imaginer, que nous ayons acquis une facilité plus grande à penser de cette sorte, de là vient que beaucoup de personnes ne sauroient croire qu'il y ait des substances, si elles ne sont imaginables et corporelles, et même sensibles; car on ne prend pas garde ordinairement qu'il n'y a que les choses qui consistent en étendue, en mouvement et en figure, qui soient imaginables, et qu'il y en a quantité d'autres que celles-là qui sont intelligibles; de là vient aussi que la plupart du monde se persuade qu'il n'y a rien qui puisse subsister sans corps, et même qu'il n'y a point de corps qui ne soit sensible. Et d'autant que ce ne sont point nos sens qui nous font découvrir la nature de quoi que ce soit, mais seulement notre raison lorsqu'elle y intervient, on ne doit pas trouver étrange que la plupart des hommes n'aperçoivent les choses que fort confusément, vu qu'il n'y en a que très peu qui s'étudient à la bien conduire.

74.

La quatrième,

Au reste, parceque nous attachons nos concepque nous atta- tions à certaines paroles, afin de les exprimer de

que nous sé

chons nos pensées à des

les expriment pas exacte

ment.

bouche, et que nous nous souvenons plutôt des paroles que des choses, à peine saurions-nous con- paroles qui ne cevoir aucune chose si distinctement parions entièrement ce que nous concevons d'avec les paroles qui avoient été choisies pour l'exprimer. Ainsi la plupart des hommes donnent leur attention aux paroles plutôt qu'aux choses; ce qui est cause qu'ils donnent bien souvent leur consentement à des termes qu'ils n'entendent point, et qu'ils ne se soucient pas beaucoup d'entendre, soit parcequ'ils croient les avoir autrefois entendus, soit parcequ'il leur a semblé que ceux qui les leur ont ́enseignés en connoissoient la signification, et qu'ils l'ont apprise par même moyen. Et, bien que ce ne soit pas ici le lieu de traiter de cette matière, à cause que je n'ai pas enseigné quelle est la nature du corps humain et que je n'ai pas même encore prouvé qu'il y ait au monde aucun corps, il me semble néanmoins que ce que j'en ai dit nous pourra servir à discerner celles de nos conceptions qui sont claires et distinctes d'avec celles où il y a de la confusion et qui nous sont inconnues.

75. Abrégé de tout ce qu'on

doit observer pour bien

C'est pourquoi si nous désirons vaquer sérieusement à l'étude de la philosophie et à la recherche de toutes les vérités que nous sommes capables de connoître, nous nous délivrerons en premier lieu philosopher. de nos préjugés, et ferons état de rejeter toutes

les opinions que nous avons autrefois reçues en

n

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notre créance, jusques à ce que nous les ayons derechef examinées; nous ferons ensuite une revue sur les notions qui sont en nous, et ne recevrons pour vraies que celles qui se présenteront clairement et distinctement à notre entendement. Par ce moyen, nous connoîtrons premièrement que nous sommes, en tant que notre nature est de penser, et qu'il y a un Dieu duquel nous dépendons; et après avoir considéré ses attributs nous pourrons rechercher la vérité de toutes les autres choses, parcequ'il en est la cause. Outre les notions que nous avons de Dieu et de notre pensée, nous trouverons aussi en nous la connoissance de beaucoup de propositions qui sont perpétuellement vraies, comme, par exemple, que le néant ne peut être l'auteur de quoi que ce soit, etc. Nous y trouverons aussi l'idée d'une nature corporelle ou étendue, qui peut être mue, divisée, etc., et des sentiments qui causent en nous certaines dispositions, comme la douleur, les couleurs, etc.; et, comparant ce que nous venons d'apprendre en examinant ces choses par ordre, avec ce que nous en pensions avant que de les avoir ainsi examinées, nous nous accoutumerons à former des conceptions claires et distinctes sur tout ce que nous sommes capables de connoître. C'est en ce peu de préceptes que je pense avoir compris tous les principes les plus généraux et les plus importants de la connoissance humaine.

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Surtout, nous tiendrons pour règle infaillible. que ce que Dieu a révélé est incomparablement plus certain que tout le reste, afin que si quelque étincelle de raison sembloit nous suggérer quelque chose au contraire, nous soyons toujours prêts à soumettre notre jugement à ce qui vient de sa part; mais, pour ce qui est des vérités dont la théologie ne se mêle point, il n'y auroit pas d'apparence qu'un homme qui veut être philosophe reçût pour vrai ce qu'il n'a point connu être tel, et qu'il aimât mieux se fier à ses sens, c'est-à-dire aux jugements inconsidérés de son enfance, qu'à sa raison, lorsqu'il est en état de la bien conduire.

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