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EXPÉRIENCES

TENDANT A PROUVER QUE LA CESSATION

DE L'HEMATOSE PULMONAIRE

Est la cause de l'insensibilité
qui suit les inspirations d'éther en vapeur,

Par MM. F. Preisser, Pillore et Mélays.

Mémoire lu à l'Académie royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen, dans sa seance du 12 Mars 1847.

Lorsqu'on annonça que l'inspiration de l'éther en vapeur éteignait si complètement la sensibilité que nulle opération chirurgicale ne pouvait éveiller la douleur, nous fùmes du nombre de ceux qui accueillirent avec défiance les merveilles qu'on prônait; d'ailleurs, ce n'était pas sans crainte que nous voyions remplacer par l'éther en vapeur l'air atmosphérique, cette nourriture gazeuse, indispensable à la v ́e de notre sang. Il fallut, pour nous rassurer, l'autorité des maîtres de l'art, qui proclamèrent l'innocuité de ce genre d'inspiration et ses résultats merveilleux.

Dès lors, nous acceptâmes, comme chose démontrée expérimentalement, qu'au contact d'un mélange d'air at

mosphérique et d'éther en vapeur, le sang veineux se transformait dans le poumon comme avec l'air seul, et que c'était à l'éther absorbé qu'il fallait attribuer cette modification si profonde de l'innervation qui rendait l'homme insensible à la douleur.

Dans les premiers temps, les appareils à inhalation se multiplièrent, et il fut généralement admis que le meilleur, pour provoquer l'insensibilité, était celui au moyen du quel on inspirait beaucoup d'éther et peu d'air atmosphérique. Enfin, M. Amussat vint affirmer que l'expérience lui avait démontré que l'inspiration de l'éther en vapeur empêchait l'hématose pulmonaire. En effet, en mettant à nu chez un animal l'artère et la veine de la cuisse, il avait reconnu, disait-il, que le sang artériel devenait noir; car, l'artère, d'abord rose, avait pris pendant la durée de l'inhalation éthérée la couleur noire de la veine. Il ajoutait que l'artère avait repris la couleur rose lorsqu'on avait remplacé l'éther par l'air atmosphérique.

A ce moment, la question de l'insensibilité après l'inspiration de la vapeur d'éther se présenta à nous sous une face nouvelle. La modification que subissait le système nerveux était-elle due à la présence du sang imprégné d'éther absorbé, ou à la présence du sang non hématosé dans les poumons? L'insensibilité était-elle le résultat d'une sorte d'ivresse ou de l'asphyxie? Telles furent les questions que nous cherchâmes à résoudre par la voie expérimentale.

Nous répétâmes plusieurs fois l'expérience de M. Amussat, et toujours il fut démontré pour nous :

1° Que pendant l'inhalation éthérée, le sang dans l'artère devenait noir;

2° Que cette transformation précédait l'apparition de l'insensibilité ;

3° Que, dès qu'on cessait l'inhalation éthérée, et que l'animal respirait de l'air atmosphérique, constamment le sang contenu dans l'artère reprenait sa couleur rouge avant le retour de la sensibilité.

Dans une de nos expériences, malgré la durée de l'inhalation éthérée, nous fùmes étonnés de ne pas voir l'artère changer de couleur; nous ouvrîmes une branche collatérale, et nous reçumes dans une capsule un sang noirâtre, tout-à-fait semblable au sang veineux. Ce sang, malgré son contact avec l'air atmosphérique, ne prit pas la teinte rouge, et fut remarquable par la promptitude de sa coagulation. A quoi tenait cette persistance de la couleur de l'artère? A son opacité. Le chien était de très haute taille; l'artère était en outre couverte d'un peu de tissu cellulaire; elle paraissait jaunâtre, et n'avait pas changé. Sur les chiens de petite taille, l'artère étant très transparente, l'expérience donne des résultats incontestables. Avant l'expérimentation, l'artère est rouge clair, elle passe très vite au rouge foncé, et enfin présente la couleur noirâtre de la veine à laquelle elle est accolée.

Après que ce premier ordre de phénomènes fut par nous constaté irrévocablement par plusieurs expériences, il fallut essayer si l'insensibilité résulterait de l'inspiration de gaz qui, non toxiques, n'ont d'autre action que d'être impropres à l'hématose pulmonaire; et si, dans ce cas comme dans l'inspiration éthérée, la coloration noire du sang artériel précèderait l'insensibilité. Nous remplîmes de gaz azote une vessie terminée par un tube en caoutchouc, fermé par un robinet; à ce tube, nous adaptâmes un entonnoir. L'artère et la veine étant mises à nu préalablement, nous étendîmes un chien sur une table, et nous lui introduisîmes le museau dans l'entonnoir pour le forcer à respirer le gaz contenu dans la vessie.

Comme dans les expériences avec l'éther, le sang artériel prit la teinte du sang veineux, et l'insensibilité survint avant la cessation des mouvements respiratoires. Aussitôt que l'insensibilité fut bien constatée en mettant une patte de l'animal dans un brasier, on retira le museau de l'entonnoir, on rendit l'air atmosphérique au chien qui respirait encore, et bientôt le sang artériel reprit sa coloration, et la sensibilité reparut.

Nous répétâmes la même expérience avec l'acide carbonique, le gaz hydrogène, la protoxide d'azote, et toujours les résultats furent les mêmes, sauf quelques différences dans le temps écoulé avant la production de l'insensibilité.

En résumé, les chiens soumis à l'inspiration de ces quatre gaz ont tous présenté la coloration en noir du sang rouge et l'insensibilité avant la cessation des mouvements inspiratoires. Arrivés à l'insensibilité, nous avons rendu à tous la liberté de respirer l'air atmosphérique, et l'inspiration de l'air a toujours rendu au sang artériel sa couleur rouge, et aux animaux leur sensibilité. Il faut noter, qu'à l'instant même, ils ont pu marcher sans vacillations; ils différaient, sous ce rapport, des animaux qu'on avait soumis à l'inhalation éthérée; ces derniers, au réveil, vacillaient, semblaient avoir de la difficulté à mouvoir les membres postérieurs, et paraissaient être dans un état d'ivresse qui exigeait un temps assez long pour se dissiper.

De ces expériences, nous concluons :

1° Que l'insensibilité a été le résultat de l'influence qu'a exercée sur les centres nerveux le sang qui n'avait pas subi l'hématose pulmonaire; en un mot, qu'elle doit être attribuée à un commencement d'asphyxie qui, à un de

gré plus avancé, eût amené la cessation des mouvements respiratoires et la mort. (Chez un chien de forte taille, après avoir obtenu en 15 minutes l'insensibilité, nous avons continué l'inhalation éthérée; 25 minutes après, le chien avait cessé de respirer, il était mort);

2° Que l'insensibilité a été provoquée par des gaz qui ne déterminent pas l'ivresse ;

3o Qu'il est possible que l'ivresse et l'excitation pulmonaire que provoquent les inspirations éthérées, aient une influence fâcheuse, indépendante de l'asphyxie;

4° Puisqu'il résulte des expériences, que l'insensibilité précède toujours la cessation des mouvements respiratoires, et que l'inspiration d'air rend au sang artériel sa couleur rouge et aux animaux leur sensibilité, nous pensons qu'il est probable que cette asphyxie, provoquée sous les yeux du médecin et limitée par lui, n'expose pas à de graves dangers;

5° S'il était démontré que l'ivresse et l'irritation pulmonaire que provoquent les inspirations éthérées, ont une influence fâcheuse sur les suites des opérations, il serait peut-être permis, dans certaines circonstances rares, de provoquer l'insensibilité sans déterminer l'ivresse et sans irriter les muqueuses;

6° Nous croyons qu'il y aurait avantage à préférer un gaz à une vapeur, parce qu'avec un gaz, il sera beaucoup plus facile de déterminer très rigoureusement la quantité absolue ou proportionnelle que le patient aura inspirée.

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